Le Monde - 18.03.2020

(Nancy Kaufman) #1

4 |coronavirus MERCREDI 18 MARS 2020


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A


près le temps des an­
nonces, celui des chif­
fres. Mardi 17 mars, sur
RTL, le ministre de
l’économie, Bruno Le Maire a offi­
cialisé un plan de soutien de
45 milliards d’euros pour aider les
entreprises, frappées de plein
fouet par l’épidémie de Covid­19.
« Il y a une guerre contre le virus, et
aussi une guerre économique et fi­
nancière », a­t­il martelé, en réfé­
rence à la terminologie utilisée à
maintes reprises par Emmanuel
Macron dans son allocution télé­
visée de la veille. En dépit de cet ef­
fort massif, l’économie française
sera violemment touchée : la
croissance devrait reculer de 1 %
cette année, a indiqué le ministre.
Avant cette crise inédite, elle était
attendue en hausse de 1,3 %. « Le
choc sera violent, mais nous avons
la capacité de rebondir », a assuré
Bruno Le Maire. Quant à la dette
publique, elle sera supérieure à
100 % du PIB cette année, a con­
firmé le ministre.
Après s’être longtemps refusé à
communiquer sur une enveloppe
financière précise, le gouverne­
ment s’y est résolu, alors qu’il doit
présenter un projet de loi de finan­
ces rectificative mercredi en con­
seil des ministres. Ce dernier de­
vrait actualiser une trajectoire
budgétaire pulvérisée par cette si­
tuation inédite. Une dépense de
45 milliards d’euros signifierait
mathématiquement une hausse
d’environ 2 points du déficit public
2020 (attendu auparavant à 2,2 %
du PIB). Mais « dans ce plan, il y a
des mesures de trésorerie », nuance
Bercy. C’est le cas du report des
charges fiscales et sociales des en­
treprises, évalué pour mars et avril
à 32 milliards d’euros. Une partie
devrait in fine être récupérée par le
fisc, mais pour les plus fragiles
d’entre elles, voire celles qui
auront mis la clef sous la porte, ces
charges seront purement et sim­
plement annulées, et constitue­
ront des pertes sèches pour l’Etat.
Le gonflement du dispositif de
chômage partiel annoncé la se­
maine dernière, qui permet aux

employeurs d’être indemnisés en
quasi­totalité (jusqu’à 4,5 smic),
devrait coûter 8,5 milliards d’euros
aux finances publiques. Une
somme budgétée sur deux mois.
S’y ajoutent le paiement des in­
demnités journalières pour les sa­
lariés contraints de s’arrêter de tra­
vailler pour garder leurs enfants
(1,5 milliard) et le fonds d’indemni­
sation aux indépendants et com­
merçants pour un mois (2 mil­
liards). Et encore, l’enveloppe ne
tient­elle pas compte des moin­
dres rentrées fiscales qui résulte­
ront de cette crise, ni du plan de re­
lance qui sera nécessaire une fois
l’épidémie endiguée. « Cela reste
des estimations, ce sera sûrement
davantage encore », glisse une
source gouvernementale.

LES TPE et les PME ciblées
Le projet de loi présenté mercredi
devrait aussi entériner la création
d’un fonds de garantie de l’Etat de
300 milliards d’euros pour tous les
nouveaux prêts bancaires, princi­
pale annonce économique de l’al­
locution télévisée d’Emmanuel
Macron, lundi soir. « Il s’agit de
faire massif, et de donner aux ban­
ques le signal qu’elles n’ont aucune
raison de ne pas prêter aux TPE et
PME », indique­t­on à Bercy.
« Aucune entreprise, quelle que soit
sa taille, ne sera livrée au risque de
faillite. Aucune Française, aucun
Français ne sera laissé sans ressour­
ces », a assuré le chef de l’Etat.
Il a également confirmé la créa­
tion d’un « fonds de solidarité pour
les entrepreneurs, commerçants,
artisans » abondé par l’Etat, mais
aussi les régions, si elles acceptent

