Echos - 2019-08-06

(Brent) #1
Raphaël Bloch
@Bloch_R

Métros arrêtés, vols annulés... Le
chaos s’est abattu lundi sur plu-
sieurs lieux stratégiques de Hong
Kong, alors que des milliers de
manifestants pro-démocratie,
répondant à un appel à la « grève
générale », ont tenté de paralyser le
territoire pour accroître la pression
sur les autorités proches de Pékin.
Dès le début de journée, des
militants ont bloqué le métro en
maintenant délibérément les
portes des wagons ouvertes pour
empêcher les rames de partir. Ce

mouvement, quasi inédit, a pro-
voqué de longues files d’attente
dans l’un des métros les plus effi-
caces de la planète.

Plus de 200 vols supprimés
Si certains voyageurs étaient irrités
par le chaos, d’autres exprimaient
au contraire leur soutien au mouve-
ment, après deux mois de manifes-
tations sans précédent visant à pro-
téger les libertés à Hong Kong et à
obtenir la démission de l’exécutif
hongkongais.
L’aéroport a lui aussi été touché.
Plus de 200 vols étaient indiqués
comme supprimés sur la liste des

départs. Interrogé, un porte-parole
de l’aéroport n’a pas donné de rai-
son pour ces annulations et a seule-
ment déclaré que les passagers
devaient vérifier si leur vol était
effectivement prévu au départ ou
non.

« Le gouvernement
sera ferme »
La cheffe de l’exécutif hongkongais
pro-Pékin, Carrie Lam, a attaqué de
manière frontale les manifestants
en les accusant de chercher à désta-
biliser la mégapole asiatique :
« J’ose affirmer que cela vise à ren-
verser Hong Kong, à détruire com-

plètement la précieuse vie de plus de
7 millions de personnes. » « Des per-
turbations aussi intensives [...] ont
sérieusement sapé la loi et l’ordre à
Hong Kong et poussent la ville au
bord d’une situation très dangereuse
[...]. Le gouvernement sera ferme
pour maintenir la loi et l’ordre
et rétablir la confiance », a-t-elle
ajouté lors de sa conférence de
presse, tandis que les forces de
l’ordre ont tenté de disperser les
manifestants à coups de gaz
lacrymogènes.
La Bourse de Hong Kong a
clôturé sur une baisse de près de
3 %.n

CHINE


Le mouvement a
franchi lundi un
nouveau palier avec
une grève générale et
des opérations coor-
données de blocage du
métro de Hong Kong.


La cheffe de l’exécutif
pro-Pékin, Carrie Lam,
a dénoncé « une situa-
tion très dangereuse ».


Hong Kong : les manifestants accentuent encore la pression


Modi et les chaînes de télévision
nationalistes o nt salué une décision
« historique » qui marque, selon
eux, l’intégration complète du
Cachemire à l’Inde. Responsables
politiques cachemiris et d’opposi-
tion ont pour leur part dénoncé un
« jour noir pour la démocratie
indienne », s’inquiétant notamment
de cette réécriture de la Constitu-
tion sans débat parlementaire ou
public.

La région rétrogradée
en simple territoire
Tout en officialisant le changement
de statut, le gouvernement de Modi
a présenté au Parlement un projet

de loi pour diviser le Cachemire. Le
Ladakh, partie orientale à majorité
bouddhiste, sera séparé du restant
de la région sans avoir, à ce stade, de
représentant élu. Globalement, le
Cachemire restant, c’est-à-dire les
plaines à majorité hindoue de
Jammu au sud et la vallée de Srina-
gar à majorité musulmane au nord,
va perdre le statut d’Etat fédéré,
pour être rétrogradé au statut de
« territoire de l’Union ».
Ce projet de loi doit encore être
approuvé par le Parlement indien.
Tout le processus devrait être
achevé d’ici à mercredi, date de fin
de la session parlementaire de
mousson.n

L’annonce du Premier ministre indien, Narendra Modi, a été saluée par les chaînes de télévision
nationalistes comme une décision « historique ». Photo Brendan Smialowski/AFP

Michel De Grandi
@MdeGrandi


Narendra Modi a créé la surprise,
lundi, en annonçant la révocation
de l ’autonomie constitutionnelle du
Cachemire ainsi que sa dislocation.
Un sujet extrêmement sensible qui
revient à placer sous une tutelle
plus directe de New Delhi cette
région rebelle revendiquée par le
Pakistan.
Ces mesures sans précédent, pré-
parées dans le plus grand secret par
les nationalistes hindous de Naren-
dra Modi, ouvrent la voie à diverses
manifestations d’hostilité dans la
population de cette vallée à majo-
rité musulmane de Srinagar. Nom-
bre d’habitants de cette région
himalayenne sont hostiles à l’Inde
et attachés à leur autonomie qui
prévalait depuis les débuts de la
République fédérale indienne, il y a
sept décennies.


