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MERCREDI 18 MARS 2020 coronavirus | 7
Bruxelles apprend à gérer
ses nouvelles frontières
L’UE limite la circulation, tout en préservant son marché intérieur
bruxelles bureau européen
L
imiter la contagion du
virus SARSCoV2 sans
pour autant menacer
l’intégrité du marché in
térieur, qui est l’une des clés de
voûte de la construction com
munautaire : tel est aujourd’hui
le défi auquel l’Union euro
péenne (UE) est confrontée et qui
la force à concevoir d’une ma
nière radicalement nouvelle la
question de ses frontières, exté
rieures comme intérieures.
Lundi 16 mars, Ursula von der
Leyen, la présidente de la Com
mission de Bruxelles, a annoncé
qu’elle allait proposer aux Etats
membres « une restriction tempo
raire, d’une durée initiale de trente
jours, prolongeable si besoin, sur
les voyages non essentiels à desti
nation de l’UE ». Elle avait parlé
dans la matinée, par visioconfé
rence, de cette fermeture, aux visi
teurs étrangers avec le président
français Emmanuel Macron, la
chancelière allemande Angela
Merkel et le président du Conseil
européen, Charles Michel, avant
d’informer le G7. Paris avait mis le
sujet sur la table il y a plusieurs
jours déjà. Objectif : empêcher la
propagation du virus, mais aussi
limiter, autant que possible, la
pression sur les systèmes de soins
européens, mis à rude épreuve
par la pandémie.
Il s’agit donc de fermer tempo
rairement, dès mardi midi, les
frontières de l’Europe, élargies
aux quatre pays non membres de
l’UE qui ont adhéré à l’espace
Schengen, c’estàdire la Suisse,
l’Islande, le Liechtenstein et la
Norvège. Elles englobent aussi le
RoyaumeUni, puisque les discus
sions entre Londres et Bruxelles
sur la relation future ont à peine
commencé et que la GrandeBre
tagne fait encore partie de l’UE,
jusqu’au 31 décembre au moins.
La fermeture des frontières de
l’UE ne concernera pas les ci
toyens européens et leur famille
souhaitant rentrer chez eux, les
résidents permanents, les tra
vailleurs transfrontaliers ou les
diplomates. Les personnels de
santé (médecins, infirmiers), les
chercheurs ou les experts de la
santé continueront également à
avoir accès à l’UE, sans restriction.
Le flux de camions transportant
des marchandises doit aussi se
poursuivre, a insisté Mme von der
Leyen. Et les Européens qui vou
draient quitter le continent pour
ront le faire.
Portes closes un mois
Les VingtSept devaient se pro
noncer, mardi 17 mars, sur l’ini
tiative de la Commission, lors
d’une réunion extraordinaire
des chefs d’Etat et de gouverne
ment, organisée par visioconfé
rence. « J’en ai discuté avec la ma
jorité des Etats membres, qui sou
tiennent cette initiative », affirme
la présidente de la Commission,
qui affirmait ne pas douter que
sa proposition serait validée par
les capitales. Y compris certaines
qui, à l’Est, paraissaient rechi
gner et disaient être mises de
vant le fait accompli. Le Portugal,
qui a un accord spécifique avec le
Brésil, demandera sans doute à
ce que ce dernier puisse être res
pecté. Cela ne devrait pas poser
de problème majeur.
Les portes de l’UE resteront
donc closes pendant au moins un
mois. Du jamaisvu. « Le corpus
européen sur le sujet a évolué de
puis quelques années, dans le dou
ble contexte des attentats terroris
tes et de la crise migratoire, avec,
par exemple, la réintroduction de
contrôles systématiques aux fron
tières extérieures. C’est effective
ment une révolution par rapport
aux conceptions du passé. Cette
fermeture des frontières est une
étape supplémentaire très forte »,
commente un diplomate.
Critiquée pour la lenteur de cer
taines de ses réactions, alors que
les premières mesures restricti
ves ont été prises mercredi
11 mars (en Autriche), la Commis
sion tente aussi de reprendre la
main sur la question des frontiè
res intérieures.
Les règles de l’espace sans pas
seport de Schengen autorisent
des restrictions à la libre circula
tion en cas de crise grave. C’est la
première fois que le risque sani
taire est invoqué. A ce jour, sept
pays membres – l’Autriche, la
Hongrie, la République tchèque,
le Danemark, la Pologne, la Litua
nie et l’Allemagne –, ainsi que la
Suisse, ont notifié – parfois tardi
vement – à la Commission la
mise en place de contrôles à leurs
frontières. L’Espagne ne devrait
pas tarder à le faire. Le Portugal a
indiqué dimanche que les biens
ainsi que les personnes voya
geant pour des raisons profes
sionnelles seront autorisés à tra
verser la frontière avec l’Espagne,
mais pas les touristes.
