Les Echos Mercredi 11 septembre 2019 MONDE// 07
Gabriel Grésillon @ggresillon — Bureau de Bruxelles
et Derek Perrotte @DerekPerrotte —Bureau de Bruxelles
PHIL HOGAN
UN COLOSSE AU COMMERCE
Les confrontations avec Donald Trump promet-
tent. A 50 ans, l’imposant et parfois bouillonnant
Phil Hogan, formé à la rude école de la politique
irlandaise et issu de la droite traditionnelle, va pren-
dre les rênes du Commerce, p ortefeuille p restigieux
qu’il a obtenu au forceps. A Bruxelles, depuis son
poste actuel de commissaire à l’Agriculture, il s’est
beaucoup impliqué dans les négociations de
l’accord Mercosur, manière de prouver son intérêt
et ses capacités p our l a matière. Sous Juncker, ce fils
de fermiers, partisan d’une PAC allégée et d’une
agriculture intensive (et à ce titre honni par les pro-
fessionnels français), a affiné les armes sur lesquel-
les il devrait s’appuyer : un libéralisme assumé, une
certaine roublardise et une détermination qui lui
valent aussi une réputation d’adepte du passage en
force. « C’est un négociateur expérimenté, dur mais
juste », souligne Ursula von der Leyen. Sa nationa-
lité est aussi un atout : avec le Brexit, placer un Irlan-
dais au Commerce au moment où l’UE va devoir
négocier u n accord avec le Royaume-Uni f ait sens.n
FRANS TIMMERMANS
NOUVEAU GÉANT VERT
Il a failli être calife à la place du calife. Le socialiste
néerlandais Frans Timmermans est une figure
importante sur la scène européenne et a été pres-
senti, un temps, pour succéder à Jean-Claude Junc-
ker à la présidence de la Commission européenne.
Actuellement premier vice-président, il supervise
les questions d’Etat de droit et a mené la charge, à ce
titre, contre les dérives polonaise et hongroise. C’e st
d’ailleurs u ne des raisons pour lesquelles le poste de
président de la Commission lui a été refusé : il est
détesté à Budapest comme à Varsovie. Cet homme
politique ambitieux est surtout un orateur hors
pair, maîtrisant six langues dont plusieurs à la per-
fection, et capable d’incarner l’Europe avec fougue.
Son socialisme extrêmement modéré fait de lui une
figure compatible avec la droite européenne et
devrait l’aider à bâtir des compromis dans le chan-
tier capital dont il va assurer le pilotage : l’adapta-
tion européenne au changement climatique. Une
mission qu’il pilotera avec un statut nouveau, à la
hauteur de l’importance du sujet : celui de vice-pré-
sident exécutif.n
JOSEP BORRELL
VIEUX ROUTIER
À LA DIPLOMATIE
En Espagne, les générations politi-
ques changent mais Josep Borrell
demeure. A 72 ans, celui qui a com-
mencé sa carrière gouvernemen-
tale au début des années 1980 va
devenir le nouveau haut représen-
tant de l’UE en charge des Affaires
étrangères et de la Politique de
sécurité. Combattant depuis des
années la rhétorique des indépen-
dantistes de sa région – la Catalo-
gne –, il s’est impliqué dans la politi-
que européenne dans les années
2000, p renant la présidence du Par-
lement européen de 2004 à 2007.
Ardent défenseur de la cause euro-
péenne et tenté, un temps, par la
voie fédéraliste, il n’a toutefois
qu’une expérience limitée en
matière diplomatique. Sur décision
des chefs d’Etat et de gouverne-
ment, le voilà en passe de succéder
à l’Italienne Federica Mogherini à
l’un des postes les plus visibles à
l’étranger. Un poste qui est aussi
frustrant : l’UE reste une créature
diplomatique fragile, coincée entre
des Etats membres plus puissants
qu’elle – France en tête.n
MARGARITIS SCHINAS
MONSIEUR MIGRATION
Les commissaires européens ont rarement un sens
inné de la communication. Margaritis Schinas, lui,
est rompu à l’exercice. De 2014 à 2019, c’est lui qui a
orchestré, au quotidien, la conférence de presse de
midi à la Commission européenne, en sa qualité de
porte-parole de l’institution. Ce membre charismati-
que de la droite grecque, qui connaît la machine
médiatique bruxelloise comme sa poche, peut dire
merci au revirement politique de son pays aux élec-
tions législatives du mois de juin. Il lui permet d’obte-
nir une des huit vice-présidences de la Commission
européenne. Derrière le libellé déroutant (« protéger
notre mode de vie européen ») se cache l a mission de
superviser l’e nsemble de la question migratoire. Un
portefeuille qui va de la politique avec les pays d’ori-
gine des migrants jusqu’à la gestion de l’asile, en pas-
sant par le renforcement des frontières extérieures
de l’UE et même l’attraction des talents à l’étranger.n
Climat, crise migratoire, guerre commerciale, Brexit :
la nouvelle Commission hérite de dossiers hautement sensibles.