d’y contribuer – le premier minis­
tre, Edouard Philippe, devait ren­
contrer mardi leurs représentants.
L’exécutif aurait aussi souhaité
solliciter les grandes entreprises –
sans grand succès jusqu’à présent.
Ce fonds sera destiné aux petites
entreprises qui réalisent moins
d’un million d’euros de chiffre
d’affaires par an et opèrent dans
les secteurs concernés par les fer­
metures administratives décidées
depuis samedi soir (restaurants,
bars, commerces non alimen­
taires...) ou sinistrées depuis le dé­
but de la crise (événementiel,
transport, culture et sport, hôtelle­
rie...). S’ils peuvent justifier d’une
baisse d’au moins 70 % de leur
chiffre d’affaires comparé à celui
de mars 2019, il leur sera versé une
indemnité forfaitaire de
1 500 euros. D’abord pour mars,

puis probablement aussi pour
avril. Jusqu’à 600 000 entreprises
pourraient être concernées.
« A priori, ce sera sur simple décla­
ration, sans démarche sophisti­
quée. Pas besoin de recourir à son
expert­comptable », indique Fran­
cis Palombi, président de la Confé­
dération des commerçants de
France (CDF). A la différence des
précédentes mesures d’aides aux
commerçants, pour répondre aux
conséquences du mouvement des
« gilets jaunes » ou des grèves, que
les commerçants avaient trouvé
administrativement trop comple­
xes. « Mais on a demandé qu’il y ait
une campagne de communication
nationale, en télé, radio... pour que
le plus petit commerçant du fin
fond de l’Aveyron puisse être au
courant », poursuit M. Palombi,
qui ajoute : « On a demandé aussi

l’instauration d’une cellule psycho­
logique, car il y a des chefs d’entre­
prise qui sont confinés, qui tour­
nent en rond et se demandent com­
ment ils vont pouvoir subsister. »
Reste la question des loyers à
payer. Les PME en difficulté
« n’auront rien à débourser, ni pour
les impôts ni pour les cotisations
sociales. Les factures d’eau, de gaz
ou d’électricité ainsi que les loyers
devront être suspendus », a sou­
haité Emmanuel Macron, lundi
soir. Les fédérations et associa­
tions professionnelles plaident
pour un dispositif fiscal qui incite­
rait les bailleurs privés, princi­
paux propriétaires des magasins
que les petits commerçants ex­
ploitent, à suspendre ou à différer
les échéances. Les grands ensei­
gnes, elles, sont en discussion avec
les centres commerciaux.

L’Etat a également demandé
aux assureurs d’intégrer dans les
contrats d’assurance la prise en
charge de la perte d’exploitation,
dont beaucoup de commerçants
ne disposent pas. Et ce, de ma­
nière rétroactive.
Le fonds de solidarité et le dis­
positif étendu de chômage par­
tiel devraient, eux, être intégrés
au projet de loi comportant les
différentes mesures d’urgence,
qui devrait être également pré­
senté mercredi 18 mars en con­
seil des ministres. « Il contiendra
une habilitation large du gouver­
nement à prendre des ordonnan­
ces », précise­t­on à Bercy. La loi
de finances rectificative devrait
être examinée au Parlement d’ici
à la fin de la semaine.
cécile prudhomme
et audrey tonnelier

La réforme des retraites mise entre parenthèses


Macron a annoncé, lundi, que ce projet emblématique du quinquennat serait « suspendu »


C


e sont quelques mots glis­
sés dans l’allocution prési­
dentielle qui revêtent une
symbolique forte. Lundi 16 mars,
Emmanuel Macron a annoncé
qu’il mettait entre parenthèses
l’un des plus importants chan­
tiers du quinquennat – l’un des
plus controversés aussi – celui de
la transformation de nos régimes
de pension. « J’ai décidé que toutes
les réformes en cours seraient
suspendues, à commencer par la
réforme des retraites », a­t­il dit, en
ne mentionnant que ce dossier,
comme pour rappeler son carac­
tère essentiel. « Nous sommes en
guerre », a­t­il justifié, en souli­
gnant que « toute l’action (...) doit
être désormais tournée vers le
combat contre l’épidémie ».