La semaine dernière, Mme von
der Leyen et la commissaire aux
affaires intérieures, Ylva Johans
son, avaient prôné en vain des
mesures proportionnées et, sur
tout coordonnées, afin d’éviter
un chaos qui pourrait perturber
la vie des citoyens, les transports
et les flux de marchandises. Avec
à la clé, en cette période de forte
tension, des menaces sur l’appro
visionnement en biens essentiels
(nourriture, produits médicaux,
composants, etc.). La Commis
sion demande aux Etats concer
nés qu’ils mettent en place un sys
tème de voies rapides pour les
transporteurs afin de leur éviter
des attentes interminables.
« La priorité, c’est la santé des ci
toyens », a insisté Charles Michel,
lundi, pour justifier les mesures
de contrôle et de limitation des
entrées dans l’UE, pour éviter une
pression supplémentaire sur les
systèmes de soin.
La Commission espère au
moins que les mesures de con
trôle seront pondérées et repré
senteront « les avis scientifiques ».
La semaine dernière déjà, on avait
vu poindre, dans les propos de
Mme von der Leyen, l’idée que la li
mitation des voyages ne serait
pas une solution miracle. La prési
dente défendait plutôt l’idée de
tests sanitaires aux frontières –
tout en estimant que des person
nes malades ne devaient pas se
voir refuser l’entrée.
Système « non discriminatoire »
La Commission prône, plus géné
ralement, un système « non discri
minatoire », alors qu’ici et là cer
tains pays ont eu la tentation
d’interdire leur territoire à certai
nes nationalités européennes,
comme l’Autriche et la Hongrie
l’ont fait avec les Italiens, quel que
soit l’endroit d’où ils venaient.
Voyant se profiler de nouvelles
menaces pour l’espace Schengen
et le risque qu’à terme il finisse
par être démantelé, Bruxelles
joue cette fois la carte de l’indis
pensable défense du marché uni
que. Et insiste sur l’obligation
d’assurer que les équipements
médicaux et les médicaments
puissent parvenir aux médecins
et aux patients sans entraves. Il
faut aussi veiller, insiste la Com
mission, à ce que les chaînes d’ap
provisionnement des usines qui
les fabriquent ne soient pas rom
pues, et qu’aucune pénurie ali
mentaire se profile.
virginie malingre et
jeanpierre stroobants
La propagation commence à ralentir en Italie
La progression diminue dans les régions où le confinement a été mis en place le 8 mars
rome correspondant
C’
est la première – rela
tive – bonne nouvelle
dans la terrible crise sa
nitaire à laquelle est confrontée
l’Italie depuis trois semaines : se
lon les bilans, la courbe de pro
gression du Covid19 semble enfin
ralentir, laissant apparaître les ef
fets positifs du choix du confine
ment de la population, décidé pro
gressivement à partir du 8 mars.
La tendance avait été décelée de
puis deux jours par les observa
teurs de l’épidémie, mais per
sonne n’osait encore s’avancer,
préférant attendre que les don
nées chiffrées soient plus solides.
Attilio Fontana, le gouverneur
(Ligue) de la région Lombardie,
épicentre de la crise, a été le pre
mier, parmi les responsables poli
tiques italiens, à l’évoquer publi
quement. Certes, le Covid19 con
tinue à sévir dans sa région, mais,
atil annoncé sur la chaîne d’in
formation Sky TG 24, lundi
16 mars, « sa croissance n’est plus
exponentielle ». Le rythme de sa
progression ralentit, lentement
mais sûrement, ce qui permet
d’espérer enfin, à moyen terme,
une amélioration de la situation,
même si les perspectives immé
diates restent très sombres.
Quelques heures plus tard, le
bilan journalier délivré par la pro
tection civile italienne était pu
blié, et donnait plus de corps à
cette théorie optimiste. Dans la
soirée, le professeur Franco
Locatelli, président du Conseil su
périeur de santé, a déclaré : « Il y a
une attention confiante sur ces
données, qui doivent encore être
consolidées dans les deux pro
chains jours. »
Certes, en valeur absolue, les
chiffres du jour sont terribles :
avec 349 morts de plus que la
veille, et la barre des 2 000
victimes (2 148 au total) franchie,
le bilan est effroyable. Selon tous
les modèles de calcul, la barre des
3 000 décès devrait être franchie
mercredi ou jeudi, et les deux
prochaines semaines verront
sans doute le nombre de morts
atteindre de dramatiques
proportions.
