Le Monde - 18.03.2020

(Nancy Kaufman) #1

14 |france & international MERCREDI 18 MARS 2020


0123


Le marché de l’art prend


le pli du numérique


En période de coronavirus, les galeries
tentent de développer leur stratégie en ligne

A


rt Basel Hongkong, Art
Dubai, Art Paris Art Fair,
Art Brussels, Miart,
Drawing Now, Paris Photo New
York... On ne compte plus les foi­
res d’art reportées ou annulées à
la suite de la propagation du coro­
navirus. La puissante Art Basel
songe à décaler ses dates de juin à
la mi­septembre. Un bouleverse­
ment complet pour un secteur
d’activité qui, selon le rapport Art
Basel UBS, représentait 14 mil­
liards d’euros en 2019.
Cette série d’annulations, qui as­
sèche la trésorerie des galeries qui
y sont abonnées, redistribue les
cartes au profit des acteurs qui ont
pris de l’avance sur la dématériali­
sation : les maisons de ventes. De
longue date, les enchérisseurs ont
pris l’habitude de passer des or­
dres derrière leur écran. Certes, le
pourcentage des achats en ligne
reste encore faible, de l’ordre de
4,6 % chez Christie’s, soit 241 mil­
lions d’euros tout de même. Mais
ce canal est en progression, de 25 %
chez Sotheby’s en 2019. Chez
Christie’s, 41 % des nouveaux
clients ont été ferrés en ligne. Mal­
gré le report des vacations de mars
et d’avril, les deux maisons de ven­
tes pourront s’appuyer sur une
stratégie en ligne affûtée.

Un showroom virtuel
Les galeries, en revanche, dont le
chiffre d’affaires repose en­
tre 30 % et 80 % sur les foires,
souffrent, d’autant qu’elles sont
toutes fermées depuis le 14 mars.
Ainsi le galeriste Daniel Templon,
avec 10 % de son chiffre d’affaires
en ligne, évalue­t­il sa perte finan­
cière à 1 million d’euros du fait du
report de trois foires. Quand Arts­
per, un site de vente d’art en ligne
regroupant 1 500 galeries, cons­
tate une augmentation de ses re­
crues, une cinquantaine par se­
maine depuis février. « Nos mem­
bres mettent davantage d’œuvres

en ligne, déclare le cofondateur,
François­Xavier Trancart. Les ga­
leries qui exposaient à Art Up ont
mis en ligne en vingt­quatre heu­
res l’intégralité de leurs stands. »
Du 18 au 25 mars, Art Basel met
en place un showroom virtuel
présentant quelque 2 000 œuvres
provenant des galeries qui n’ont
pas pu participer à Art Basel
Hongkong, pour une valeur glo­
bale de 226 millions d’euros – un
quart de ce qui devait être pré­
senté à la foire. « C’est trop tôt pour
le dire, mais si ce service est perti­
nent, il pourra être mis en place
avec plus de régularité et il devien­
dra payant », explique Marc Spie­
gler, directeur d’Art Basel.
La galerie Thaddaeus Ropac, qui
participe, a décidé de lancer aussi
sa propre plate­forme en ligne,
lundi 16 mars, avec dix­sept
œuvres qui seront renouvelées au
gré des ventes. « J’ai toujours été
sceptique quant aux ventes en li­
gne, mais ces deux derniers mois,
force est de constater que le nom­
bre de nos contacts en ligne avec
l’Asie a doublé », confie le mar­
chand autrichien. Son confrère
Georges­Philippe Vallois exhorte
à une mutualisation « d’une quin­
zaine de marchands d’excellence
pour créer une plate­forme de
vente commune ».
Malgré le confinement, les gale­
ries veulent croire à l’idée de la
proximité, en opérant sur ren­
dez­vous. « Les collectionneurs ne
veulent plus voyager, les vernissa­
ges sont annulés, mais ils sont à la
recherche d’approches plus per­
sonnalisées », abonde la galeriste
Nathalie Obadia. Son confrère
David Fleiss en est convaincu :
« Un collectionneur ne s’arrête ja­
mais d’acheter! » Au pic de l’épi­
démie en Chine, Thaddaeus Ro­
pac n’a­t­il pas vendu en ligne
une œuvre d’Antony Gormley à
un acquéreur chinois ?
roxana azimi

