Echos - 2019-08-06

(Brent) #1

Les Echos Mardi 6 août 2019 MONDE// 05


« En Inde, 200.000 personnes meu-
rent chaque année faute d’accès
approprié à l’eau potable. » Tel est le
triste bilan que tire Shashi Shekhar,
ancien ministre des Ressources en
eau. Le rapport du World Ressour-
ces Institute (WRI) confirme ce
constat : l’Inde est le treizième Etat
le plus en proie au stress hydrique
de la planète. Pas moins de neuf
régions sont en état de stress
« extrêmement élevé », selon l’orga-
nisme. Le problème n’a rien de nou-


Mousson retardée,
gaspillage, infrastructures
insuffisantes... L’ Inde fait
face au grandissant
problème de l’accès à l’eau.
Neuf régions sont en état
d’extrême stress hydrique.


L’Europe n’est pas un continent
connu pour son aridité. Pour-
tant, certaines nations font face
au défi de l’eau. Le classement
du World Resources Institute
place la Belgique a u 23e rang d es
pays sujets au stress hydrique,
entre le Maroc et le Mexique.
Aucun autre pays d’Europe
occidentale n’est autant affecté.
En cause notamment, l’iné-
quitable répartition des res-
sources hydriques sur un terri-
toire rongé par les tensions
territoriales, selon un rapport
cosigné par deux spécialistes
basés en Belgique. La Meuse,
l’Escaut et l’Yser irriguent majo-
ritairement la Wallonie. 55 %
de l’eau y est extraite, mais seuls
37 % de la population y vit : la
Flandre comme la région de
Bruxelles-Capitale font ainsi
appel aux ressources de leur
voisin francophone.

Des écosystèmes
dégradés
Alors que les périodes durables
et répétées de sécheresse se
multiplient et « menacent
les réserves wallonnes d’eau
douce », soutient le rapport, la
salinisation des nappes phréa-
tiques flamandes fait grimper
la demande en eau wallonne. A
cela s’ajoute la coordination
ardue des politiques hydriques

Le World Resources
Institute classe le pays
à la 23e place des nations
souffrant le plus
de stress hydrique.
Aucun autre Etat
d’Europe occidentale
n’est aussi mal classé.

En Belgique,


une ressource mal


répartie, polluée et une


demande grandissante


lie, Espagne, Grèce, Albanie). Plus
surprenant, A ndorre (21e) et surtout
la Belgique (23e) comptent parmi
ces pays à risque.
Une présence assez inattendue
qui tient au fait que l’état de stress
hydrique est le résultat d’un
faisceau de divers facteurs. La
sécheresse en est un, mais qui joue
différemment selon les régions. Le
gaspillage de la ressource, principa-
lement lié à la vétusté des réseaux
de distribution, a lui aussi un
impact. L’importance des infras-
tructures de stockage (réservoirs,
retenues d’eau) est à prendre en
compte. L’urbanisation et l’imper-
méabilisation des sols, son corol-
laire, jouent également. Tout
comme la déforestation et les p ollu-
tions, ou encore la croissance
démographique.
Echelonné de 0 à 5 points, l ’indice
de risque bâti par le WRI avec l’aide
d’universitaires, et qui lui permet
d’établir ce classement annuel,
n’agrège pas moins de 13 indica-
teurs renseignés par de multiples
bases de données, notamment
météorologiques. Toutes les infor-

lequel s’exerce à l’échelle de parcel-
les de 100 km^2 (la surface de Paris).
Cette « pixélisation » a été affinée
cette année. Elle est précieuse pour
les gouvernements, mais aussi les
entreprises (300 compagnies utili-
sent cette plate-forme), soucieuses
de protéger leurs investissements.
Régulièrement mis à jour, l’Aque-
duct Water Risk Atlas permet de
zoomer sur la situation hydrologi-
que non seulement de 189 pays,
mais aussi sur l’une ou l’autre
de leurs agglomérations, régions
ou bassins-versants. L’occasion
de découvrir de manière extrême-
ment fine certaines disparités de
situation. Le risque de stress hydri-
que affiché par les Etats-Unis est
faible au plan national, mais extrê-
mement élevé dans nombre de sec-
teurs du Nouveau-Mexique.
Dans une moindre mesure, la
France, qui voit les périodes de
sécheresse se succéder et s’étendre
en durée d ’année en année, se trouve
dans le même cas, avec des territoi-
res gagnés par le stress hydrique au
nord de la Loire. A l’inverse, toute
l’Inde n’est pas à sec.n

lPas moins de 17 pays dont l’Inde, représentant près du quart de la population mondiale, risquent


d’avoir à subir une crise majeure de l’eau.


lUn scénario du pire, analogue au « Zero Day » qu’ont déjà failli connaître Le Cap et Madras.


Le risque de « stress hydrique »


s’étend dans le monde


Joël Cossardeaux
@JolCossardeaux


Après Le Cap l’été dernier, Chennai
(ex-Madras) en juillet, à qui le tour?
Les crises majeures de l’eau, celles
dont la gravité va désormais jusqu’à
faire redouter qu’un jour plus une
goutte ne sorte des robinets – le
« Zero Day » – dans les métropoles
de l’hémisphère Sud, « vont se pro-
duire de plus en plus souvent dans
le futur », assure Betsy Otto, qui
dirige les recherches consacrées
à cette ressource par le World
Resources Institute.
Un coup d’œil à la nouvelle ver-
sion de la mappemonde interactive



