[...] La gratuité – l’ingénuité – de la joie
prend au dépourvu notre hâte, notre
ambition, notre prétention à être les
artisans compétents et solitaires de notre
bonheur », continue le Frère François
Cassingena-Trévedy.
AVANT DE LA RECEVOIR,
IL FAUT LA DONNER
C’est sans doute cela le secret de la joie :
avant de la recevoir, il faut la donner.
La joie demande un autre, à qui on la
donne. L’Autre par excellence, c’est Dieu,
et l’on se donne à Lui par la médiation
des autres humains, en les aimant jusqu’au
bout, quand bien même cela nous coûte.
Dans La Joie de l’Évangile, le pape François
évoquait cette « douce et réconfortante
joie d’évangéliser », qui est la joie d’aller
donner à l’autre son trésor le plus cher :
« Celui qui désire vivre avec dignité et
plénitude n’a pas d’autre voie que recon-
naître l’autre et chercher son bien. »
Là encore, le message percute de plein
fouet notre société et va à l’encontre de
l’homme numéro, indifférencié, déculturé :
il faut une différence pour atteindre l’unité,
sinon, soulignait Gustave Thibon dans
une de ses conférences, « les hommes, à
force de se ressembler, finissent par ne plus
se reconnaître ». Et le philosophe paysan
de conclure, en citant Origène : « Rien
ne peut changer en mieux dans l’homme
“indivinement”, c’est-à-dire sans l’aide
de Dieu, sans cet amour et cette lumière
qui viennent de plus loin que le monde. »
Oui, la joie vient de Dieu quand Il se
donne à travers nous. « Le divin Maître
[...] se tient toujours sur les hauteurs pour
nous y attirer, et sans cesse en mouve-
ment pour que nous nous efforcions de
Le rejoindre », écrivait Dom Augustin
Guillerand en méditant sur l’Évangile de
Jean. « Sa joie, c’est ce mouvement qu’Il
provoque : Il le provoque dans l’âme,
Il est donc dans l’âme ; l’âme Lui est donc
unie ; c’est ce qu’Il désire : se donner, s’unir
dans ce mouvement qui est sa vie et qui
devient notre vie. » Aucune joie n’est pos-
sible sans Dieu, aucune joie n’est possible
en dehors de Lui. g Théophane Leroux
> Fin de cette série d’été.
L
a joie dilate la
respiration, la colère,
la peur et la tristesse
la contracte.
« Dès que la joie se lève, tout
s’élargit. Notre respiration se fait
plus ample, notre corps se
redresse et nous voudrions sauter,
bondir, courir, danser », souligne
le philosophe Jean-Louis Chrétien
dans son ouvrage La Joie
Spacieuse, Essai sur la
dilatation (1). Avec la joie,
l’existence retrouve sa
boussole. En effet, elle porte
en elle une vocation : réveiller,
dilater, ouvrir et rappeler
qui nous sommes et vers
Qui nous allons.
Presque tous les enfants
sont joyeux. Ils ne savent pas
pourquoi, c’est constitutif
de leur nature. Comme elle est
« une chose dont personne ne
peut se dire sans expérience »,
écrit saint Augustin dans
ses Confessions (2), nous la
retrouvons dans notre mémoire
et la reconnaissons. La mémoire
de la joie est pour l’avenir,
pour mieux aimer et servir.
Qui dit joie dit Dieu, d’une
certaine façon. Si la source
de la joie est Dieu, et si nous
avons perdu la joie, cela signifie
que nous sommes aux abonnés
absents, sans direction,
sans gouvernail, errants
dans le vague. La joie dans
la prière naît de l’amitié : l’amitié
de Dieu, l’amitié des autres.
Si Dieu est amour, Il est joie
aussi, si nous croyons en Lui
cela veut dire que nous sommes
habités par son Amour et aussi
par sa joie. Retrouver la joie,
la cultiver, l’apprendre,
c’est finalement entrer
dans les « mœurs de Dieu »,
dans sa manière d’être avec
nous, car elle est le contraire de
l’individualisme et de l’égoïsme.
La joie est donc le signe
visible de notre vie spirituelle,
c’est-à-dire de notre vie
avec Lui.
Nous sommes faits pour la joie,
et lorsque je suis au cœur de ma
joie, je suis là où je suis ce que
je suis vraiment : un être de joie
fait pour la joie, fait de joie.
Saint Augustin nous indique
le chemin, toujours dans
les Confessions (3) : l’Esprit Saint
est le « poids » qui mène le cœur
de l’homme vers le lieu
de son repos et de sa joie.
Celui qui demeure dans la joie
demeure aussi en Dieu. g
Sœur Catherine Aubin
(1) Les Éditions de Minuit, 2007. (2) X, 21, 31.
(3) XIII, 9, 10.
La joie
Une boussole qui
indique le grand large
Nous sommes faits pour la joie.
La retrouver, la cultiver, l’apprendre,
c’est entrer dans « les mœurs
DR de Dieu^ ».
FAMILLECHRETIENNE.FR • N°2171 • SEMAINE DU 24 AU 30 AOÛT 2019 • 31
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