Apple lourdement sanctionné par l’Autorité de la concurrence


Le groupe devra payer 1,1 milliard d’euros pour des pratiques anticoncurrentielles vis­à­vis de certains de ses revendeurs informatiques


C’


est la sanction la plus
importante jamais in­
fligée à une entreprise
par l’Autorité française de la con­
currence. Le régulateur a con­
damné, lundi 16 mars, Apple
à payer une amende inédite de
1,1 milliard d’euros pour des prati­
ques anticoncurrentielles vis­à­
vis de certains revendeurs de ses
équipements informatiques
(hors iPhone) en France.
Le groupe américain a sèche­
ment réagi et annoncé son inten­
tion de faire appel de la décision :
« La décision de l’Autorité de la con­
currence est extrêmement regret­
table. Elle concerne des pratiques
qui remontent à plus de dix ans et
ignore trente ans de principes de
droit solidement établis sur les­
quels l’ensemble des entreprises en
France s’appuie. Elle entraînera
une situation chaotique pour des

acteurs économiques de tous les
secteurs. Nous sommes en profond
désaccord avec cette décision et
prévoyons de faire appel. »
Les pratiques en cause ont dé­
marré entre 2005 et 2012 et ont
pris fin entre 2013 et 2017, selon
les cas. Mais le fait que l’instruc­
tion ait pris du temps n’enlève
rien au fond de l’affaire. « Apple et
ses deux grossistes se sont enten­
dus pour ne pas se faire concur­
rence et empêcher les distributeurs
de faire jouer la concurrence en­
tre eux, stérilisant ainsi le marché
de gros des produits Apple », dé­
nonce la présidente du régula­
teur, Isabelle de Silva.
Plus précisément, l’Autorité de
la concurrence reproche à la
firme trois pratiques interdites, à
la suite d’une longue enquête dé­
clenchée par une plainte déposée
en 2012 par eBizcuss, un distribu­

teur de produits Apple spécialisé
dans le haut de gamme.
Le groupe de Cupertino (Califor­
nie) est accusé d’avoir conclu une
« entente illicite » avec les grossis­
tes qui revendent ses produits en
France. Entre 2005 et 2013, les dis­
tributeurs en question auraient
accepté de se laisser dicter par Ap­
ple les quantités de produits à li­
vrer aux revendeurs premium
comme eBizcuss.
Or, ces derniers sont souvent
des petites et moyennes entrepri­
ses autonomes mais très dépen­
dantes d’Apple et de l’approvi­
sionnement en produits récents.
L’entente a empêché ces acteurs
de pouvoir négocier librement
avec les grossistes les prix et les
quantités, limitant de fait la con­
currence. En conséquence, les
deux grossistes majeurs Tech
Data et Ingram Micro sont égale­

ment sanctionnés, respective­
ment à hauteur de 76,1 millions et
62,9 millions d’euros.
En outre, Apple est puni pour
avoir imposé aux boutiques « pre­
mium » des prix de vente similai­
res à ceux pratiqués par Apple
dans ses propres magasins et sur
son site de vente en ligne. Cela a
maintenu les prix artificielle­
ment hauts et limité les rabais ou
les promotions, selon le raisonne­
ment de l’Autorité.

