Le Monde - 18.03.2020

(Nancy Kaufman) #1

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CORONAVIRUS


MERCREDI 18 MARS 2020

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N


ous sommes en
guerre. » A six reprises,
Emmanuel Macron a
utilisé la même ex­
pression. Un ton martial, visant à
sonner la « mobilisation générale »
contre un « ennemi (...) invisible, in­
saisissable ». Lors d’une allocution
solennelle de vingt et une minu­
tes, lundi 16 mars à 20 heures – la
deuxième en cinq jours –, le chef
de l’Etat a annoncé un arsenal de
mesures d’une radicalité inédite,
afin de lutter contre la pandémie
du coronavirus. « Jamais la France
n’avait dû prendre de telles déci­
sions en temps de paix », a souligné
d’emblée M. Macron, dans une
position de père de la nation qu’il
affectionne.
Après des jours, voire des semai­
nes d’atermoiements, l’exécutif
s’est décidé à faire basculer la
France dans un régime d’excep­
tion, suivant l’exemple de l’Italie
ou de l’Espagne. Alors que les mé­
decins sonnent l’alarme, en raison
du virus qui s’étend de manière
« inquiétante » dans le pays, selon
les autorités sanitaires, M. Macron
a pris la décision de confiner l’en­
semble des Français sur le terri­
toire métropolitain mais aussi en
outre­mer.
A partir de mardi 17 mars à midi,
il ne sera plus possible de sortir de
chez soi si ce n’est pour se soigner,
faire ses courses ou aller travailler
pour ceux qui ne peuvent pas le
faire de chez eux. Un confinement
prévu pour une durée de « quinze
jours au moins » mais qui pourrait
être prolongé si la situation l’exige.
« Seuls doivent demeurer les trans­
ports absolument nécessaires », a
souligné le président de la Répu­
blique, prévenant que « toute in­
fraction à ces règles sera sanction­
née ». Des amendes allant jusqu’à
135 euros pourront être dressées, a
précisé le ministre de l’intérieur,
Christophe Castaner.
Pour convaincre les Français
« d’accepter ces contraintes » et de
limiter leurs contacts à cinq per­
sonnes par jour, comme l’a de­
mandé le ministre de la santé
Olivier Véran, le chef de l’Etat a vo­

lontairement utilisé un vocabu­
laire guerrier, parlant d’un néces­
saire « combat contre l’épidémie, de
jour comme de nuit ». « Nous ne lut­
tons ni contre une armée ni contre
une autre nation, mais l’ennemi est
là, invisible, insaisissable, et qui
progresse », a­t­il dramatisé. « La fi­
gure de Clemenceau lui a claire­
ment servi d’inspiration », souffle
l’un de ceux qui ont échangé avec
l’hôte de l’Elysée durant la crise.
Après avoir consulté ses prédé­
cesseurs Nicolas Sarkozy et Fran­
çois Hollande, mais aussi les prési­
dents du Sénat, Gérard Larcher
(Les Républicains), et de l’Assem­
blée nationale, Richard Ferrand (La
République en marche), Emma­
nuel Macron a également an­
noncé le report du second tour des
élections municipales, prévu di­
manche 22 mars. Une décision
présentée un peu plus tôt par le
premier ministre, Edouard Phi­
lippe, aux chefs de partis politi­
ques et de groupes parlementai­
res, en proposant la date du 21 juin.
Concrètement, l’élection des
quelque 30 000 maires élus dès le
premier tour devrait être validée.
Pour les 5 000 autres candidats, les
résultats sont gelés. Un temps évo­
qué pour mardi soir, le dépôt des
listes en vue du second tour est fi­
nalement repoussé à une date
ultérieure. Une vraie volte­face de
M. Macron, qui avait renoncé à re­
porter le premier tour malgré la
pression de nombreux élus. Mais
l’exécutif n’avait d’autre choix,
tant l’épidémie a pris un tour in­
contrôlable. Selon le décompte
tenu par les autorités, 1 210 nou­

veaux cas de contamination ont
été enregistrés rien que pour la
journée de lundi, portant le nom­
bre total de personnes infectées à
6 633. Et encore, ce chiffre ne prend
pas en compte les malades ne pré­
sentant pas de symptômes impor­
tants, qui ne sont plus testés.
Depuis l’apparition du coronavi­
rus, 148 décès ont été constatés en
France, et ce chiffre ne cesse de
s’accroître, notamment en Ile­de­
France et dans le Grand­Est, les
deux régions les plus touchées.
« La situation sanitaire se dégrade
fortement », a lui­même reconnu
le chef de l’Etat, assurant qu’une
« vague de cas graves (...) déjà se
profile dans certaines régions ».

