Echos - 2019-08-06

(Brent) #1

18 // FINANCE & MARCHES Mardi 6 août 2019 Les Echos


Guerre commerciale : la riposte chinoise


provoque une onde de choc sur les marchés


l Après l’annonce d’une nouvelle salve de taxes douanières américaines, les principaux indices ont chuté de plus de 2 %.


lLes autorités chinoises ont laissé leur devise se déprécier et passer la barre symbolique de 7 yuans pour 1 dollar.


également l e cas de la dette néerlan-
daise, tout aussi bien notée mais
aux encours moins importants. La
« courbe suisse » – l’ensemble des
taux par échéance – est désormais
dans le rouge jusqu’à 50 ans!
En France, le taux de l’OAT de
référence à 10 ans, négatif depuis
juillet, a également battu un nou-
veau record historique à – 0,24 %
(–0,27 % en séance). En tout, une
quinzaine de pays en Europe peu-
vent désormais être rémunérés par
les investisseurs pour lever de la
dette à dix ans. Le stock d’obliga-
tions à rendement négatif continue
d’enfler. Il atteint désormais
13.000 milliards d’euros
(14.500 milliards de dollars).

Toujours plus de risque
Dans ce contexte, les investisseurs
n’ont p as vraiment le c hoix.
L’attractivité des obligations tient à
la prédictibilité de leur rémunéra-
tion et à la qualité de crédit de
l’émetteur. « La “fuite vers la qua-
lité” profite davantage aux obliga-

tions perçues comme les plus
sûres », souligne Christophe Pari-
sot, économiste chez Aurel BGC.
« Mais les banques centrales ont
acheté beaucoup de dette souve-
raine, réduisant la quantité de
papier sans risque sur le marché »,
précise-t-il. La Banque centrale
européenne détient ainsi plus de

500 milliards d’euros de dette alle-
mande, un montant considérable
comparé à l’encours total d’environ
1.800 milliards (chiffres BRI). Au
Japon, la banque centrale détient
plus de 40 % du stock de dette sou-
veraine. « Les gérants sont face à un
dilemme : soit ils acceptent de perdre
de l’argent, soit ils prennent un ris-

que de crédit pour conserver un peu
de rendement », ajoute-t-il.
Les investisseurs ont, de fait, ten-
dance à prendre toujours un peu
plus de risques. L’impact sur les
marchés obligataires européens est
clairement visible, avec la réduction
de la prime demandée pour détenir
des dettes plus risquées, comme

Les taux des emprunts d’Etat enfoncent de nouveaux planchers


Face aux turbulences des marchés
actions, les investisseurs cherchent
refuge dans l’obligataire. Ce mouve-
ment de « fuite vers la qualité »
s’observe lors de la plupart des épi-
sodes de tensions sur les marchés.
Le schéma s’est répété lundi, avec
une forte hausse de la demande
pour la dette souveraine, ce qui a un
peu plus enfoncé les r endements e n
territoire négatif.
Le Bund allemand à 10 ans, consi-
déré comme la référence pour les
taux longs en Europe, est descendu
à un nouveau plancher de – 0,51 %
(–0,53 % en séance). Fait marquant
pour la dette la plus sûre de la zone,
elle se négocie aujourd’hui à des
taux négatifs jusqu’à 30 ans. C’est


Les investisseurs se ruent
sur les obligations en dépit
des rendements négatifs.
L’Allemagne et les Pays-Bas
peuvent désormais être
rémunérés pour emprunter
à 30 ans, et la Suisse
jusqu’à 50 ans.


Etienne Goetz
@etiennegoetz
avec R. B.


La chute des marchés financiers
prend de l’ampleur. Les autorités
chinoises ont en effet laissé leur
devise se déprécier, alimentant le
vent de panique qui souffle sur les
places financières depuis que
Donald Trump a relancé, en fin de
semaine dernière, la guerre com-
merciale en annonçant une nou-
velle salve de taxes douanières de
10 % portant sur des importations
en provenance de Chine.
A Wall Street, le Dow Jones recu-
lait de 2,02 %, le S&P 500 de 2,06 %
et le Nasdaq de 2,65 % à la fin de la
séance européenne. Même ten-
dance en Europe, où l’Euro
STOXX 50 a perdu 1,93 %. Le C AC 4 0
a reculé de 2,19 %, le DAX allemand
de 1,8 % et Londres de 2,47 %.
Depuis jeudi, le Dow Jones aban-
donne près de 4,50 % et l’Euro
STOXX 50 environ 5,3 %. Les mar-
chés émergents ont accusé le coup.
L’indice MSCI Emerging Markets a
flanché de 2,1 %, sa plus forte baisse
depuis octobre 2018. A Hong Kong,
où les manifestations se poursui-
vent, l’indice Hang Seng a en parti-
culier plongé de 2,85 %.