« Risque de représailles »
Le régulateur déplore « le recours
à des supports et des matériels
imposés par Apple » pour les pro­
motions, sous peine de rupture
de contrat, ce qui « était de na­
ture à brider toute initiative en la
matière ». Et dénonce aussi un
« un système de surveillance des
prix » qui faisait « peser un risque

L’ex­prêtre Bernard Preynat


condamné à cinq ans de prison


Le tribunal correctionnel de Lyon n’ordonne pas de mandat de dépôt


pour l’ancien aumônier, jugé pour agressions sexuelles sur mineurs


lyon ­ correspondant

L


a justice lyonnaise a
rendu sa décision dans
l’affaire Preynat, lundi
16 mars. Initialement
poursuivi pour « agressions
sexuelles », Bernard Preynat,
75 ans, a été condamné pour « at­
tentats à la pudeur » sur mineurs,
par personne ayant autorité, pour
une série d’actes déviants sur de
jeunes scouts, perpétrés entre
1986 et 1991. L’ex­curé de Sainte­
Foy­lès­Lyon a écopé de cinq ans
de prison ferme, sans mandat de
dépôt, ce qui laisse un délai pour
un possible aménagement de
peine. Le jugement a été rendu à
huis clos, dans un palais de justice
fermé pour cause de coronavirus.

Le tribunal correctionnel a ex­
humé l’appellation surannée
« d’attentat à la pudeur » de l’an­
cien code pénal, modifié en 1994,
pour l’appliquer aux faits qui re­
montent à plus de trente ans. Sur
la forme, la requalification ne
change pas grand­chose. Les élé­
ments constitutifs de l’infraction,
ainsi que la peine maximale en­
courue de dix ans d’emprisonne­
ment, sont les mêmes que l’actuel
délit d’agression sexuelle. Mais
cette modification juridico­sé­
mantique dit le choc temporel de
l’affaire, qui a couvé des décennies
dans l’omerta de l’institution ca­
tholique, avant de provoquer il y a
quelques jours la démission du
cardinal Philippe Barbarin.
Dans son jugement de trente­
quatre pages, que Le Monde a pu
consulter, le tribunal présidé par
Anne­Sophie Martinet insiste sur
la chronologie des événements.
Dès 1978, des parents ont signalé à
plusieurs reprises les suspicions
d’attirance du curé charismatique
pour les jeunes garçons. D’autres
ont pris sa défense. Le jugement
reprend les témoignages livrés à la
barre du tribunal, lors des audien­
ces qui s’étaient déroulées du 13 au
17 janvier. « Il nous prenait dans ses
bras, il nous collait contre son ven­
tre. On était un peu gêné. Avec notre
éducation à la con, on ne pouvait
pas dire “dégage” », a expliqué un
ancien scout devenu adulte, préci­
sant : « C’est dingue ce qu’il a tenu
d’une main de fer les scouts. »
Pour les trois juges, les descrip­
tions de ce mécanisme d’emprise
ont constitué « l’autorité » exer­
cée par le curé, difficile à contour­
ner pour les parents : « Il ne peut
être reproché à ces familles de ne
pas avoir choisi la voie judiciaire,
alors même qu’il était plus difficile

à cette époque de mettre publique­
ment des mots sur ces agisse­
ments, et surtout d’aller pousser la
porte d’un commissariat ou d’une
gendarmerie pour aller dénoncer
de tels faits, s’agissant au surplus
d’un homme d’Eglise. »

« Libération des mœurs »
A la crainte des ennuis s’ajoutait
un contexte particulier. « Les faits
ont été commis à une époque où se
côtoyait paradoxalement à la fois
une ignorance de ce type de perver­
sité, ne permettant pas à ceux qui le
vivaient d’en parler et de se soigner,
et une permissivité, voire une ac­
ceptation des atteintes sexuelles
sur les mineurs, sous couvert de li­
bération des mœurs qui n’aurait dû
concerner que les adultes consen­
tants », dit encore le jugement,
dans un écho direct à l’affaire Ga­
briel Matzneff. L’écrivain admiré
dans les années où le père Preynat
officiait se voit aujourd’hui mis en
cause pour son emprise sexuelle.
Autre facteur de durée de l’in­
fraction : les évêques lyonnais
n’ont pas su gérer les alertes, par
« peur du scandale », selon le juge­
ment. « Ainsi, par le pardon et l’ab­
solution donnés par ses confes­
seurs et supérieurs successifs, et
par le refus de ces derniers de com­
prendre la réalité des faits, Bernard