Mais le nombre de cas recensés
croît nettement moins vite, en
pourcentage. Ainsi, selon le bilan
de la protection civile, actualisé
dans la soirée, le pays compte dé
sormais 28 114 cas, mais la hausse
du jour n’est « que » de 13 %, con
tre 17 % la veille et 19 % samedi.
Tests moins systématiques
Sans doute ce chiffre estil de
moins en moins parlant : avec la
progression de l’épidémie, et sa
généralisation à des zones de peu
plement trop importantes, les
tests sont devenus moins systé
matiques : dans le nord du pays,
ils se font désormais à l’arrivée à
l’hôpital, et non plus à l’appari
tion des premiers symptômes.
Il n’en reste pas moins que cela
suggère une tendance, qui sem
ble démontrer le bienfondé de
mettre en place des zones de con
finement, puis de les étendre pro
gressivement à l’ensemble du ter
ritoire. En effet dans le détail, c’est
en Lombardie (+ 10,4 %), en
EmilieRomagne (+ 10,9 %) et en
Vénétie (+ 13,5 %) que la hausse du
nombre de cas ralentit le plus. Or
c’est précisément dans ces zones
que le confinement a commencé,
dès le 8 mars. Bientôt, on devrait
donc assister à l’apparition d’une
tendance tout aussi nette dans le
reste du pays.
Dans la province de Bergame,
ou la situation des hôpitaux est
très préoccupante, la croissance
du nombre de nouveaux cas est
passée sous les 10 %, de quoi don
ner un peu d’espoir aux person
nels soignants. La population, du
rement éprouvée, en aura bien
besoin : en une semaine,
385 morts ont été comptabilisés,
et les chambres mortuaires étant
toutes pleines, les corps des victi
mes sont désormais placés dans
les églises de la ville.
Alors que les structures sanitai
res, partout dans le nord du pays,
sont soumises à un défi d’une
ampleur inédite, la mobilisation
générale s’organise : lundi, le gou
vernement a annoncé, outre un
effort particulier de 3,5 milliards
d’euros, l’arrivée de 10 000 jeunes
médecins, qui seront dispensés
du traditionnel examen d’Etat fi
nal pour être placés plus vite en
première ligne. Leur présence est
d’autant plus nécessaire que, se
lon le ministère italien de la santé,
plus de 2 000 médecins tra
vaillant au quotidien sur le
coronavirus ont été contaminés
depuis le début de l’épidémie.
Un autre décret devrait rendre
possible la réquisition de certai
nes ressources appartenant à des
cliniques privées, afin de dégager
des lits supplémentaires pour af
fronter le pic de contagion prévi
sible, attendu pour la semaine
prochaine.
jérôme gautheret
La Commission
espère que
les mesures
de contrôle
représenteront
les « avis
scientifiques »
Boris Johnson refuse
encore de prendre
des mesures radicales
Le premier ministre invite les Britanniques
au télétravail et à limiter leurs déplacements,
sans mesures obligatoires
londres correspondante
L
e RoyaumeUni continue à
faire jeu à part. Alors que
le pays comptabilisait
1 543 contaminations au corona
virus (dont 407 à Londres) et
55 morts lundi 16 mars au soir,
Boris Johnson a annoncé une
série de mesures supplémentai
res pour tenter de ralentir la
diffusion de l’épidémie. Ces déci
sions restent cependant moins
drastiques que celles prises ces
derniers jours par les autres pays
européens.
Lors d’une conférence à Dow
ning Street, le premier ministre
britannique a essentiellement
fait appel à la volonté de ses conci
toyens, conseillant spécialement
aux Londoniens « même si vous
n’avez pas de symptômes, de res
treindre vos interactions, de limi
ter vos déplacements à l’essentiel
et de privilégier le télétravail ».
« C’est le moment d’éviter les pubs,
les clubs et les théâtres », atil
ajouté. M. Johnson a aussi « forte
ment conseillé » aux « plus fragi
les », à savoir « les plus de 70 ans,
les personnes avec des pathologies
et les femmes enceintes, de s’iso
ler ». Objectif : « Ralentir le pic de
l’épidémie et l’aplanir. »
« Il s’agit aussi de prendre les
bonnes mesures au bon moment,
sur la base des meilleurs conseils
scientifiques, a insisté le premier
ministre, accompagné de son
conseiller scientifique en chef,
Sir Patrick Vallance, et du con
seiller médical en chef, Chris
Whitty. L’épidémie progresse plus
vite que prévu, notamment à Lon
dres. Si nous n’allons pas plus loin,
le nombre de contaminations
pourrait doubler tous les quatre à
six jours. »
« Une démocratie mature »
Pourquoi ne pas avoir imposé des
mesures obligatoires, a interrogé
un journaliste? « Nous sommes
une démocratie mature, une so
ciété d’adultes, les gens compren
nent la nature de nos mesures », a
répliqué le premier ministre,
ajoutant que si le RoyaumeUni
ne suivait pas la voie adoptée dé
sormais par quasiment toute
l’Union européenne (UE), c’est
parce que « chaque pays est à un
stade différent de l’épidémie, et no
tre action doit être déclenchée au
bon moment pour être efficace ».
