Les Echos Mercredi 11 septembre 2019 IDEES & DEBATS// 11
opinions
rents. Aujourd’hui sont favorisés les
ayants droit de la dizaine de régimes
spéciaux (SNCF, RATP, industries élec-
triques et gazières, marins, clercs de
notaire, Opéra de Paris, Comédie-Fran-
çaise, Banque de France), qui représen-
tent au total 1 million de retraités pour
500.000 cotisants. Leur ratio démogra-
phique est ainsi deux fois plus défavora-
ble que celui du régime général : peu de
cotisations pour beaucoup de retraités.
Les pensions y sont servies plus tôt et,
donc, plus longtemps. Aucun de ces
régimes ne calcule le niveau de la
retraite à partir du salaire moyen des
vingt-cinq meilleures années, comme
dans le régime général, mais sur celui,
beaucoup plus avantageux, des six der-
niers mois. Les fonctionnaires, au nom-
bre de 5 millions pour 18 millions de
cotisants au régime général du secteur
privé, bénéficient aussi d’avantages
significatifs. Leur retraite est calculée à
hauteur de 75 % de la moyenne des trai-
tements des six derniers mois, hors pri-
mes.
Abandon des privilèges
Prévoir une réforme à enveloppe cons-
tante, c’est dire que tous ceux qui reçoi-
vent aujourd’hui plus que la moyenne,
soit parce qu’ils partent plus tôt en
retraite, soit parce qu’ils paient des coti-
sations moins élevées, soit parce qu’ils
jouissent d’une retraite plus avanta-
geuse, devront progressivement ren-
trer dans le rang au profit des moins
favorisés. D’où une question simple, à
laquelle on aimerait bien voir apporter
une réponse : combien au total, de
façon agrégée, coûtera aux perdants de
la réforme l’abandon de leurs privilè-
ges? Ne nous faisons pas d’illusion : on
parle ici encore en milliards d’euros. Or,
l’expérience a permis de vérifier ce que
le bon sens commande : prendre aux
uns pour donner aux autres, sans com-
pensation, cela ne marche pas.
La seule affirmation du principe
d’équité est donc génératrice d’un coût
important, celui des dépenses qu’il fau-
dra engager pour désintéresser par-
tiellement les perdants de la réforme.
A cela s’ajouteront quelques autres
milliards d’euros visant, à juste titre, à
améliorer la situation des plus défavo-
risés. Toute journée travaillée donnera
lieu à attribution d e points, ce qui dimi-
nuera la pénalisation dont souffrent
les carrières hachées. Et comment ne
pas se féliciter de l’adoption du prin-
cipe d’indexation des pensions, trop
souvent oublié? Encore faut-il savoir
sur quoi, les prix ou les salaires. L’évo-
lution du niveau de vie relatif des
retraités par rapport aux actifs dépend
de la réponse à cette question. Ici
encore, on est dans le flou. Enfin, qui
n’approuverait la fixation d’un niveau
minimal de pension à 85 % du SMIC,
proposée par Jean-Paul Delevoye.
Tout cela est bel et bon. Sauf que la
réforme coûtera de l’argent, beaucoup
d’argent. Rétablir l’équilibre financier
du système, prendre des mesures de
compensation pour les perdants de la
réforme, aider par équité ceux qui sont
aujourd’hui désavantagés, l’ensemble
représentera probablement plus de 1 %
du PIB, de l’ordre d’une trentaine de mil-
liards d’euros. Cet effort sera reflété
dans la valeur du point, qui sera plus
bas qu’anticipé. Disons-le plus simple-
ment : pour obtenir les ressources cor-
respondantes sans augmenter les coti-
sations ni diminuer les pensions, il
faudra travailler davantage et allonger
d’environ deux ans l’âge moyen effectif
de départ à la retraite, qui devra passer
de 63 à 65 ans. Peu importe, au stade
actuel, que ce soit par relèvement de
l’âge minimum, l’instauration d’un âge
pivot ou l’allongement des durées de
cotisation, les discussions byzantines
sur les modalités permettant de cacher
l’essentiel : seul compte le résultat.
Cette vérité, encore masquée, va finir
par apparaître en plein jour. On va alors
brusquement passer de l’universalisme
à l’immobilisme. Et sur la réforme des
retraites, une fois l’illusion disparue, le
président finira par sonner la retraite.
