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MERCREDI 11 SEPTEMBRE 2019 planète | 7
Début de consensus pour le barrage de Sivens
Cinq ans après la mort de Rémi Fraisse, les réels besoins en eau des agriculteurs irrigants vont être évalués
L
e plus emblématique des
projets français de stoc
kage de l’eau vient de
franchir une étape signi
ficative. Après cinq ans de tergi
versations et blocages et près de
quatre heures de réunion à Lisle
surTarn, lundi 9 septembre, la re
tenue de la vallée du Tescou, dans
le Tarn, plus connue sous le nom
de barrage de Sivens, a débouché
sur un compromis. Une étude,
menée sous la tutelle de l’Agence
de l’eau AdourGaronne, devra
déterminer d’ici à fin 2019 quels
sont les besoins réels dans la val
lée, des agriculteurs irrigants en
particulier, avant de se pencher
sur la question des infrastructu
res et des volumes nécessaires.
Depuis la mort de Rémi Fraisse il
y a cinq ans, cette question est res
tée sans réponse.
Le jeune homme de 21 ans a
trouvé la mort la nuit du 25 octo
bre 2014, touché par une grenade
offensive des gendarmes mobi
les, lors de la manifestation qui
s’était tenue sur le site de la zone
humide fraîchement déboisée,
dans la forêt de Sivens. Aupara
vant, la bataille de l’eau dans le
Tarn avait causé nombre de bles
sés lors de descentes musclées
d’agriculteurs et de heurts avec la
gendarmerie, suscité des grèves
de la faim et bien des nuits pas
sées dans les arbres par ceux qui
allaient contribuer à faire passer
le terme de « zadiste » dans le lan
gage courant. Les premiers d’en
tre eux étaient arrivés sur place
pour protéger la forêt dès 2013.
Dans le Tarn, toutes ces tensions
sont encore perceptibles. Résul
tat : la situation est bloquée. Plus
rien n’avance. Ni les solutions
pour satisfaire la demande des ir
rigants – tous les travaux ont été
totalement arrêtés en 2015, avant
même la décision d’annulation
de la déclaration d’utilité publi
que l’année suivante. Ni le contrat
de territoire qu’une cinquantaine
d’élus, associations opposées à la
retenue d’eau du Tescou, repré
sentants agricoles et autres ac
teurs locaux sont censés élaborer
ensemble. Un contrat de terri
toire est un projet partagé qui doit
pouvoir favoriser le développe
ment, la qualité de vie, la cohé
sion d’un secteur.
Sécurité d’alimentation
Concrètement, celuici sousen
tend de concilier à la fois des éco
nomies d’eau et une sécurité d’ali
mentation pour l’ensemble des
usagers – les exploitants au pre
mier chef –, tout en préservant la
faune et la flore aquatiques en pé
riode d’étiage. L’objectif, ambi
tieux, peut passer par des change
ments dans les types de cultures,
des conversions de cantines mu
nicipales vers des achats en cir
cuits courts et bio, une meilleure
utilisation des retenues déjà exis
tantes et, en dernier lieu, de nou
velles infrastructures correcte
ment dimensionnées.
C’est là que le bât blesse depuis
des années. Dans le diagnostic
que la chambre d’agriculture du
Tarn a commandé de sa propre
initiative, en 2018, le scénario
« idéal » serait « sans contrainte »
et conduirait à « un développe
ment plus important des besoins
en irrigation ». Celuici nécessite
rait près de 4 millions de mètres
cubes supplémentaires par rap
port à la situation actuelle pour
toute une saison, afin de tenir
compte du réchauffement clima
tique. Dans cette étude, la con
sommation des cultures est gé
néreusement évaluée : 1 000 mè
tres cubes par hectare pour les
pois chiches et la luzerne,
2 200 m³ pour le soja et le maïs en
grains, 3 500 m³ pour les fruits et
légumes... Les exploitants sont
notamment tenus par les con
trats qu’ils passent avec les coo
pératives : cellesci exigent des ré
serves hydriques importantes
chez chacun.
La chambre d’agriculture (qui
n’a pas répondu aux sollicitations
du Monde) continue aujourd’hui
de réclamer un ouvrage capable
de contenir 1 million de mètres
cubes sur le Tescou – au lieu de
1,5 million comme le prévoyait le
projet initial. Cette éventualité fi
gure bel et bien dans le compro
mis signé lundi. Celuici consti
tue, néanmoins, une avancée
pour Françoise Blandel, militante
de longue date pour la sauve
garde de la zone humide du Tes
cou au sein de l’association Union
protection nature environne
ment Tarn. « On va arrêter de tour
ner autour du pot et évaluer enfin
les véritables besoins, aucune
étude n’est allée jusqu’au bout de
la question jusqu’à présent », rap
portetelle.