Eviter les engorgements
Pour répondre à cette « crise sani­
taire », ce dernier s’est dit prêt à
mobiliser toutes les ressources de
l’Etat afin d’aider les personnels
soignants. Dans le Grand­Est, un
« hôpital de campagne » sera ainsi
installé « dans les jours à venir » en
Alsace, il comprendra « trente pla­
ces sous tente » en réanimation a
précisé le ministère de la défense
et les militaires se chargeront de
transporter les malades des ré­
gions les plus touchées vers celles
moins atteintes, afin d’éviter les
engorgements. De même, des
taxis seront payés par l’Etat pour
emmener travailler les soignants
ne disposant pas de véhicules,
sorte de version moderne des
Taxis de la Marne, utilisés lors de la
première guerre mondiale pour
arrêter l’avancée des Allemands.
« La nation soutiendra ses en­
fants qui, personnels soignants en
ville, à l’hôpital, se trouvent en pre­
mière ligne dans un combat qui va
leur demander énergie, détermina­
tion, solidarité », a souligné le chef
de l’Etat, en annonçant la distribu­
tion de masques à partir de mardi,
en priorité aux personnels hospi­
taliers et aux médecins libéraux.
Alors que la récession menace,
M. Macron a également promis
d’aider les entreprises autant qu’il
le faudra. Leurs prêts bancaires se­
ront garantis par l’Etat à hauteur

de 300 milliards d’euros. Un dis­
positif « exceptionnel » de report
de charges fiscales et sociales sera
mis en place et les PME verront
leurs factures de gaz ou d’électri­
cité, ainsi que les loyers, suspen­
dus pour la durée nécessaire. Pour
les salariés, le dispositif de chô­
mage partiel « sera massivement
élargi ». « Pour les entrepreneurs,
commerçants, artisans, un fonds
de solidarité sera créé, abondé par
l’Etat, et auquel le premier ministre
[Edouard Philippe] proposera
aux régions aussi de contribuer », a
ajouté le chef de l’Etat.
« Plus aucune entreprise ne doit
rencontrer de difficultés de finance­
ment dans les mois à venir », a
abondé dans la soirée le ministre
de l’économie Bruno Le Maire,
précisant avoir demandé aux ban­
ques de « reporter de six mois le
remboursement de crédit des en­
treprises, sans frais ». Invité sur
RTL, mardi matin, le ministre a
aussi annoncé que 45 milliards
d’euros seraient débloqués pour
soutenir les entreprises et salariés.
Pour autant, M. Macron a tenté
de se montrer rassurant. Volontai­
rement, il n’a pas utilisé le mot
« confinement », préférant parler
de « déplacements (...) très forte­
ment réduits ». De même, il n’a pas
suivi à la lettre la recommanda­
tion du conseil scientifique,
chargé d’éclairer l’exécutif. Selon
nos informations, celui­ci avait
proposé deux options : soit laisser
un délai de quarante­huit heures
avant un confinement « à l’ita­
lienne », soit confiner immédiate­
ment l’ensemble des Français.