Jean Peyrelevade est économiste.
L’expérience a permis
de vérifier ce que le bon
sens commande :
prendre aux uns pour
donner aux autres, sans
compensation, cela ne
marche pas.
Retraites : l’équité a un prix
Emmanuel Macron promet un système de retraites plus juste, plus équita-
ble. Mais, pour l’heure, il se garde bien de dire comment le financer. Relè-
vement de l’âge minimum, instauration d’un âge pivot ou allongement des
durées de cotisation : il va falloir choisir au risque de sombrer dans l’im-
mobilisme.
DANS LA PRESSE
ÉTRANGÈRE
- Le titre du « China Daily » est sans
appel : « Hong Kong n’est pas dans votre
arrière-cour, et les Etats-Unis doivent le
savoir. » Le quotidien anglophone, qui
répercute la ligne du Parti communiste
chinois, accuse « certains manifestants à
Hong Kong » d’enfreindre la loi, « de per-
turber la vie normale, alors que des mil-
liers d’entre eux ont formé une chaîne
humaine » pour défendre leurs « préten-
dues revendications démocratiques à la
suite d’un week-end de violents affronte-
ments et d’une manifestation demandant
au président américain de “libérer” Hong
Kong ». Et il poursuit sur le même ton en
affirmant que, même après le retrait du
projet de loi sur l’extradition, « manifes-
tations et violences se sont poursuivies. Ce
qui prouve que les contestataires sont hyp-
notisés dans leur foi de croire à l’impossi-
ble : qu’ils peuvent “libérer” la ville ». Ils ne
veulent pas réaliser, ajoute le journal en
dénonçant des « interférences étrangè-
res », que, sous aucune circonstance,
Pékin transigera sur la souveraineté de
Hong Kong. Et il s’en prend directement
à la présidente de la Chambre des repré-
sentants, Nancy Pelosi, et au sénateur
Marco Rubio, qui « appellent des actions
quasi terroristes un combat pour la démo-
cratie, la liberté et les droits de
l’homme ». Car, pour le journal, les Etats-
Unis « ont une longue histoire de fourrer
leur sale nez dans les affaires intérieures
des autres pays », et il cite la région auto-
nome ouïgoure du Xinjiang, sans évo-
quer les nombreuses dénonciations des
ONG sur le sort réservé aux Ouïgours. E n
attendant le « China Daily » met en garde
les habitants de Hong Kong contre le
« complot » des Etats-Unis en les appe-
lant à s’y opposer. Une dénonciation d e la
soi-disant mainmise étrangère qui con-
firme l’embarras de Pékin face à une
situation qu’il ne maîtrise plus. —J. H.-R.
Pékin à Washington : « Pas
touche à Hong Kong! »
LE MEILLEUR DU
CERCLE DES ÉCHOS
Apprentissage
du numérique :
les trois défis de l’école
Gérald Karsenti, professeur affilié à HEC
Paris, souligne les efforts que devra fournir
l’école pour préparer les nouvelles
générations au monde du numérique.
INTÉGRER LE NUMÉRIQUE « Une étude
récente nous apprend ainsi que 19 % des
Français auraient renoncé au moins une fois
au cours des douze derniers mois à une
démarche à faire sur Internet. Si 94 % de la
population française est équipée, 30 %
peinent encore à naviguer, alors que 21 %
sont des “d igital natives”. [...] Acculturer et
former les enfants au numérique implique à
la fois de leur inculquer une connaissance
technologique, mais aussi d’intégrer le
numérique dans les processus de travail et
d’apprentissage. »
NOUVEAU CURSUS « Le succès de l’école
42, créée par Xavier Niel pour répondre à la
pénurie de développeurs très demandés
dans l’industrie numérique, a montré
l’urgence d’imaginer de nouveaux cursus.
[...] Les nouvelles générations devront avoir
l’opportunité de se former dès leurs
premières années avec des cours dédiés, des
évaluations et des professeurs spécialisés.