Ruée vers les valeurs
refuges
La nervosité e st telle que le VIX, sur-
nommé « l’indice de la peur », a
bondi à plus de 22 points pour la
première fois depuis mai. Autre
signe du retour de l’aversion au ris-
que, les investisseurs se sont tour-
nés vers des actifs jugés sûrs, le yen
ou l’or, qui a pris près de 2 % lundi,
flirtant avec les 1.500 dollars l’once,
son plus haut niveau depuis sep-
tembre 2013. L’appétit pour la dette
s’est également renforcé. Le taux à
10 ans des emprunts d’Etat améri-
cain s’est détendu de 7,5 points de
base, à 1,77 %, son plus bas niveau
depuis fin 2 016. L’écart avec le taux à
trois mois s’est enfoncé encore un
peu plus en territoire négatif à
–0,24 %. Cet écart a historiquement
été un indicateur d’une récession à
venir outre-Atlantique.
Les marchés financiers réagis-
sent à la riposte de Pékin, qui mar-
que une escalade dans la guerre
commerciale. D’abord, les entrepri-
ses publiques chinoises vont cesser
leurs importations de produits agri-


BOURSE « Les Bourses européennes


sont plus sensibles au cycle


économique mondial »


marge de manœuvre bien supé-
rieure à la Banque centrale euro-
péenne pour baisser les taux. Les
marchés anticipent une baisse de
taux d’au moins 25 points de base
en septembre outre-Atlantique,
avec une probabilité significative
d’un mouvement deux fois plus
important. D’autres baisses sont
attendues par la suite. La BCE
devrait, quant à elle, baisser son
taux directeur de 10 points de base
seulement et pourrait reprendre
ses achats d’actifs. La Réserve fédé-
rale est perçue comme plus « agres-
sive » dans sa volonté et sa capacité
à baisser les taux pour soutenir
l’activité économique. De ce fait, il y
a un filet de sécurité aux Etats-Unis
qui est moins évident en Europe et
c’est ce que sanctionnent les mar-
chés. En particulier au niveau des
devises. L’appréciation de l’euro
face au dollar réduit la valeur des
exportations tout en renchérissant
le prix des actions européennes, ce
qui pèse à son tour sur les marchés.

L’ Europe dispose-t-elle
d’autres leviers?
Il y a un aspect sur lequel l’Europe
dispose de marges de manœuvre
plus importantes que les Etats-Unis :
la politique budgétaire. La réforme
fiscale menée par Donald Trump a
constitué une relance budgétaire l’an
dernier, ce qui a participé au creuse-
ment du déficit. A l’inverse, l’Europe
a poursuivi ses efforts de consolida-
tion budgétaire. Et la chute des taux
d’intérêt payés par les souverains
pour s’endetter offre en théorie de
des opportunités de relance. La plu-
part des Etats européens peuvent
augmenter significativement leur
déficit sans que cela ne remette en
cause la trajectoire de leur endette-
ment public. Un vrai plan de relance
européen pourrait très bien changer
la donne, mais, compte tenu des obs-
tacles politiques, il reste assez peu
probable à ce stade.n

STÉPHANE DÉO
Stratégiste
à La Banque Postale
Asset Management

Propos recueillis par
Bastien Bouchaud
@BastienBouchaud

L


e regain de tensions com-
merciales entre les Etats-
Unis et la Chine a plongé
dans la tourmente l’ensemble des
places financières mondiales. Sté-
phane Déo explique aux « Echos »
pourquoi les Bourses européennes
sont parmi les plus touchées.

Pourquoi les marchés
européens réagissent-ils
plus fortement au regain
de tensions commerciales?
Ce n’est pas une nouveauté. Les mar-
chés européens sont plus volatils
que les marchés américains. Ils ont
un « bêta » plus élevé, c’e st-à-dire
qu’ils ont tendance à davantage réa-
gir, à la hausse comme à la baisse.
Cela s’explique par la composition
des indices européens, qui rend les
marchés du Vieux Continent plus
sensibles au cycle économique
mondial. Le DAX allemand est com-
posé de nombreuses valeurs indus-
trielles exportatrices très sensibles
au commerce international. Or, les
valeurs cycliques sont cette fois
encore les plus touchées par le mou-
vement de baisse. D’autre part, les
grands investisseurs américains
réduisent toujours leur exposition à
l’Europe pour se replier sur leur pro-
pre marché en période de tension, ce
qui accentue la pression à la baisse.