Il n’est donc toujours pas ques
tion de fermer les écoles britanni
ques, contrairement à partout
ailleurs en Europe, « même si ce
n’est pas exclu », a précisé M. John
son. Il n’a fait aucune mention
d’une éventuelle fermeture des
frontières ou de la nécessité de
confiner les maisons de retraite.
Pourtant, M. Vallance, son con
seiller scientifique, a concédé que
le pays « n’est plus qu’à trois semai
nes de la situation italienne », con
tre quatre évaluées jusqu’ici. Et il a
conseillé aux personnes qui
auraient quelqu’un dans leur
foyer présentant les symptômes
du coronavirus, de s’isoler « qua
torze jours » au lieu des sept jours
recommandés pour les person
nes malades, en fin de semaine
dernière. Quant à cette « herd im
munity », cette « immunité collec
tive » que M. Vallance avait expli
qué être un objectif souhaitable,
le 12 mars, elle ne serait plus à l’or
dre du jour. « Notre but est de pro
téger les vies », a ajouté son collè
gue, M. Whitty. Ce changement de
pied intervient après que l’unité
Covid19 de l’Imperial College
London, consultée par le gouver
nement, a conclu dans une étude
parue lundi que cette stratégie vi
sant à contenir plutôt qu’à stop
per l’épidémie pourrait entraîner
jusqu’à 250 000 décès.
Ces décisions ressemblent en
core à des demimesures, compa
rées aux recommandations de
l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) qui répète qu’il faut
« tester, tester, tester » le plus de
gens possible, alors qu’au Royau
meUni, même les personnels de
santé se plaignent de ne pas y
avoir accès.
« Nous allons peutêtre vers un
sévère choc pour notre économie,
mais si nous réagissons bien, on
peut espérer que cette crise sera
courte, et les fondamentaux de
l’économie britannique sont sains,
bien meilleurs qu’en 2008 », a con
clu M. Johnson, sans annoncer de
mesures supplémentaires, con
crètes, pour aider les travailleurs
indépendants ou les contrats
« zéro heure » (sans durée de tra
vail minimum).
Déjà, lundi soir, nombre de Bri
tanniques signalaient sur Twitter
la panique des restaurateurs, te
nanciers de pub, dont les établis
sements se vident mais qui se
trouvent dans l’incapacité de faire
jouer leurs assurances, la « distan
ciation sociale » n’ayant pas été
rendue obligatoire.
Partout dans le pays, les Britan
niques devancent en tout cas le
plan de marche des autorités. Le
métro londonien est de plus en
plus vide. Les écoles françaises
ont fermé leurs portes lundi soir,
leurs 4 000 élèves passant aux
cours en ligne. Les universités
font de même partout tandis que
s’improvisent des groupes de vo
lontaires pour aider les plus âgés
à faire leurs courses. Quant aux
supermarchés, dont les rayons
sont dévalisés à Londres, ils doi
vent manifestement faire face
aux achats « panique ». Et les pâ
tes, savons ou papiers toilette
sont désormais rationnés dans
les chaînes de magasins en ligne
Waitrose et Tesco.
cécile ducourtieux
Les restaurants
restent ouverts
en Allemagne
Vingt-quatre heures après avoir
décidé la quasi-fermeture de
ses frontières avec la France, le
Luxembourg, l’Autriche, la Suisse,
et le Danemark, l’Allemagne a dé-
cidé, lundi 16 mars, de fermer la
plupart de ses commerces, pisci-
nes, salles de sport, bars, disco-
thèques, musées, maisons closes
et d’interdire spectacles et offices
religieux. Les restaurants pour-
ront cependant rester ouverts à
condition de respecter des règles
sur l’espacement des tables et le
nombre de clients. Qualifiées de
« radicales » par la chancelière
Angela Merkel, ces mesures déci-
dées par le gouvernement fédéral
allemand demeurent toutefois
moins drastiques que celles
en vigueur dans d’autres pays
européens. Berlin se refuse,
pour l’instant, à imposer un
confinement généralisé, en se
contentant de l’encourager.
« Nous allons peut-
être vers un sévère
choc pour notre
économie. Si nous
réagissons bien,
on peut espérer que
cette crise sera
courte »
BORIS JOHNSON
premier ministre britannique
Selon tous
les modèles
de calcul, la barre
des 3 000 décès
devrait être
franchie
mercredi ou jeudi