Décret présidentiel
Les nationalistes hindous au pou-
voir ont passé un décret présiden-
tiel abolissant, avec effet immédiat,
un statut spécial de l’Etat du Jam-
mu-et-Cachemire, inscrit dans la
Constitution indienne. L’annonce
en a été faite dès l undi au Parlement
par le ministre de l’Intérieur Amit
Shah, noyée dans le t umulte assour-
dissant venant des rangs de l’oppo-
sition. L’article 370 de la Constitu-
tion indienne conférait un statut
spécial au Cachemire et autorisait
le gouvernement central de New
Delhi à légiférer seulement en
matière de défense, affaires étran-
gères et communications dans la
région, le reste relevant de l’Assem-
blée législative locale.
Craignant des débordements, les
autorités indiennes avaient pris
leurs précautions. Elles ont déployé
plus de 80.000 paramilitaires sup-
plémentaires dans une région déjà
densément militarisée. Lundi, la
région était coupée du monde, les
moyens de communication blo-
qués, les déplacements et rassem-
blements interdits et les écoles
fermées.
Le Pakistan a condamné « forte-
ment et rejeté » cette révocation et
indiqué qu’il fera « tout ce qui est en
son pouvoir p our contrer les mesures
illégales » liées au litige territorial
entre les deux puissances nucléai-
res d’Asie du Sud, qui se sont livrées
deux guerres au sujet du Cache-
mire. Les partisans du Bharatiya
Janata Party (BJP) de Narendra


ASIE DU SUD


lDans le plus grand secret, New Delhi a modifié le statut de la région


du Cachemire, revendiquée par le Pakistan.


lCelui-ci condamne le coup de force du Premier ministre nationaliste.


L’ Inde crée la surprise en plaçant


sous sa tutelle la région du Cachemire


« Modi a agi en priorité


pour les nationalistes


hindous »


aussi être tenté de laisser des
groupes djihadistes lancer de
nouvelles attaques au Cache-
mire ou dans de grandes villes
indiennes.

A quoi faut-il s’attendre
à présent?
La décision de Modi est surtout
à destination des hindous. En
modifiant le statut du Cache-
mire, le Premier ministre
répond à l’une de leurs deman-
des les plus anciennes. L’Inde
estime en effet que le Cachemire
lui appartient à 100 % bien
qu’une partie ait été annexée
par le Pakistan. Il est donc logi-
que de supprimer les derniers
restes d’autonomie dont pou-
vait bénéficier cette région.
Tous les Indiens étant égaux,
une zone à majorité musul-
mane n’a pas de raison d’avoir
un statut différent. Donc, au
fond, elle rentre dans le rang. Il
est probable q ue Modi ne
s’arrête p as là et continue à satis-
faire d’autres demandes fonda-
mentales de l’hindouisme,
comme le temple d’Ayodhya.

A-t-on vu venir
cette décision?
C’est une décision historique
que l’on n’a vue arriver q ue dans
les derniers jours. Ce n’est pas
un hasard si, dimanche, les par-
tis politiques opposés au BJP [ le
parti de Modi, NDLR] se sont
réunis à Srinagar (la capitale
d’été du Cachemire) pour dire
leur opposition au changement
de statut. Les touristes et les
pèlerins ont été invités à quitter
les lieux. Aujourd’hui, les
contrôles territoriaux ont été
renforcés. Il n’est pas exclu que
la population, qui reste fonda-
mentalement hostile à ce chan-
gement, réagisse. Les jeunes
insurgés, q ui é taient calmes jus-
que-là, pourraient entrepren-
dre des actions violentes. Mais
on n’en sait rien à ce stade,
l’Internet ayant été coupé dans
toute la région.n

INTERVIEW
JEAN-LUC
RACINE
Directeur émérite
de recherche
CNRS et chercheur
senior
à Asia Centre

Propos recueillis par M. G.

La fin de l’autonomie
du Cachemire est-elle
une déclaration de guerre
au Pakistan?
Non je ne le pense pas. C’est un
message clair adressé à
Washington et à Islamabad,
quelques jours seulement
après la rencontre à la Maison-
Blanche entre l e Premier minis-
tre pakistanais et le président
américain. On s’en souvient,
Donald Trump avait proposé
ses services de médiateur pour
cette région du Cachemire, et
ce, avait-il précisé, à la demande
de Narendra Modi. Il était tota-
lement impossible qu’une telle
requête ait été formulée d e cette
façon, car l’Inde comme le
Pakistan considèrent ce pro-
blème comme purement bila-
téral. Si médiation il devait y
avoir, elle ne pourrait être
menée que de façon discrète.
L’annonce du gouvernement
Modi pourrait compliquer la
sortie d’Afghanistan d es Améri-
cains, après dix-huit ans de
guerre. Washington a besoin
d’Islamabad comme intermé-
diaire d ans les p ourparlers avec
les rebelles talibans et pour sor-
tir d’Afghanistan avant les élec-
tions. Si les Etats-Unis ne sou-
tiennent p as les intérêts
pakistanais au Cachemire suite
à la décision indienne, Islama-
bad pourrait décider de faire
capoter les négociations afgha-
nes. Vis-à-vis du Pakistan, le
Premier ministre indien prend
en outre le risque d’un accro-
chage sur la frontière, plus fort
que ceux, réguliers, observés au
fil des ans. Le Pakistan peut

« C’est un
message clair
adressé
à Washington
et à Islamabad,
peu après
la rencontre à la
Maison-Blanche
entre le Premier
ministre
pakistanais
et le président
américain. »

« J’ose affirmer
que cela vise
à renverser Hong
Kong, à détruire
complètement
la précieuse vie
de plus
de 7 millions
de personnes. »
CARRIE LAM
Cheffe de l’exécutif
hongkongais

Lundi, la région
du Cachemire était
coupée du monde,
les moyens
de communication
bloqués,
les déplacements
et rassemblements
interdits
et les écoles fermées.

MONDE


Mardi 6 août 2019Les Echos

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