2 u Libération Samedi 14 et Dimanche 15 Mars 2020
n’habite pas dans les mêmes coins»,
grince Julia. La famille? «Soit elle
est trop loin, soit on ne veut pas leur
faire prendre le risque d’être au
contact des enfants», glisse Xieng.
Scène presque drôle dans une crè-
che parisienne : des parents faisant
piteusement la queue pour récolter
des «06» d’auxiliaires de puéricul-
ture. Question à voix haute d’une
d’entre eux : «Mais je n’ai pas com-
pris, on va être payé? On a le droit de
travailler à côté du coup ?»
Lily, avocate et mère d’une petite
fille, est, elle, en mode commando.
Mission prioritaire : savoir si les frais
de crèche seront remboursés pen-
dant la fermeture. «Indispensable
avant de chercher une baby-sitter.»
Manuela, deux enfants de 3 et 7 ans,
désespère : «Comment va-t-on faire?
Rien qu’à l’idée de rester enfermée
avec les enfants dans l’apparte-
ment... Mon fils, enfermé toute la
journée, il va tout casser! En vrai, lesPar
PIERRE-HENRI ALLAIN (à Rennes), FRANÇOIS CARREL
(à Grenoble), CHARLES DELOUCHE, EVA FONTENAU
(à Bordeaux), MATHILDE FRÉNOIS (à Nice), EMMANUÈLE
LAVINAS, STÉPHANIE MAURICE (à Lille),
SYLVAIN MOUILLARD et MARIE PIQUEMAL
Photo ÉDOUARD CAUPEIL
ÉDITORIAL
Par
LAURENT JOFFRINSidération
Etat d’urgence nationale? Non : mobilisa-
tion planétaire. Annonçant avec empathie et
gravité les mesures – draconiennes à l’école –
qu’il avait arrêtées pour limiter le fléau du
coronavirus, Emmanuel Macron savait sans
doute qu’il anticipait de peu la réaction
spectaculaire des gouvernements du monde
entier. Donald Trump a mis en œuvre ven-
dredi le «Stafford Act», qui étend brusque-
ment les pouvoirs de l’administration cen-
trale pour combattre l’épidémie. Une
myriade de pays – Grèce, Norvège, Dane-
mark, Irlande, Iran, Canada, Turquie... – ont
annoncé une batterie de mesures draconien-
nes, qui vont de la fermeture des frontières
au confinement général de la population, en
passant par les restrictions de circulation, le
report des consultations électorales, le gel
du commerce non essentiel, l’interdiction
des rassemblements, l’annulation des com-
pétitions sportives et des représentations ar-
tistiques, les mises en quarantaine, etc.
Même mobilisation sur le plan économique :
partout, les grands argentiers jettent par
dessus les moulins leurs rigoureux princi-
pes, ouvrant tout grand les vannes du crédit,
telle l’Allemagne, qui met en place un plan
de prêt massif, inédit depuis la Seconde
Guerre mondiale, pour lequel, dit le ministre
des Finances, «il n’y a pas de limite vers le
haut». Pour couronner le tout, l’OMS an-nonce qu’elle ne peut prédire quand le pic de
la pandémie sera atteint. La Terre ne s’arrête
pas de tourner. Mais elle cesse de vivre nor-
malement. Les réactions politiques?
Impossibles à prévoir. Les effondristes an-
noncent l’effondrement, les souverainistes
le retour de la souveraineté, les intervention-
nistes plus d’intervention, les écologistes
l’avènement de la sobriété, les nationalistes
le retour des nations, les Européens la néces-
sité de l’Europe...
Démondialisation? A court terme, c’est l’évi-
dence. Mais la lutte contre le virus exige
aussi une coopération mondiale. Alors?
La vérité, c’est que personne n’en sait rien et
que dans la sidération ambiante, chacun se
prépare à l’épreuve comme il peut, tels ces
Français qui cherchent d’abord une solution
pour garder ou faire garder leurs enfants pri-
vés d’école. Une seule chose est sûre : le
laisser-faire qui était la loi planétaire a vécu.
Nous vivons le crépuscule du libéralisme.•ÉVÉNEMENT
J
ulien, 15 ans, compte déjà les
jours. «Heureusement qu’on a
un jardin, l’Internet haut débit
et un piano, parce que sinon ce se-
rait bien chiant.» Il habite Lamor-
laye, 10 000 habitants, ville confi-
née de l’Oise, le département le plus
touché avec le Haut-Rhin. Ici, la vie
s’est mise entre parenthèses.
Le 2 mars, l’ado n’a pas repris le che-
min du lycée. Fermé. Comme vont
l’être dès lundi tous les établisse-
ments scolaires, les crèches et les
universités de France. Il raconte :
«Le stade est fermé, les piscines
aussi, donc niveau sorties, c’est très
limité. Et les copains restent confinés
sur leurs ordis. Au début, c’était cool
d’avoir un rab de vacances. Mais
maintenant je bosse avec le logiciel
Pronote et le Cned [Centre national
d’enseignement à distance, ndlr] .»
Pause sincérité. «Bon franchement
on ne va pas raconter qu’on a envie
de bosser sept heures par jourcomme une journée normale de
cours. Je me lève et me couche beau-
coup plus tard, ça décale un peu
tout... Sans parler des parents sur le
dos toute la journée...»
Ça sent l’envie de s’échapper. Mais
Julien est loin du casse-tête de mil-
lions de parents qui, depuis les an-
nonces présidentielles de fermeture
des écoles jeudi soir, s’arrachent les
cheveux pour trouver des solutions
de garde pour leur progéniture.
A Paris, Xieng et Julia, parents de
deux enfants de 6 mois et 2 ans et
demi, ont l’impression de revenir
quelques semaines en arrière. Pen-
dant les grèves dans les transports
franciliens, ce couple a tenté le «té-
létravail avec enfants à la maison».
Verdict : «Impossible. On ne pouvait
bosser que deux ou trois heures dans
la journée, pendant la sieste», rem-
bobine Xieng, commercial. Les so-
lutions de garde manquent. Se dé-
panner entre collègues? «OnCORONAVIRUS
Dernier week-end
avant l’inconnu
De l’Oise aux Hautes-Alpes,
les Français apprennent à vivre
confinés ou se préparent à l’être.
Principale préoccupation :
la fermeture des crèches
et des établissements scolaires
à partir de lundi.
FRANCE