Preynat a pu rester dans son atti­
tude de déni durant des décennies,
conforté dans l’illusion d’une impu­
nité », écrivent les trois magistra­
tes, d’accord sur ce point avec la dé­
fense de l’avocat Frédéric Doyez.
Le parquet avait requis « au
moins huit ans d’emprisonne­
ment ». La procureure Dominique
Sauves avait rappelé les dizaines
de victimes probables du prêtre,
dont seulement neuf ont échappé
à la prescription pénale. La peine
doit être sévère, contre un homme
qui a tendance à minimiser, mais
la réponse pénale doit aussi se me­
surer à l’ancienneté des faits, dit en
substance la décision, tout en ren­
dant hommage à La parole libérée,
l’association qui a permis aux vic­
times de se retrouver dans une
douloureuse mémoire partagée.
« Ça me paraît correct, juste, il a re­
connu tous les faits, on a envie de
tourner la page », réagit Pierre­ Em­
manuel Germain­Thill, en sortant
du palais de justice, le texte du ju­
gement en main.
A la page 20, les juges citent Han­
nah Arendt, à propos du pardon :
« Une des plus grandes facultés hu­
maines », « un nouveau commen­
cement là où tout semblait avoir
pris fin ». « Le rôle de l’institution ju­
diciaire n’est pas d’accorder le par­
don », s’empressent de préciser les
trois magistrates lyonnaises, qui
ont donné le sens de leur juge­
ment en reprenant le philosophe
jésuite Paul Valadier, natif de
Saint­Etienne comme Bernard
Preynat : « La justice permet de dé­
signer le mal, de nommer le coupa­
ble, de sanctionner les délits, donc
d’opérer des gestes indispensables
pour les victimes et nécessaires en
prélude à une réconciliation des
parties en cause. »
richard schittly

Les évêques
lyonnais n’ont
pas su gérer
les alertes,
par « peur du
scandale », selon
le jugement

de représailles – sous la forme, no­
tamment, de défaut de livraison –
en cas de promotions non autori­
sées par Apple ».
Enfin, la décision sanctionne un
« abus de dépendance économi­
que vis­à­vis des revendeurs “pre­
mium”, qui s’est notamment ma­
nifesté par des difficultés d’appro­
visionnement, des traitements dis­
criminatoires, une instabilité des
conditions de rémunération ».
Parfois, lors de lancements de
nouveaux produits, ces PME
n’étaient pas suffisamment li­
vrées alors que le réseau de vente
d’Apple était, lui, approvisionné,
assure le régulateur.
Le montant de la sanction est
sensiblement plus élevé que les
anciens records : 951 millions
d’euros dans le secteur des pro­
duits d’hygiène et d’entretien
en 2014, 672,3 millions d’euros

dans le secteur du transport de
colis en 2015... Mais répartis entre
plusieurs entreprises.
Mme de Silva, justifie ce 1,1 mil­
liard d’euros d’amende « au re­
gard du fort impact de ces prati­
ques sur la concurrence dans la
distribution des produits Apple »,
et ajoute : « la dimension extraor­
dinaire » d’Apple « a été dûment
prise en compte. »
« L’abus de dépendance écono­
mique » est « une pratique que
l’Autorité considère comme parti­
culièrement grave ». Celle­ci n’a
été reconnue que dans trois affai­
res, en 1996 et 2004.
La contestation d’Apple devrait
être examinée par la cour d’appel
de Paris, dans plusieurs mois.
D’ici là, l’entreprise peut déjà de­
mander unes suspension du ver­
sement de l’amende.
alexandre piquard

LES  DATES


1991
Bernard Preynat est dénoncé
au cardinal Albert Decourtray
par les parents d’un ancien scout.

2007
Mgr Philippe Barbarin, à la tête
du diocèse depuis 2002, prend
connaissance de faits reprochés
à Preynat. Il convoque le prêtre,
qui reconnaît ces faits.

JANVIER 
L’affaire Preynat éclate pour des
agressions commises dans les
années 1970 et 1980. En mars, il
est mis en examen pour « agres-
sions sexuelles sur mineurs » et
placé sous contrôle judiciaire.

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