6 |coronavirus MERCREDI 18 MARS 2020
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Les Etats tentent d’endiguer la crise économique
Face à un choc inédit, les pays européens ont pris des premières dispositions financières
Les usines automobiles ferment en France et en Europe
PSA, Fiat Chrysler, Michelin, Renault : de nombreuses entreprises annoncent des mises à l’arrêt de leurs sites industriels
vienne correspondant régional
C’
est une épidémie de fer
metures qui touche les
usines automobiles
européennes depuis lundi
16 mars, alors que la pandémie de
Covid19 flambe désormais sur le
Vieux Continent, et que la France,
la Suisse et l’Espagne ont monté
d’un cran les mesures de confine
ment pour y faire face.
Le groupe Michelin a inauguré
la série, lundi 16 mars, en annon
çant l’arrêt, à partir de mardi, de la
production de ses usines de pneu
matiques au moins jusqu’au di
manche 22 mars en Espagne, en
France et en Italie à cause du vi
rus. La fermeture concerne plus
de 20 000 salariés sur 21 sites in
dustriels, dont 14 en France, indi
que l’entreprise.
Autre mesure majeure : celle du
constructeur italoaméricain Fiat
Chrysler (FCA), qui a annoncé la
fermeture de la majorité de huit
usines de fabrication européen
nes jusqu’au 27 mars. Cela repré
sente entre 30 % et 35 % de la capa
cité productive totale du groupe
automobile, qui a entamé un pro
cessus de fusion avec le groupe
français PSA.
Mesures drastiques
Le groupe de Sochaux, justement,
a lui aussi pris des mesures drasti
ques. Le constructeur a décidé de
mettre en sommeil jusqu’au
27 mars l’ensemble de ses sites
d’assemblage européens. « Du fait
de l’accélération constatée ces der
niers jours de cas graves de Co
vid19 proches de certains sites de
production, des ruptures d’appro
visionnement de fournisseurs ma
jeurs, ainsi que de la baisse brutale
des marchés automobiles, le prési
dent du directoire [Carlos Tavares]
avec les membres de la cellule de
crise ont décidé le principe de la
fermeture des établissements de
production de véhicules », expli
que un communiqué diffusé
lundi 16 mars.
D’ici à jeudi 19 mars, quinze sites
seront arrêtés en France (Mul
house, dans le HautRhin, Poissy,
dans les Yvelines, Rennes et So
chaux), en Allemagne (les sites
d’Opel, dont l’usine mère de Rüs
selsheim), en Pologne, au Portu
gal, en Slovaquie et au Royaume
Uni (les usines Vauxhall).
Son rival Renault prend la
même décision. « A partir de lundi
16 mars en fin de journée, le groupe
Renault a suspendu toutes ses acti
vités de production sur les sites in
dustriels français, afin de protéger
ses salariés dans le contexte de
pandémie du Covid19 et dans le
respect des mesures prises par le
gouvernement français », an
nonce le groupe au losange dans
un communiqué. Douze sites et
18 000 salariés sont concernés.
« La continuité des activités de
production des usines du groupe
dans les autres pays européens est
fonction de la situation de chaque
pays », ajoute Renault. En Espa
gne, compte tenu de la situation
de confinement strict, quatre usi
nes sont déjà à l’arrêt à Valladolid,
Palencia (au nord de Valladolid) et
Séville. Dix milles employés sont
au chômage technique.
Enfin, Toyota a annoncé lundi
soir la suspension de la produc
tion de son site d’OnnaingValen
ciennes (4 000 employés, dans le
Nord), où est assemblée la Yaris, à
partir de mercredi 18 mars et pour
une durée indéterminée.
L’entreprise insiste sur l’inquié
tude des salariés, « même si, à ce
jour [lundi], aucun cas de corona
virus [n’avait] été confirmé » à
l’usine, précise la direction. A par
tir de mercredi, plus aucune auto
mobile ne pourra sortir des chaî
nes de fabrication du pays.
Le discours du président de la
République, Emmanuel Macron,
ordonnant, lundi 16 mars, un con
finement plus strict, et cette mise
à l’arrêt des usines terminales
automobiles françaises peutil
changer la donne pour les sous
traitants encore en fonctionne
ment en France? Mardi 16 mars
au matin, pas plus les équipemen
tiers Faurecia et Valeo que la ma
jorité des fournisseurs de la filière
n’avaient pris de décision d’arrêt
de la production.