Voici les 10 personnalités qui en porteront la responsabilité.
URSULA VON DER LEYEN
PREMIÈRE DAME
Elle est le visage du renouvellement. Première femme à la
tête d’une Commission européenne qui a longtemps été
exclusivement masculine, Ursula von der Leyen est déjà cer-
taine d’entrer dans l’Histoire. Sur le fond, c’est une mission
compliquée qui attend cette conservatrice allemande de
60 ans : non seulement elle hérite d’une Union euro-
péenne fragilisée, mais elle doit composer avec une
équation politique bien plus subtile que celle qui
prévalait au cours des cinq dernières années.
Sa famille politique (PPE) a perdu sa domi-
nation sans partage sur la scène euro-
péenne et c’est donc une Commission cons-
truite autour d’un triumvirat droite-
gauche-centre qu’elle va devoir piloter.
L’ancienne ministre de la Défense devra, en
outre, convaincre qu’elle n’agit pas pour le
compte de Berlin. Trilingue, elle pourra compter
sur sa maîtrise du français et de l’anglais pour
séduire. Mais elle a encore tout à démontrer dans la grande
machine bruxelloise. Et elle ne pourra pas compter sur une
période d’acclimatation : dès sa prise de fonctions, le Brexit et
la grande négociation du budget européen lui imposeront
une plongée dans les plus explosifs des dossiers européens.n
VÉRA JOUROVA GENDARME DE L’ EST
L’actuelle commissaire à la Justice et aux Consommateurs prend du galon. La Tchèque
Vera Jourova, 55 ans, sociale-démocrate, est nommée vice-présidente « en charge des
valeurs et de la transparence ». Elle aura la délicate mission d’œuvrer à un meilleur res-
pect de l’Etat de droit dans certains Etats, comme la Hongrie et la Pologne, pointés du
doigt pour leurs dérives. Sa nationalité se veut un atout et un signal envers les pays
d’Europe de l’Est gagnés ou tentés par les démocraties « illibérales » alors que la récon-
ciliation Est-Ouest est un des enjeux cruciaux de la mandature à venir. Nul doute que
Vera Jourova, qui évoque souvent son enfance « de l ’autre côté d u rideau d e fer », prendra la
tâche très à cœur. A la Justice, son opiniâtreté et sa capacité à ne jamais lâcher le morceau
sans jamais se départir de sa bonne humeur communicative en ont progressivement fait
une des figures les plus appréciées de l’exécutif européen.n
PAOLO GENTILONI
LA BONNE SURPRISE
ITALIENNE
Qui l’eût cru? Il y a un mois
encore, l’Italie terrifiait les ana-
lystes bruxellois. Quel commis-
saire Rome allait-elle envoyer
dans la capitale européenne, alors
que le gouvernement italien était
archi-dominé par un Matteo Salvini
passé maître dans l’art des provocations à l’égard de la
technocratie européenne? C’était sans compter l e mau-
vais pari du leader d’extrême droite, et la fin de sa coali-
tion avec les 5 étoiles. Désormais, Rome veut jouer
l’apaisement. Et c’est Paolo Gentiloni, ancien Premier
ministre i ssu du Parti démocrate italien, qui sera chargé
de mener cette délicate mission. Certes, l’Italie voit son
influence diminuer dans les affaires européennes – le
pays disposait jusqu’à présent de la présidence de la
BCE, de c elle d u Parlement européen e t du poste d e haut
représentant. Mais elle hérite d u portefeuille très s traté-
gique de l’Economie, à la suite de Pierre Moscovici. Un
cadeau presque inespéré : pour le Nord de l’Europe,
l’Italie incarne l e danger du laxisme budgétaire. Elle dis-
posera probablement désormais, à Bruxelles, d’un
interlocuteur bienveillant. Lequel devra toutefois com-
poser avec un vice-président letton, Valdis Dombrovs-
kis, nettement plus orthodoxe.n
JANUSZ WOJCIECHOWSKI
PAC MAN
En pleine réouverture de la
négociation de la Politique
agricole commune
(PAC), menacée de cou-
pes, un s pécialiste
s’imposait au poste.