Quel rôle joue les politiques
monétaires dans cet épisode?
La Réserve fédérale dispose d’une

« Un vrai plan
de relance
européen pourrait
très bien changer
la donne, mais,
compte tenu
des obstacles
politiques,
il reste assez peu
probable. »

Moody’s craint que le ralentissement de la croissance
européenne ne dégrade la qualité de crédit des Etats

Dans un rapport récent, Moody’s alerte sur
la qualité de crédit des Etats de l’Union qui
pourrait être détériorée par le ralentisse-
ment de la croissance en Europe. Celle-ci
devrait atteindre en moyenne 1,3 % sur
la décennie 2020, estime l’agence. En cause,
notamment, le vieillissement de la popula-
tion. La diminution de la main-d’œuvre
affectera durablement le marché du tra-
vail. Les économies les plus avancées de la
zone seront les plus touchées, tandis que
les Etats récemment entrés dans l’Union
seront moins affectés. L’Allemagne pour-

rait voir son taux de croissance descendre
sous la moyenne européenne, à 1,1 %.
Ce ralentissement de la croissance vient
s’ajouter au niveau de dette record qu’affi-
chent actuellement les pays de l’Union,
en moyenne à 80 % du PIB. Un héritage
de la dernière crise financière qui limite
leur capacité à réagir face aux chocs
à venir. L’agence s’inquiète également
de la difficulté à mettre en œuvre des
réformes structurelles indispensables,
dans un « paysage politique de plus en plus
fragmenté ». – L. S.-I

celles de l’Espagne, du Portugal ou
de l’Italie. Signe de cet appétit : alors
que les rendements français et alle-
mands ont reculé d’environ 100
points de base (pb) depuis fin
novembre, les rendements espa-
gnols affichent une chute de 140 pb
contre 170 pb pour le Portugal et
environ 200 pb en Italie.

Cette dynamique ne modifie pas
la hiérarchie entre les différents
pays européens. A en juger par le
niveau des taux, l’A llemagne reste
le pays vu comme le plus sûr, suivi
du Danemark et des Pays-Bas. A
l’autre bout du spectre, l’Italie
conserve des rendements parmi les
plus élevés de la zone euro à 1,54 %,
à 10 ans. —B. B.

L’Allemagne reste
le pays vu comme
le plus sûr, suivi
du Danemark
et des Pays-Bas.

coles en provenance des Etats-Unis.
Surtout, les autorités ont laissé la
devise chinoise se déprécier, passant
la barre symbolique de 7 yuans pour
un 1 dollar, au plus bas depuis 2008.
Enfin, la banque centrale chinoise a
annoncé qu’e lle entendait assouplir
ses conditions monétaires.
« Pékin frappe sur les deux princi-
pales critiques de Donald Trump »,
commente Aurel BGC. Le président
des Etats-Unis dénonce régulière-
ment le taux de change chinois et le
non-respect d’importer davantage
de produits agricoles américains.
« Le dialogue est-il encore possible?
Va-t-on vers une guerre commerciale
totale? » s’interroge le courtier.

Le seuil de 7 yuans pour 1 dollar a
« une importance symbolique plus
qu’économique, juge Kit Juckes de la
Société Générale, mais il provoque
une onde de choc sur les marchés en
ce mois d’août. » Déjà, en 2015, la
dévaluation surprise de la devise
chinoise avait alimenté la panique
boursière. Par ailleurs, la décision
de la banque centrale chinoise a
peu de chances d’être vue d’un bon
œil par le président américain.
Lundi encore, Donald Trump s’en
est vivement pris à l’ex-empire du
Milieu : « La Chine a fait baisser le
prix de sa devise presque au niveau le
plus bas de son histoire. Cela
s’appelle une manipulation des
changes », a-t-il écrit sur Twitter.

Possibilité d’une guerre
des changes
« La guerre commerciale s’intensifie
et il est possible qu’une guerre des
changes éclate bel et bien, explique
Chris Zaccarelli, d’Independent
Advisor Alliance cité par Bloom-
berg, aucune des deux n’est positive
pour l’économie mondiale. » Les
analystes de Morgan Stanley abon-
dent e n rappelant que si les tensions
entre Washington et Pékin se pour-
suivent pendant quatre à six mois,
avec des hausses de taxes douaniè-
res et des ripostes chinoises, alors
l’économie globale pourrait entrer
en récession dans les neuf mois.n

La décision
de la banque centrale
chinoise a peu
de chances d’être
vue d’un bon œil
par le président
américain.
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