Hors de France, le groupe Volk
swagen, qui compte pas moins de
122 sites dans vingt pays d’Europe,
a annoncé mardi matin l’arrêt de
la plupart de ses usines sur le
Vieux continent, pour deux à
trois semaines. D’ores et déjà, les
usines slovaques et espagnoles
sont à l’arrêt, tandis que les em
ployés de l’usine Audi de Bruxel
les ont cessé le travail, réclamant
des mesures de protection sani
taire.A travers l’Europe, la pres
sion pour fermer est forte. Les
syndicats de Hyundai, en Répu
blique tchèque, exigent aussi un
arrêt des chaînes de montage.
jeanbaptiste chastand
et éric béziat (à paris)
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen (au centre), à Bruxelles, le 16 mars. KENZO TRIBOUILLARD/AFP
bruxelles bureau européen,
A
lors que l’économie
mondiale se dirige
vers une récession de
grande ampleur, ni les
banques centrales ni les Etats ne
sont jusqu’ici parvenus à enrayer
la panique sur les marchés finan
ciers. Les Bourses de Paris, de Lon
dres et de Francfort ont clôturé,
lundi 16 mars, en baisse de respec
tivement, 5,75 %, 4,71 % et 5,31 %,
avant de légèrement repartir à la
hausse, mardi. A Wall Street, le
Dow Jones s’est écroulé, lundi, de
13 %, sa pire journée depuis 1987.
« L’ampleur du choc sur la crois
sance est en train de devenir expo
nentiel et les marchés se deman
dent avec raison ce que les politi
ques monétaires peuvent faire
d’autre », écrit Jason Daw, écono
miste à la Société générale, dans
une note publiée lundi.
La Réserve fédérale américaine
(Fed, banque centrale) a, pour
tant, annoncé en cours de séance,
lundi, qu’elle allait offrir 500 mil
liards de dollars supplémentaires
(449 milliards d’euros) sur le mar
ché monétaire, en plus des liqui
dités déjà injectées la veille avec
d’autres banques centrales, et un
abaissement de son taux direc
teur à zéro. Mais, contrairement à
2008 et 2009, l’origine de la crise
d’aujourd’hui n’est pas finan
cière. Au fur et à mesure que la
pandémie s’étend, les zones de
confinement se multiplient, blo
quant des usines et paralysant des
pans entiers de l’économie. Dans
ce contexte, les marges de
manœuvre des banques centrales
sont limitées.
Pas le même effort
Lundi, les Etats sont montés au
créneau pour tenter de rassurer
les marchés et circonscrire l’éten
due de l’impact économique de la
pandémie. « Le confinement forcé
met nos économies dans une si
tuation semblable à celle d’une
guerre », a jugé Mario Centeno, le
président de l’Eurogroupe, qui re
groupe les dixneuf Etats de la
zone euro, utilisant la même
comparaison que celle qu’avait
martelée Emmanuel Macron un
peu plus tôt dans la soirée. Mais
après tout la coordination com
mence souvent par la parole.
Et les vingtsept ministres des fi
nances de l’Union européenne
(UE), avec lesquels M. Centeno
s’est entretenu lundi aprèsmidi
par visioconférence, voulaient
montrer qu’ils étaient capables de
coordonner leurs politiques éco
nomiques. Avec un objectif : rassu
rer les marchés que les annonces
de la Banque centrale européenne
(BCE) ont déçus – jeudi 12 mars, la
présidente de l’institution moné
taire avait jugé que la réponse de
vait d’abord venir des gouverne
ments de l’UE – et le monde éco
nomique, confronté, pour partie,
à un arrêt brutal de l’activité.
Les réponses apportées par les
VingtSept relèvent souvent de re
gistres comparables (aides aux
PME, prise en charge par l’Etat de
mesures de chômage partiel...)
même si les montants engagés ne
représentent pas toujours le
même effort. « Les réponses des
différents pays européens repré
sentent déjà 1 % du PIB de la zone
euro pour 2020. Ce chiffre sera sû
rement amené à monter très bien
tôt », a précisé Paolo Gentiloni, le
commissaire européen aux affai
res économiques. Quant aux me
sures destinées à soulager la tré
sorerie des entreprises, comme le
report des paiements d’impôts,
elles pèsent environ 10 % du PIB
de la zone euro, soit environ
1 000 milliards d’euros.
Par ailleurs, les VingtSept ont
entériné, voire renforcé, les propo
sitions de la Commission pour
aider les Etats membres à lutter
contre les conséquences écono
miques du virus. Alors que l’Eu
rope devrait être en récession
en 2020 et que les mesures annon
cées par les Etats vont faire déra
per leurs comptes publics, l’exécu
tif européen s’est engagé à se mon
trer compréhensif. Et à ne pas exi
ger d’eux qu’ils respectent les
contraintes budgétaires du pacte
de stabilité et de croissance.
« L’Eurogroupe se réjouit que la
Commission soit prête à activer la
clause de crise générale [qui per
met de suspendre le pacte de sta
bilité] », a commenté M. Gentiloni.
