Les Echos - 11.09.2019

(Kiana) #1
Bien ancrés dans l’air du
temps, les partenariats
entre deux grands noms
nécessitent de veiller à la
cohérence des position-
nements et à la lisibilité
de la collaboration pour
les consommateurs.

Grâce à Franprix, Hema va pouvoir multiplier le nombre de ses points de contact avec les consommateurs français. Photo Seignette Lafontant

Les alliances


de marques,


un jeu subtil


lL’enseigne alimentaire accueille le spécialiste hollandais de la maison et de la petite décoration.


lElle élargit son offre et renonce à construire elle-même ses gammes non alimentaires.


lLe mariage des deux marques fortes sera étendu à plus de 900 points de vente.


Franprix installe Hema dans ses rayons


DISTRIBUTION


expérience similaire dans un
Auchan. Des expériences qui ont de
grandes chances de se concrétiser
rapidement car l’hypermarché n’a
plus les moyens de tenir seul la pro-
messe du « tout sous le même toit ».
La croissance de l’e-commerce,
qui occupe de 10 % à 20 % du mar-
ché selon les secteurs, a vidé les
rayons. Les spécialistes sont les
seuls à pouvoir rivaliser avec Ama-
zon. Quand le trafic baisse et les
mètres carrés de trop se multi-
plient, il faut faire évoluer l’offre.
Quand on n’a plus les moyens
d’investir, on demande de l’aide.
Dans son nouveau concept
« Next », à Dijon, Carrefour pré-
sente une avenue du frais, appelée
« Fresh Avenue » (alors que le
groupe se targue de donner une
couleur locale à ses magasins...).
Cette dernière se compose d’une
demi-douzaine de stands de restau-

ration ouverts sur l’allée principale
du centre commercial de la Toison
d’or. La ligne de caisses a été effacée
et regroupée dans un carré sur le
côté de la surface de vente.

Cinq partenaires
pour la restauration
Le magazine spécialisé « Linéai-
res » note que les huit stands sont
exploités par cinq partenaires :
Kelly Deli pour les sushis, Korma
Kitchen pour les spécialités indien-
nes, Mix Buffet pour le bar à sala-
des, Vertu Food pour les fruits et
légumes prédécoupés, les Cafés
Richard pour les boissons chaudes
et Feel’n Good pour la rôtisserie. Le
PDG, Alexandre Bompard, a
reconnu que son groupe ne pouvait
suivre seul l a révolution e n cours d u
commerce. Il s’est associé à l’anglais
Tesco pour les produits à marque
propre et à Google pour la gestion

Partenariats, concessions :


quand les enseignes se mélangent


L’hypermarché devient un grand
magasin. Darty a investi les rayons
d’électroménager des Carrefour de
La Ville-du-Bois, au sud-ouest de
Paris, et de Limoges. L’enseigne
rouge et blanc y occupe 1.000 et
700 m^2. Une dizaine de salariés ven-
dent des téléviseurs et des machi-
nes à laver. Carrefour est devenu
franchisé de Darty. Le groupe
FNAC Darty a lui-même inscrit
dans son plan Confiance + la multi-
plication de ce type de partenariats.
C’est Boulanger, la marque cousine
de la galaxie Mulliez, qui mène une

Darty chez Carrefour,
Boulanger chez Auchan,
Cdiscount dans les Géant
Casino, Hema chez
Franprix... Les distributeurs
multiplient les opérations
croisées pour résister
à la vague de l’e-commerce.

Clotilde Briard
@ClotildeBriard

Nouer des a lliances fait f igure de
nouveau sport pour les mar-
ques. Souvent, ces collabora-
tions restent éphémères, le
temps d’une série limitée ou
d’une cohabitation dans un
« pop-up store ». De quoi réduire
les risques si le mariage ne
prend pas. Mais, de plus en plus,
les partenariats se montrent
pérennes, à l’image de celui que
viennent d’annoncer Franprix
et Hema dans le non-alimen-
taire. Car à une époque où la
concurrence s’exerce tous azi-
muts, c’e st un bon moyen d’élar-
gir son champ d’action. Et, pour
un distributeur, de se doter, à
moindres frais, d’une image de
multispécialiste.

Trouver le bon candidat
Il reste cependant à trouver le
bon candidat, celui qui saura
apporter son univers sans
phagocyter l’enseigne qui
l’accueille. Et à rendre la propo-
sition lisible pour les consom-
mateurs. « Les avantages sont
multiples, du complément d’offre
à l’apport de compétence, en pas-
sant par la hausse du panier
moyen et du trafic. Mais il faut
veiller à aller a u bout de la démar-
che en gardant une approche axée
sur le client. Les prix doivent être
cohérents et les produits vendus
dans un corner sous l’égide d’une
autre marque ont intérêt à faire
partie du programme de fidélité
de l’enseigne », avertit Frank
Rosenthal, expert en marketing
du commerce et fondateur du
cabinet portant son nom.
Les griffes dotées d’une vraie
personnalité et d’un ADN fort
sont les mieux placées pour se
prêter à la collaboration. C’est ce
qui permettra au duo de perdu-
rer. A condition de mettre en
avant la convergence de leur
positionnement. « La logique
doit être affinitaire. Franprix, qui
a noué de nombreux partena-
riats, a développé une proposi-
tion autour de l’apport de solu-
tions. C’est un terrain sur lequel
Hema veut aussi se situer », ana-
lyse Martin Piot, directeur géné-
ral de W, agence de stratégie
et de création consacrée aux
marques.