« Anxiogène »
Cette décision n’est pas vraiment
une surprise. Plusieurs voix
s’étaient récemment élevées pour
demander que le Parlement cesse
momentanément l’examen des
deux projets de loi – organique et
ordinaire – instaurant un système
universel de pensions, après leur
adoption, les 3 et 5 mars, en
première lecture à l’Assemblée
nationale. Alors que les deux
textes devaient être discutés en
avril au Sénat, des présidents de
groupe au Palais du Luxembourg
ainsi que des leaders syndicaux et
patronaux avaient plaidé en
faveur d’une pause. L’interven­

tion du chef de l’Etat leur donne
satisfaction. « Il a eu raison de
reporter sine die cette réforme,
déclare le patron du groupe Les
Républicains (LR) au Sénat, Bruno
Retailleau. Elle était anxiogène et
elle divisait les Français. On ne
peut ajouter l’angoisse à l’angoisse
ou la division à la division. Il faut
nous rassembler pour faire face à
l’épreuve. » « Il est bienvenu que le
gouvernement ait décidé de diffé­
rer la poursuite de l’examen du
texte, renchérit le député socia­
liste Boris Vallaud, l’un des élus
d’opposition les plus actifs lors
des débats au Palais­Bourbon.
L’urgence, c’est la crise, rien que la
crise, pas la réforme des retraites.
Nous le disons depuis des mois. »
L’arbitrage de M. Macron a été
dévoilé quelques heures après
l’annonce du report, au 1er sep­
tembre, de l’entrée en vigueur de
certaines dispositions relatives à
une autre réforme emblémati­
que, celle de l’assurance­chô­
mage. Aucune indication offi­
cielle n’a été apportée au sujet de
la conférence de financement, à
laquelle participent, depuis fin
janvier, les partenaires sociaux
afin de trouver des solutions pour
équilibrer financièrement le
système de retraites d’ici à 2027.
Mais, selon nos informations,
cette instance, qui devait se réunir
à nouveau le 24 mars, va, elle
aussi, arrêter provisoirement de
fonctionner.

L’une des questions qui se pose
désormais est de savoir à quel
moment la procédure législative
va être remise en mouvement
pour les deux textes. « Tout
dépend de quand reprendront les
travaux au Parlement », répond,
évasivement, une source au sein
de l’exécutif. « Nous sommes
tributaires de la durée de période
de confinement », complète
Guillaume Gouffier­Cha, rappor­
teur général de la réforme à l’As­
semblée nationale.

Calendrier « déjà intenable »
Jusqu’à maintenant, l’exécutif
avait martelé sa volonté de voir le
projet voté d’ici la fin juin, notam­
ment en raison de travaux dans
l’hémicycle de l’Assemblée natio­
nale qui vont entraîner sa ferme­
ture de juillet à octobre. Mais,
aujourd’hui, « il paraît difficile
d’envisager l’adoption de ces
textes avant l’été », confie un
poids lourd de la majorité. « Je ne
sais pas encore ce qui sera décidé

mais la fenêtre parlementaire
serait plutôt septembre, avant les
textes budgétaires », affirme un
député allié avec les macronistes.
Problème : les élus du Palais du
Luxembourg ne siégeront pas en
septembre en raison du scrutin
sénatorial, programmé ce
mois­là, si tout se déroule comme
prévu. Ensuite, et jusqu’à la fin
décembre, se succéderont les exa­
mens de deux gros « morceaux »
qui vont accaparer les parlemen­
taires : le projet de loi de finances
et le projet de loi de financement
de la Sécurité sociale s’annon­
cent, en effet, comme des textes
majeurs, étant donné l’ampleur
de la crise économique à venir.
L’équation pourrait tourner au
casse­tête si la réforme était
amenée à glisser sur début 2021 –
à un an de l’élection présiden­
tielle. Un scénario auquel rêvent
des élus de l’opposition, y voyant
la possibilité d’un enterrement de
première classe. « La situation est
assez peu prévisible mais ce coup
d’arrêt est peut­être rédhibitoire »,
veut croire Pierre Dharréville, dé­
puté PCF des Bouches­du­Rhône,
en évoquant un « calendrier déjà
intenable », « une procédure chao­
tique » et « une volonté gouverne­
mentale insensée ». « Je ne sais pas
du tout dans quoi on rentre mais je
sais que nous passerons notre pro­
jet », objecte M. Gouffier­Cha.
raphaëlle besse desmoulières
et bertrand bissuel

« L’urgence,
c’est la crise, rien
que la crise. Nous
le disons depuis
des mois »
BORIS VALLAUD
député socialiste des Landes

« Cela reste
des estimations,
ce sera sûrement
davantage
encore », glisse
une source
gouvernementale

A Lille,
le 16 mars.
MICHEL SPINGLER/AP

Un plan de 45 milliards pour aider les entreprises


La crise sanitaire due au Covid­19 devrait provoquer une contraction de la croissance de 1 % en 2020


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