A l’échelle nationale, le dossier
de la forêt de Sivens est suivi de
très près, car les projets de stoc
kage d’eau se multiplient au fur
et à mesure des épisodes de sé
cheresse. Actuellement, 86 dé
partements français sont en si
tuation d’alerte, voire de crise, et
plus de 200 arrêtés préfectoraux
de restriction sont en cours.
Après deux mois très secs, la
France recense des centaines
d’hectares incendiés ces derniers
jours en CharenteMaritime,
dans l’Aude, l’Indre...
La profession agricole s’in
quiète à juste titre du change
ment climatique. Elle martèle
une réponse : creuser un maxi
mum de bassines ou construire
des barrages, et les remplir soit en
pompant dans les rivières, soit en
comptant sur les précipitations,
en hiver, pour pouvoir arroser en
été sans plus redouter les arrêtés
qui limitent l’irrigation. Le minis
tre de l’agriculture, Didier
Guillaume, est sur la même ligne.
Le 29 août, il a assuré qu’il avait
obtenu du premier ministre le
feu vert pour relancer rapide
ment la réalisation de retenues
d’eau. L’objectif serait d’en cons
truire 60 d’ici à 2022.
De son côté, la secrétaire d’Etat
auprès de la ministre de la transi
tion écologique et solidaire, Em
manuelle Wargon, s’est montrée
moins enthousiaste. Les retenues
« ne sont pas une panacée », at
elle affirmé à l’issue du comité de
suivi hydrologique réuni à Paris le
même jour. Au début de l’été, le
gouvernement a d’ailleurs an
noncé son nouveau mot d’ordre :
réduire les prélèvements hydri
ques dans la nature de 10 % d’ici à
2025 et de 25 % d’ici à 2035. Les hy
drologues soulignent, en effet,
que le stockage n’est qu’une solu
tion de court terme, qui n’encou
rage pas les efforts d’économie
d’eau et risque, au contraire, de se
solder par des sécheresses plus in
tenses au bout de quelques an
nées, les nappes souterraines
n’ayant pu se recharger convena
blement. En mai, le gouverne
ment a donc envoyé une cir
culaire aux préfets, les engageant
à relancer les projets de territoire
pour la gestion de l’eau.
En déplacement à LislesurTarn
le 27 août, Emmanuelle Wargon a
engagé toutes les parties à s’ac
corder. « Le projet finalisé, l’Etat
saura être là financièrement », at
elle promis.
martine valo
Toutes les quarante secondes, une personne met fin à ses jours
Le suicide cause, dans le monde, quasiment deux fois plus de morts que le paludisme ou les homicides, alerte l’OMS dans un rapport
P
rès de 800 000 personnes
meurent en se suicidant
chaque année dans le
monde, soit quasiment deux fois
plus de morts que n’en causent le
paludisme ou les homicides.
« Toutes les quarante secondes,
une personne met fin à ses jours
dans le monde », annonce l’Orga
nisation mondiale de la santé
(OMS) dans un rapport rendu pu
blic lundi 9 septembre, « Suicides
dans le monde », deuxième édi
tion après un premier rapport
publié en 2014.
Le suicide reste la deuxième
cause de mortalité, derrière les
traumatismes dus aux accidents
de la route, chez les jeunes de 15 à
29 ans. Il est aussi la deuxième
cause de mortalité chez les jeunes
filles de 15 à 19 ans, derrière les
complications liées à la grossesse
et à l’accouchement, et la troi
sième chez les garçons dans cette
tranche d’âge, après les accidents
de la route et la « violence interper
sonnelle ». L’OMS rappelle que
79 % des suicides ont lieu dans les
pays à faible revenu et intermé
diaire. Si le taux mondial était es
timé, en 2016, à 10,5 pour
100 000 habitants, les taux va
rient de 5 à 30. L’agence onu
sienne précise également que
moins de la moitié des Etats mem
bres (80 sur 183) disposent de don
nées de bonne qualité, en particu
lier dans les pays à faible revenu.
Cela étant, les statistiques par
continent ou grande région per
mettent d’identifier les pays où le
suicide est le plus fréquent. En
Europe, si le taux en France est
établi à 12,1 pour 100 000 habi
tants, il s’élève à 26,5 en Russie,
25,7 en Lituanie ou encore 18,5 en
Ukraine. En Amérique, les Etats
Unis connaissent un taux relati
vement élevé avec 13,7, mais loin
derrière l’Uruguay, 16,5, ou le Su
rinam 23,2.
« Par pesticides »
En Afrique, les pays connaissant
les plus forts taux de suicide sont
le Lesotho (28,9), la Côte d’Ivoire
(23) et l’Ouganda (20). Dans les
autres régions du monde, asiati
ques notamment, les pays qui
présentent les taux les plus forts
de suicide sont la Corée du Sud
avec 20,2, l’Inde, avec 16,5 ou en
core le Japon avec 14,3.
Ce déséquilibre entre écono
mies développées et pays en voie
de développement explique l’im
portance que prennent les pesti
cides dans la réalisation de l’acte.