Gare au retour en arrière
Les alliances ne manquent pas
d’atouts. Mais comportent
aussi des risques. Revers de la
médaille, si celles-là fonction-
nent bien, il devient difficile de
revenir en arrière sans envoyer
aux clients le signal d’une perte
d’expertise sur le segment con-
cerné. Le mouvement n’est en
tout cas pas près de s’arrêter. Il
correspond trop b ien à l’époque.
« Face aux attentes d’expérience
des consommateurs, il devient
indispensable de miser sur
l’hybridation. Ensemble, on est
toujours plus fort », estime
Martin Piot. Internet a préparé
le terrain. Le passage d’une mar-
que ou d’une enseigne à l’autre
s’y fait d’un seul clic.n

ANALYSE


Philippe Bertrand
@Bertra1Philippe


« L’e-commerce réécrit les règles de la
distribution. » Le PDG de Hema,
Tjeerd Jegen, a justifié mardi le par-
tenariat que l’enseigne néerlan-
daise a noué avec Franprix, qui pro-
pose dans 15 de ses supermarchés
franciliens entre 1 à 4 mètres linéai-
res de produits d e la marque hollan-
daise. Un assortiment de 250 à
300 références en moyenne com-
posé d’articles de cuisine, de petits
objets de décoration, de papeterie et
de textile.
L’offre tient du dépannage dans
ces deux dernières catégories avec,
notamment, quelques serviettes de
toilettes, des sous-vêtements et des
chaussettes. Le rayon cuisine est
plus complet. Il présente des tire-
bouchons, des couteaux, spatules,
passoires, ainsi que des verres à vin,
des torchons, des boîtes et bocaux.
En matière de décoration, les bou-
gies jouxtent les guirlandes et les
assiettes dorées d’anniversaire.
Une cinquantaine de Franprix
bénéficieront de cette offre addi-
tionnelle à partir de fin novembre.
« Ce sont à 80 % des produits que
nous ne vendions pas », précise le
président du réseau du groupe
Casino, Jean-Paul Mochet. L’ensem-
ble de la chaîne (900 points de vente
environ) sera équipé à terme.
« L’alimentaire est notre métier,
explique le dirigeant. Pour le reste,
nous nous associons à des spécialis-
tes. » Franprix travaille avec Cdis-
count (filiale, comme lui, de Casino)
pour le petit électroménager et
Western Union pour le transfert
d’argent.


Grâce à Franprix, Hema va pou-
voir multiplier le nombre de ses
points de contact avec les consom-
mateurs français. L’enseigne, née en
1929 aux Pays-Bas, fête sa dixième
année de présence dans l’Hexa-
gone, où elle compte 74 magasins
(sur un total de 770 dans 10 pays),
dont 32 à Paris. Ils réalisent 150 mil-
lions d’euros de chiffre d’affaires
annuel. Hema vend à petits prix. Le
tarif moyen des objets que Franprix
vend descend sous la barre des
5 euros. « Nous ouvrirons à Vélizy 2
[le grand centre commercial de la
banlieue ouest d e la capitale, NDLR]
et près d’Alésia dans Paris. Puis, ce
seront les gares de l’Est et Montpar-
nasse. Pour nos magasins, nous pri-
vilégions les lieux de fort trafic »,
commente Tjeerd Jegen.
Jean-Paul Mochet réfléchit à une
alliance avec Hema depuis 2015.
« Les discussions ont repris il y a trois
mois », raconte le dirigeant, qui a
succédé cet été à Régis Schultz à la
tête de Monoprix, qu’il gère en
parallèle de Franprix. L’enseigne
premium de centre-ville développe
des lignes de textile, d’art de la table
et de décoration à sa marque. Pour-
quoi Franprix n’a-t-il pas puisé à
cette source? « Franprix et Mono-
prix opèrent sur le même territoire,
mais sur des terroirs différents, com-
mente-t-il. Les deux marques ne peu-
vent être mélangées. » Les Franprix
et les Monoprix ou Monop’ parta-
gent souvent les mêmes rues, à Paris
notamment. Suggérer aux clients
que les deux réseaux ont partie liée
ruinerait les effets de cette discrète
autoconcurrence. Hema n’est pas
présent à tous les coins de rue.n


Le tarif moyen des


objets que Franprix


vend descend sous


la barre des 5 euros.


des données clients. Les Géant
Casino ont concédé leurs rayons
d’électronique grand public à Cdis-
count. La tendance se généralise.
Le hollandais Hema, spécialiste de
la maison et d e la décoration à petits
prix, s’invite sur le site et les maga-

sins canadiens de Walmart... et
chez Franprix. Dans les années
1970, les hypermarchés ont donné
un coup de vieux aux grands maga-
sins. Aujourd’hui, ils adoptent
à leur tour la politique qui consiste
à louer leur espace à d’autres
marques. —P. B.

L’ hypermarché
n’a plus les moyens de
tenir seul la promesse
du « tout sous
le même toit ».

ENTREPRISES


Mercredi 11 septembre 2019Les Echos

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