La Commission a également dé
cidé d’assouplir les règles en ma
tière d’aides d’Etat, qui les empê
chent, en théorie, de subvention
ner des secteurs de l’économie ou
des entreprises. Par ailleurs, les
Etats membres ont accepté
qu’une enveloppe de 37 milliards
d’euros, pour l’essentiel prise sur
le budget européen, soit affectée
à la lutte contre les conséquences
de l’épidémie. Ils ont même
prévu qu’elle puisse, si néces
saire, être augmentée de 28 mil
liards. Enfin, un milliard d’euros
de fonds européens seront utili
sés pour garantir, via la Banque
européenne d’investissement
(BEI), jusqu’à 8 milliards d’euros
de prêts destinés à 100 000 en
treprises européennes.
Possible recours au MES
Lundi, les ministres des finances
n’ont pas choisi de recourir au
Mécanisme européen de stabilité
(MES). Doté de 410 milliards
d’euros, cet outil lancé en 2012 au
moment de la crise de la dette est
destiné aux Etats rencontrant des
problèmes de financement. Mais
ils l’ont néanmoins cité comme
l’un des instruments qui pour
raient être à leur disposition,
pour la suite. « On nous a de
mandé de regarder ce que nous
pouvons faire, comment nous
pouvons contribuer à aider sous
des conditions très différentes [de
celles de la crise de la dette], et
c’est ce que nous allons faire », a dit
le directeur du MES, l’Allemand
Klaus Regling.
« Cette crise met fin à la plus lon
gue période de croissance que
nous ayons jamais connue, vingt
trois trimestres consécutifs de
croissance. Nous cherchons des so
lutions », a reconnu M. Centeno.
En Europe, c’est l’Italie, poche de
la fragilité financière, qui concen
tre toutes les inquiétudes. « Soit il
y aura de la solidarité budgétaire
visàvis de l’Italie, soit ce pays va
être vraiment en difficulté », écrit
Patrick Artus, directeur de la re
cherche et des études de Natixis,
dans une note publiée lundi.
Si les VingtSept ont su afficher,
lundi soir, une certaine unité,
rien ne permet de garantir que
celleci résistera aux assauts des
uns et des autres. Quelques heu
res après la fin de l’Eurogroupe,
le premier ministre tchèque est
parti à l’offensive contre le Green
Deal. « L’Europe devrait oublier
maintenant le Green Deal » et se
concentrer sur le combat contre
le coronavirus, a déclaré Andrej
Babis, qui s’était pourtant résolu,
en décembre 2019, à s’engager
sur l’objectif de neutralité car
bone en 2050.
Les dirigeants du G7, sous prési
dence américaine, ont, de leur
côté, diffusé lundi un communi
qué dans lequel ils se disent « dé
terminés » à faire « tout ce qui est
nécessaire », tout en insistant sur
la « coopération ». Une manière
assez vaine, pour l’instant, de con
jurer le chacun pour soi dans la
crise. Et ce, alors que dans une
note de blog rendue publique
lundi, Kristalina Georgieva, la di
rectrice du Fonds monétaire in
ternational (FMI), a plaidé pour
« une relance budgétaire mondiale
renforcée et synchronisée ». Selon
le FMI, la réponse budgétaire des
pays du G20 à la crise actuelle est
« en deçà » de celle observée
en 2008, lorsqu’ils avaient dé
pensé 900 milliards de dollars,
soit l’équivalent de 2 % de leur PIB,
pour faire face à la crise mondiale.
Les dernières statistiques pu
bliées ce weekend en Chine, le
premier pays frappé par le Co
vid19, n’incitent guère à l’opti
misme. La production indus
trielle chinoise a enregistré lors
des deux premiers mois de l’an
née son recul le plus le plus im
portant de ces trente dernières
années. Elle a chuté de 13,5 % en
janvierfévrier par rapport à la
même période en 2019, tandis
que les ventes au détail se sont
contractées de 20,5 %. L’exemple
chinois montre que la reprise est
plus lente que prévu.
La crise mondiale ne fait donc
que commencer. L’œil du cyclone
se déplace désormais vers les
EtatsUnis, où le nombre de cas en
registrés SARSCoV2 suit la même
trajectoire que celle de la Chine, de
l’Italie et de la France, avec quel
ques jours de retard. OutreAtlan
tique, de nombreux producteurs
de gaz de schiste souffrent égale
ment de la baisse des cours du pé
trole, ce qui fragilise encore davan
tage les banques américaines. Se
lon le gestionnaire d’actifs suisse
Unigestion, la crise provoquée par
la pandémie plonge l’économie
mondiale vers des profondeurs in
connues depuis la seconde guerre
mondiale.
virginie malingre
et julien bouissou (à paris)
Les mesures
pour soulager
la trésorerie
des entreprises,
pèsent environ
10 % du PIB de la
zone euro, soit
1 000 milliards
d’euros
La fermeture des
usines Michelin
concerne plus de
20 000 salariés
sur 21 sites
industriels, dont
14 en France