Ainsi que le précise l’OMS, « les
méthodes les plus courantes sont
la pendaison, l’autoempoisonne
ment par les pesticides et les ar
mes à feu ».
« Les pesticides sont des produits
parmi les plus faciles d’accès, en
particulier dans les grands pays
ruraux comme la Chine ou l’Inde.
20 % des suicides dans le monde
sont réalisés avec des pesticides,
car ce ne sont pas seulement des
agriculteurs qui utilisent ces pro
duits et, surtout, qui y ont un accès
facile », explique Mark Van Om
meren, psychologue, coordina
teur du service de santé mentale
de l’OMS.
Dans un rapport spécifique réa
lisé en commun avec l’Organisa
tion des Nations unies pour l’ali
mentation et l’agriculture (FAO),
« La prévention du suicide : indi
cations pour les services d’ho
mologation et réglementation
des pesticides », publié lui aussi
lundi 9 septembre, l’agence onu
sienne de santé établit un lien en
tre l’accessibilité aux pesticides
dangereux et le nombre de suici
des. Elle estime qu’« entre
110 000 et 168 000 suicides par in
gestion de pesticides se déroulent
chaque année dans le monde »,
dont 95 % dans les pays à faible
revenu et intermédiaire.
Une dizaine d’années plus tôt,
l’OMS avait déjà alerté sur ce pro
blème et suggéré des stratégies
pour limiter le nombre de ces sui
cides. L’une d’entre elles avait été
la promotion de « boîtes fermées
à clé » pour stocker ces produits
dangereux. « Utile, mais pas suffi
sant », témoigne Mark Van Om
meren. « Les suicides sont sou
vent des gestes impulsifs, et si le
moyen est inaccessible ou très
complexe d’accès, cela peut suffire
à réduire leur nombre. D’autre
part, quand des gens attentent à
leur vie par empoisonnement, si le
produit ingéré est moins dange
reux, les chances de survie sont
plus importantes », avance en
core le psychologue.
Série d’interdictions au Sri Lanka
La forte toxicité de nombreux
produits chimiques – dont le pa
raquat et le propanil pour les her
bicides, le phosphure d’alumi
nium pour tuer les rongeurs, ou
encore le monocrotophos (inter
dit en Europe) et le parathion, des
insecticides – signifie que « les
tentatives de suicide par leur in
gestion conduisent souvent à la
mort, en particulier dans des si
tuations où il n’existe pas d’anti
dote ou d’établissements médi
caux à proximité », précise l’Orga
nisation mondiale de la santé.
Le but est donc, pour l’OMS, de
pousser à l’interdiction des pro
duits les plus dangereux, dont
certains sont déjà prohibés dans
certaines régions du monde,
dont l’Europe. De nombreuses
données montrent, selon ce rap
port, « que l’interdiction du re
cours aux pesticides très dange
reux peut faire baisser les taux de
suicides nationaux ».
Et de citer l’exemple du Sri
Lanka, où une série d’interdic
tions a entraîné une baisse de
70 % du nombre de suicides, en
tre 1995 et 2015, épargnant ainsi
la vie de 93 000 personnes. En
Corée du Sud, où l’herbicide para
quat avait été à l’origine de dizai
nes de milliers de suicides dans
les années 2000, son interdic
tion, en 2011, a eu pour consé
quence la diminution de moitié
du nombre de décès par inges
tion de pesticides dans les deux
années suivantes.
« Il est notable que les morts par
autoempoisonnement sont moins
nombreuses dans les pays à haut
revenu, là où les pesticides les plus
dangereux sont interdits, où les
restrictions d’usage sont les plus
importantes et où les pulvérisa
teurs professionnels usent de
moyens mécaniques et technolo
giques », indique le document.
Selon l’OMS, une interdiction
mondiale des produits les plus
dangereux permettrait d’éviter
des dizaines de milliers de morts
chaque année.
rémi barroux
L’Organisation
mondiale de
la santé rappelle
que 79 % des
suicides ont lieu
dans les pays
à revenu faible
et intermédiaire
Une zone
déboisée
près de
Lislesur
Tarn (Tarn),
en août 2017.
REMY GABALDA/AFP
A l’échelle
nationale,
le dossier est
suivi de très près,
car les projets de
stockage d’eau
se multiplient
LES DATES
16 JANVIER
En recevant un rapport
commandé peu après la mort
de Rémi Fraisse, survenue le
24 octobre 2014, la ministre
Ségolène Royal déclare que le
barrage de Sivens, que les ex-
perts ont jugé surdimensionné,
« n’est plus d’actualité ».
1
ER
JUILLET 2016
Le tribunal administratif de
Toulouse annule les trois décrets
préfectoraux qui autorisaient
la construction de la retenue
d’eau à la place d’une zone hu-
mide sur le Tescou, la privant de
sa déclaration d’utilité publique.