C’est chose faite avec le
Polonais Janusz Woj-
ciechowski, membre de
la Cour des comptes euro-
péenne et ancien eurodé-
puté, de 2004 à 2016, qui a copré-
sidé la commission de l’Agriculture. Membre du PiS,
le parti conservateur du président Andrzej Duda, ce
diplômé de droit, également juge, a été choisi après
que le candidat initial envoyé par Varsovie, qui visait
en réalité l’Energie, a décliné le poste. A 64 ans, la
position précise de Janusz Wojciechowski sur la
PAC sera attendue et scrutée alors que la Cour des
comptes européenne s’est montrée très critique sur
la réforme proposée par l’actuel commissaire
Hogan. « Il peut vite monter dans les tours et n’a pas
gardé beaucoup d’amis au Parlement », glisse une
source bruxelloise spécialiste de l’agriculture.n
SYLVIE GOULARD
CAPITAINE D’INDUSTRIE
Sylvie Goulard revient à Bruxelles par la grande
porte. L’ex-eurodéputée, de 2009 à 2017, hérite,
comme y aspirait la France, d’un large portefeuille
économique. Celui de l’Industrie et du Marché inté-
rieur, qui constitue avec ses 500 millions de consom-
mateurs le principal levier de croissance du conti-
nent, auquel s’ajoute la Politique spatiale. De cet
avant-poste, cette experte des rouages de la bulle
européenne poussera la construction de « la souve-
raineté industrielle et technologique de l’Europe »
prônée par Emmanuel Macron. Cela passera par
l’essor d’une politique industrielle et de projets com-
muns, comme sur les batteries électriques, et la mul-
tiplication d’investissements d’avenir. Et par beau-
coup de diplomatie, un défi de taille pour cette f emme
de convictions, germanophile, grande bûcheuse aux
compétences saluées mais dont le caractère affirmé
irrite certains. Fidèle à ses
habitudes, Emmanuel
Macron place à ce
poste clef une pro-
che. Lors de l a
présidentielle,
Sylvie Goulard
lui avait ouvert
son précieux car-
net d ’adresses
européen. Un pari
payant.n
John Thys/AFP
- C
elestino Arce/Zuma/RÉA
- E
mmanuel Dunand/AFP – Jure Makovec / AFP – Dinendra Haria/Sopa
Images/Zuma/RÉA
- j
oel Saget/AFP –
Ka
i Forsterling/EFE/Sipa
Les nouveaux
visages
de l’Europe
MARGRETHE VESTAGER
GARE AUX GAFA!
La « tax lady » honnie de D onald Trump
et de la Silicon Valley va renfiler les
gants. La libérale d anoise Margrethe Ves-
tager, redoutée gendarme européen de la
concurrence, sera une pièce maîtresse de la
prochaine Commission. A 50 ans, cette fille de pasteurs
luthériens, ministre d e l’Education à 30 a ns et q ui inspira la série « Borgen »,
va devenir première vice-présidente, en charge des enjeux digitaux. Grosse
cerise sur le gâteau, elle conservera dans le même temps le portefeuille de la
Concurrence. U n très beau lot de consolation pour « Queen Margrethe » qui
visait la présidence de l’exécutif européen, forte de l’aura et de la popularité
glanée à coups d’amendes record contre l es géants américains de la tech. De
quoi donner des sueurs froides aux Gafa, tant le second round s’annonce
riche, l’idée étant de pousser Google et Facebook à partager leurs données
pour créer de la concurrence. Le contrôle des contenus et l’essor de l’intelli-
gence artificielle seront aussi à l’agenda de cette francophile, qui possède
une maison sur l’île d’Oléron mais confesse buter sur la grammaire fran-
çaise, que « vous devriez simplifier! »n