N
i «coup de menton» ni «naï-
veté» : s’il existe en matière
d’immigration un chemin
entre ces deux écueils, le gouverne-
ment s’est engagé lundi à l’emprun-
ter. Sous les critiques d’une droite
le taxant de naïveté et d’une gauche
dénonçant le durcissement an-
noncé de sa politique migratoire.
Une intervention d’Edouard Phi-
lippe a ouvert, à 16 heures, le débat
parlementaire voulu par l’exécutif.
Prélude à un train de mesures cen-
sées réduire le nombre de deman-
des d’asile déposées en France et à
faciliter les expulsions d’étrangers
en situation irrégulière.
Conscients de manier une matière
sensible, le chef du gouvernement
et les ministres lui succédant – Jean-
Yves Le Drian (Affaires étrangères),
Christophe Castaner (Intérieur),
Agnès Buzyn (Solidarités et Santé) –
ont multiplié les précautions oratoi-
res, entre hommages à la tradition
française de bon «accueil» et dénon-
ciation des «mythes et des fantas-
mes» autour de l’immigration. «Les
moyens budgétaires pour l’intégra-
tion ont été portés à des niveaux sans
précédent dans notre histoire», s’est
félicité Christophe Castaner. Agnès
Buzyn se faisant, elle, un devoir de
dissiper les «caricatures» autour de
l’aide médicale d’Etat (AME). Mani-
festement soucieux d’incarner une
position d’équilibre entre les deux
ailes de son opposition, Edouard
Philippe a condamné l’idée d’une
«immigration zéro» comme la thèse
d’un «grand remplacement» de la
population, cette expression des
«ressorts les plus détestables du com-
plotisme». Comme ses ministres, le
chef du gouvernement a fait d’une
nécessaire «fermeté» la contrepartie
d’une «humanité» maintenue. Il a
ainsi jugé «archaïques» les procé-
dures d’accès au marché du travail,
facteur d’insertion et donc d’inté-
gration, s’affirmant convaincu que
«sans remettre en cause le principe
de l’autorisation individuelle, nous
devons les simplifier pour dynami-
ser» : «Aujourd’hui nous vivons une
situation ubuesque : les règles sont
draconiennes mais elles sont con-
tournées par le travail illégal.»
«MAin-d’œuvre»
C’est au regard d’une «singularité
française» que l’exécutif se propose
de raffermir sa doctrine. Alors que
le nombre total de demandes d’asile
a fortement baissé en Europe
depuis 2015, il est en nette hausse
dans l’Hexagone, alimenté en partie
par des flux en provenance de pays
jugés sûrs. «En définitive, ce sont les
personnes ayant [vraiment] droit à
la protection de la France qui en
pâtissent», a estimé Philippe, dans
un balancement typique des inter-
ventions ministérielles du jour,
évoquant la longueur du traitement
des demandes. «Lutter contre les
fraudes est un acte de justice car les
abus de quelques-uns peuvent ali-
menter une suspicion qui nuit à tous
les autres», a jugé Buzyn après lui,
annonçant une offensive contre les
«abus» dans la prise en charge des
soins aux migrants.
Si l’exécutif a renvoyé à l’après-dé-
bat la plupart de ses arbitrages, il
n’en a pas moins évoqué des «idées»
dignes, selon le Premier ministre,
d’être «approfondies» puis «rapide-
ment mises en œuvre». Les plus am-
bitieuses relèvent du niveau euro-
péen, où la France souhaite obtenir
une réforme de l’espace de libre cir-
culation dit Schengen, ainsi que du
règlement de Dublin, qui renvoie
la responsabilité d’un demandeur
d’asile à son premier pays d’enregis-
trement. La France serait aussi légi-
time, a jugé Philippe, à conditionner
son aide publique au développe-
ment à un «haut degré de coopéra-
tion» des pays bénéficiaires en ma-
tière de lutte contre l’immigration
clandestine.
A plus court terme, le gouvernement
a confirmé son intention d’agir sur
les règles françaises. «Je n’ai pas
peur de réfléchir à l’idée de quotas»
en matière d’immigration profes-
sionnelle, a annoncé Edouard Phi-
lippe aux députés, pour ajuster cel-
le-ci «à nos besoins de main-
d’œuvre». En matière d’immigration
familiale, c’est une «lutte contre la
fraude» et un «resserrement des cri-
tères là où cela s’impose» qu’a évo-
qués le Premier ministre, partisan,
en outre, d’un relèvement du niveau
exigible en langue française pour les
naturalisations par décret.
«Abus»
Et si Agnès Buzyn a consacré de
longs passages de son allocution
à défendre la prise en charge des
soins aux migrants, la ministre s’est
déclarée prête à ajuster le système
pour le protéger des «abus». Sur
l’AME, dispositif ouvert aux étran-
gers en situation irrégulière, elle a
jugé «légitime d’examiner ces dépen-
ses de manière plus approfondie» :
un rapport de l’Inspection générale
des affaires sociales (Igas), attendu
à la fin du mois, doit documenter les
fraudes éventuelles et «proposer des
pistes qui pourront tenir compte des
modèles en vigueur chez nos voisins»
- le gouvernement souhaitant, là où
le système français se montre plus
généreux, réduire cet écart. Si l’idée
d’une participation financière des
bénéficiaires est écartée d’avance,
la révision des soins couverts par
l’AME est sur la table, de même que
l’instauration d’un «accord préala-
ble» à son utilisation, hors soins ur-
gents. Quant à la couverture mala-
die universelle, ouverte pour sa part
aux demandeurs d’asile, une étude
sur l’existence d’éventuelles «filières
profitant du régime» est en cours,
et la piste d’un délai de carence de
trois mois envisagée.•
Analyse
Lundi, la majorité a lancé son débat
parlementaire sur l’immigration
en tentant un numéro d’équilibriste
entre «humanité» et «fermeté».
Mais les idées évoquées, quotas,
«resserrement des critères» ou
«lutte contre la fraude» penchent
surtout vers la droite.
Par
Dominique Albertini
Photo Albert Facelly
IMMIGRATION
L’exécutif se
débat avec le «et
en même temps»
france
Retrouvez le compte-rendu
des interventions des partis
de gauche lors du débat sur l’im-
migration lundi à l’Assemblée.
LIBÉ.FR
12 u Libération Mardi 8 Octobre 2019