« Le professeur Delfraissy [prési­
dent du conseil scientifique] a clai­
rement indiqué que leur recom­
mandation était l’option deux », in­
dique un élu au fait des discus­
sions. Une option non retenue par
le chef de l’Etat, qui craignait un
mouvement de panique si les
Français s’étaient sentis piégés par
ses annonces. Ce qui n’a pas empê­
ché de nombreux Parisiens de
s’exiler à la campagne ou de venir
grossir les files d’attente devant les
supermarchés, lundi.
Autre signe d’apaisement, le chef
de l’Etat s’est engagé à suspendre
« toutes les réformes en cours », y
compris celle des retraites. Un peu
plus tôt, la ministre du travail,
Muriel Pénicaud, avait également
annoncé le report au 1er septembre
de la mise en œuvre des nouvelles
règles de l’assurance­chômage,
qui durcissent le calcul de l’alloca­
tion, notamment pour ceux qui
cumulent les contrats courts, et
qui devaient initialement entrer
en vigueur le 1er avril.
Ces nouvelles dispositions « per­
mettant de répondre à l’urgence »
doivent être entérinées par un
projet de loi, qui doit être discuté
au Parlement dès jeudi, après
avoir été présenté en conseil des
ministres la veille. De quoi donner
des sueurs froides aux députés,
dont certains s’inquiètent à
l’avance de se retrouver confinés
au Palais­Bourbon... « C’est flip­
pant mais on n’a pas le choix », con­
fie un élu macroniste, qui n’exclut
pas de siéger avec un masque.

« L’Elysée navigue à vue »
Dans l’opposition, les critiques
ont fusé immédiatement après le
discours du chef de l’Etat. Loin du
climat d’unité nationale, recher­
ché par l’exécutif. Alors que les
écologistes ont regretté « une rhé­
torique guerrière inutile », la prési­
dente du Rassemblement natio­
nal (RN), Marine Le Pen, a dénoncé
de son côté des instructions pas
« suffisamment claires pour que
chacun comprenne qu’il s’agit de
confinement ». « Une sorte de
flou », souligné aussi par le chef

Emmanuel
Macron lors
de son allocution
télévisuelle
à propos de
l’épidémie due
au coronavirus,
à Paris, le 16 mars.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE
POUR « LE MONDE »

« Le président
aurait dû prendre
des mesures
beaucoup plus
radicales dès
jeudi dernier »
PATRICK KANNER
sénateur socialiste

de file de La France insoumise,
Jean­Luc Mélenchon.
Certains reprochent ouverte­
ment à l’exécutif d’avoir tardé à
réagir, avant que la situation em­
pire. A l’instar du patron des séna­
teurs socialistes, Patrick Kanner,
pour qui « l’aggravation de la crise
sanitaire et la crise démocratique,
qui découle du maintien du pre­
mier tour des municipales,
auraient pu être évitées si l’on
n’avait pas invité 20 millions de
Français aux urnes ». Aux yeux de
l’ex­ministre de François Hol­
lande, la responsabilité de M. Ma­
cron est directement en cause :
« Au lieu d’annoncer des restric­
tions au goutte à goutte, le prési­
dent de la République aurait dû
prendre des mesures beaucoup
plus radicales dès jeudi dernier.
Quitte à être impopulaire. Mais il
ne les a pas prises. »
Des critiques également formu­
lées à l’intérieur même de l’appa­
reil d’Etat. « L’Elysée navigue à vue
et affine les mesures au vu des
échecs encaissés. C’est de l’amateu­
risme », se désole une source gou­
vernementale, au cœur des discus­
sions. Avant de préciser : « On a
donné l’alerte il y a plusieurs jours,
en préconisant des mesures très
fortes, notamment le report des
municipales, mais nos avertisse­
ments ont été pris à la légère. Le ris­
que a été minimisé. »
Reste une question, à laquelle le
chef de l’Etat n’a pas répondu :
combien de temps le confinement
va­t­il durer? Un moment, une pé­
riode de quarante­cinq jours a été
évoquée par des élus. Mais elle n’a
jamais été confirmée par l’exécu­
tif. Lors de son allocution, M. Ma­
cron a parlé d’une période de
« quinze jours au moins », laissant
entendre que celle­ci pourrait être
prolongée autant que de besoin
mais que « nul ne peut savoir ».
« On pourra mettre fin au confine­
ment, a assuré le ministre de la
santé Olivier Véran. Mais sans
confinement, on ne pourra pas
mettre fin à l’épidémie. »
alexandre lemarié
et cédric pietralunga

Macron sonne la « mobilisation générale »


Le chef de l’Etat a décidé de confiner l’ensemble des Français et de repousser le second tour des municipales


« Nous ne luttons
ni contre une
armée ni contre
une autre nation,
mais l’ennemi
est là, invisible,
insaisissable »
EMMANUEL MACRON
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