Cela implique bien entendu des évolutions
en termes de pédagogie, de formation des
enseignants et d’équipements. Et le défi bien
entendu sera de faire les bons choix tant
cette “matière” évolue et se périme vite. »
ESPRIT CRITIQUE « Pour préparer au
mieux les futures générations à ce monde
toujours plus numérique, l’école va aussi
pouvoir leur apporter un cadre sécurisant
pour tous. [...] Plutôt que de se recroqueviller
sur ces craintes, il est important de guider les
interactions de toutes ces nouvelles générations
avec les écrans : apprendre à vérifier
l’information, savoir protéger sa vie privée,
poser des limites sur les réseaux sociaux... »
a
A lire en intégralité sur Le Cercle :
Ernie lesechos.fr/idees-debats/cercle
Chan/CC
by SA 3.O
L
a France a besoin de vérité. Or, nos
hommes politiques sont le plus
souvent élus grâce à des promes-
ses qu’ils sont ensuite incapables
d’honorer. D’où le passage rapide de
l’euphorie qui entoure l’arrivée au pou-
voir du nouveau président à la défaveur,
voire au rejet. C’est ainsi que, mandat
après mandat, la démocratie s’affaiblit.
Contrairement à ce qu’il prétend,
Emmanuel Macron n’est pas la créature
d’un nouveau monde. A l’image de ses
prédécesseurs, il annonce plus qu’il ne
peut tenir. Mais avec une différence
notable. Ses constructions intellectuel-
les, visant au modernisme, sont souvent
plus sophistiquées, plus complexes et il
faut du temps et une bonne capacité
d’analyse pour que leurs failles se révè-
lent. Elles n’en sont pas moins profondes,
au contraire. La question des retraites en
fournit un exemple flagrant. Pendant sa
campagne électorale, le candidat
annonce trois choses importantes : le
régime étant pratiquement à l’équilibre,
on n’a pas besoin de reculer l’âge mini-
mum fixé à 62 ans, ni bien sûr d’augmen-
ter les cotisations, ni de diminuer le
niveau des pensions. D’où l’opportunité
unique et magnifique de substituer aux
42 régimes existant un seul système uni-
versel où chaque point cotisé donnerait
les mêmes droits, c e qui serait une formi-
dable garantie de justice.
Malheureusement, ce discours gran-
diose repose sur une triple illusion qui
se dissipe peu à peu. La première, l a plus
banale, celle qui relève directement de
l’ancien monde, consiste à affirmer
comme équilibré un régime qui ne l’est
pas. Selon le dernier rapport annuel du
Conseil d’orientation des retraites, le
déficit s’élèvera à 0,4 % du PIB en 2022
(10 milliards d ’euros) et le retour à l’équi-
libre est renvoyé à une date indétermi-
née. La suite est un peu plus compli-
quée. Les régimes existant ont des
règles propres qui font qu’un même
euro cotisé y ouvre des droits fort diffé-
LA
CHRONIQUE
de Jean
Peyrelevade
LE LIVRE
DU JOUR
L’anthropocène
en données
LE PROPOS Pas un jour ne se passe
sans qu’il ne soit question, sous une
forme ou sous une autre, de climat.
C’est dans ce contexte qu’est publié
« Atlas de l’anthropocène ».
Son objectif : réunir l’ensemble des
données sur la crise écologique
actuelle. Biodiversité, pollution
atmosphérique, catastrophes
naturelles, crises sanitaires, mais
aussi mobilisations sociales ou
sommets internationaux...
Chacune des nombreuses
thématiques est présentée sur deux
pages qui mêlent textes, graphiques
et cartes. D’une présentation très
pédagogique et éclairante, l’ouvrage
pose les éléments d’un sujet
ô combien complexe et dégage des
pistes pour l’avenir. Indispensable,
pour un sujet sur lequel « fake
news » et polémiques se multiplient
sans fin.
LES AUTEURS Chercheur
et directeur de l’Observatoire Hugo
à Liège (Belgique), François
Gemenne est membre du GIEC.
Egalement chercheur, Aleksandar
Rankovic enseigne à Sciences po.
LA CITATION « Les scientifiques
ont été de formidables lanceurs
d’alerte – jusqu’à nous apprendre
que nous étions entrés dans
l’anthropocène. Au moins autant
d’efforts leur restent à accomplir
pour évaluer et faire connaître
toutes les expériences de
transformation, pour construire un
dialogue vivace, ouvert mais
exigeant, à partir des résultats
concrets. De la stupeur et du
tremblement, il faut passer à
l’invention. »
—Marianne Bliman
Atlas de l’anthropocène
de François Gemenne,
Aleksandar Rankovic
et l’Atelier de cartographie
de Sciences Po. Presses de Sciences
Po, 162 pages, 25 euros.