  • Aqueduct Water Risk Atlas – mise
    en ligne ce mardi par ce groupe de
    réflexion et de prospective environ-
    nementale basé à Washington
    suffit à s’en convaincre. Trois zones
    surexposées à un risque de « stress
    hydrique » sautent aux yeux : le
    Mexique, le Moyen-Orient et l’Inde.
    Ces deux dernières régions du
    globe regroupent la quasi-totalité
    des 17 Etats où la menace d’être
    à court d’eau est qualifiée d’« extrê-
    mement élevée » sur l’échelle d’ana-
    lyse du WRI, qui compte six
    niveaux. Ce groupe de pays concen-
    tre près du quart de la population
    mondiale, soit 1,7 milliard de per-
    sonnes sur 7,6 milliards. Plus de
    80 % de la ressource disponible
    chaque année en surface et dans les
    nappes phréatiques est pompée
    pour être consommée pour l’ali-
    mentation, l’agriculture ou encore
    l’industrie. Le Qatar se place en tête
    de ces « pays d e la soif », avant Israël
    et le Liban.


Les pays méditerranéens
menacés
La situation n’est pas moins angois-
sante pour l’Inde qui se situe en
13 e position dans le classement du
WRI. Avec son 1,36 milliard d’habi-
tants, ce pays compte pour 77 % de
la population exposée aux risques
de crises de l’eau les plus aiguës.
L’accès à cette ressource vitale
pourrait devenir également problé-
matique dans 27 autres Etats du
monde, ceux où la probabilité de
stress hydrique est jugée « élevée »
par les experts du WRI. Entre 40 %
et 80 % de la ressource en eau dispo-
nible y est prélevée. On y trouve plu-
sieurs pays d’Amérique latine
(Mexique et Chili). Mais le gros des
Etats confrontés à cette situation
sont ceux qui bordent la Méditerra-
née, ceux de sa rive sud dans leur
totalité et aussi une bonne partie
de ceux de sa rive nord (Chypre, Ita-


ENVIRONNEMENT


veau et a tendance à empirer avec
l’allongement des périodes de
sécheresse. Un pic de température
de 50,8 degrés a même été enregis-
tré au nord du pays courant juin.
Le stress hydrique plonge pas
moins de 600.000 Indiens dans le
marasme. La mousson assure tra-
ditionnellement 70 % des précipita-
tions mais, cette année, les pluies
sont tombées avec deux semaines
de retard sur la normale et avec une
intensité moindre. Ce démarrage
est le plus tardif depuis dix ans. La
ville de Chenai et son aggloméra-
tion d e 10 millions d’habitants, dans
le golfe du Bengale, ont été particu-
lièrement secouées. Les réserves
locales sont vides, rendant néces-
saire un transport d’eau par voie
ferroviaire.

Avec 4 % des réserves d’eau pour
16 % de la population mondiale,
l’Inde fait face à une pénurie struc-
turelle en eau. La situation n’est pas
favorisée par une gestion qui laisse
à désirer. 80 % des ressources sont

réservées à une agriculture produc-
tiviste soutenue par le gouver-
nement, basée sur l’irrigation.
Elle contribue bien souvent au
gaspillage. En parallèle, le pays

accuse un retard certain sur le
plan des infrastructures de récupé-
ration des eaux de pluie et tend à
puiser dans ses sols pour s’alimen-
ter. Face à l’assèchement des nap-
pes phréatiques, le gouvernement
s’oriente vers le dessalement d’eau
de mer.
Palpable dans les régions les plus
touchées, l’anxiété de la population
grandit à mesure que les files
d’accès au quota d’eau quotidien
s’allongent. Emeutes, rixes, atta-
ques sur des camions... des actes
désespérés se sont produits ici et là.
Dans le même temps, des mani-
festations de mécontentement
étaient réprimées. Symbole de la
tension qui règne en Inde, l a police a
même été déployée pour garder un
œil sur les réserves d’eau. — F. B.

En Inde, la pénurie d’eau potable plonge


600.000 personnes dans le marasme


L’anxiété de la
population grandit
à mesure que les files
d’accès au quota d’eau
quotidien s’allongent.

mations et les événements
recueillis ont pour point de départ
l’année 1960. Cette antériorité
donne de la profondeur de champ
au travail d’évaluation du WRI,

Les chiffres clefs


1 , 36
MILLIARD D’HABITANTS
EN INDE
Soit 16 % de la population
mondiale. Or, ce pays
compte seulement 4 % des
réserves d’eau de la planète.

1 , 7
MILLIARD
DE PERSONNES
soit presque un quart
de la population mondiale
est menacé par le risque
de « stress hydrique
extrême ».

entre les deux régions. Pour-
tant, l’eau n’est pas une res-
source rare en Belgique, en
comparaison avec les nations
méditerranéennes. Une partie
non négligeable est gâchée, à
cause d’installations vieillissan-
tes. Mais le problème majeur
touche à son état. Le rapport
soutient q u’un t iers des s urfaces
en eau du pays est en « mauvais
état écologique » quand 50 % de

l’eau issue des nappes phréati-
ques est en « mauvais état chi-
mique ». Une partie prépon-
dérante des eaux belges
est utilisée à des fins industriel-
les – et notamment dans le
refroidissement de réacteurs
nucléaires, qui rejettent des
eaux chaudes dégradant les
écosystèmes.
La ressource gagne enfin en
vulnérabilité à mesure que la
population belge se densifie. Le
pays compte actuellement
11,4 millions d’habitants, soit
372 personnes au kilomètre
carré. L’étude estime qu’elle
s’enrichira de 340.000 person-
nes d’ici à 2025, dont 110.00 0
pour la seule ville de Bruxelles.
De quoi augmenter significati-
vement la demande en eau.
— F. B.

La salinisation
des nappes
phréatiques
flamandes
fait grimper
la demande
en eau wallonne.
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