une rêverie éthérée, un ego trip, mais
bien une confrontation au réel, elle est
« le sentiment du réel », disait encore
Simone Weil.
Alors, où la trouver? Et comment? Dom
Augustin Guillerand, chartreux, esquis-
sait un début de réponse dans sa Voix
cartusienne : « Dieu est la joie ; et même
lorsqu’Il permet l’épreuve, Il entend par
la voie douloureuse nous communiquer
cette joie. Sa grande joie, c’est de se donner,
parce qu’Il est caritas. Nous devons entrer
dans cette joie : “Entre dans la joie de ton
Maître.” » Rien n’est demandé, sinon
d’entrer dans la joie. Faire le pas, le simple
premier pas.
Mais le péché originel ne nous lâche pas
et est venu complexifier ce qui était
simple. « Nous avons obscurci le chemin
vers la joie. Nous nous sommes compliqué
inutilement la tâche. Notre arrogance nous
aveugle. Nous sommes attachés à nos
erreurs : nous leur avons donné le nom
de vérité », se lamente le philosophe
Emmanuel Godo, dans Mais quel visage
a ta joie ?. Le jeune homme riche, dans
l’Évangile, souffre de cette complexité :
il a trop, il ne veut donc rien laisser. S’il
avait eu peu, sans doute aurait-il eu plus
de facilité à s’en défaire. Et il quitta le
Christ « contristé » (Mt 19, 22). Nous-
mêmes, ne sommes-nous pas victimes
On ne sait pas très bien d’où elle vient, et lorsqu’on
la recherche à tout prix, elle ne vient pas : la joie
est un cadeau, et donc une école d’abandon
dans les mains du Tout-Puissant.
La joie
Un don
dans
l’abandon
CONVERTIR NOS ÉMOTIONS
irrésistible. Nous le sentons bien lorsque
nous sommes joyeux : la joie est
un allégement, une sorte de mise en
apesanteur ; durant quelques instants,
nous quittons ce monde ou, pour mieux
dire, nous vivons pleinement, comme
débarrassés de toutes les scories qui
nous entravent. Nous vivons en vérité,
intégralement. Contrairement à toutes
les drogues, narcotiques ou technolo-
giques, pas d’accoutumance, pas d’effets
secondaires : comme un avant-goût
de paradis qui reste en bouche pour le
reste de la vie.
UNE CONFRONTATION AU RÉEL
C’est l’inverse qui laisse un goût amer.
Parce qu’il faut passer par un chemin
dru pour atteindre la joie. « La joie se
paie avant, le plaisir se paie après »,
martelait le Père François Potez dans
l’une de ses conférences à destination
des jeunes. C’est ainsi qu’on atteint
la joie : en se confrontant à la réalité de
la vie, en touchant du doigt ce qu’elle a
de plus beau mais aussi de plus dur. « La
joie chrétienne est une joie puissante qui
ne fait pas l’impasse sur la beauté et sur
le drame de la condition humaine », résume
le Père Denis Trinez, auteur de Sur un
chemin escarpé : la joie! La joie n’est pas
ENTRE DANS LA JOIE
DE TON SEIGNEUR
« La bonne volonté et la grâce, qui est la bonne volonté
de Dieu, voilà les deux forces qui font les saints. Laissons
donc résolument nos craintes et jetons-nous joyeusement
dans la confiance filiale, qui est le premier et le dernier mot
de l’Évangile. Ne nous voyons plus seuls pour porter le poids
de notre être et de la vie. Il n’y a pas d’erreur plus périlleuse
que celle-là. Dieu s’offre à nous pour combler le vide de
notre âme et réjouir toutes ses désolations. La désolation,
c’est la surface mobile où le démon nous trouble ;
la joie, c’est le fond réel et substantiel où Dieu se donne :
“Entre dans la joie de ton Seigneur” » (Mt 25, 21).
Extrait de Silence Cartusien,
par Dom Augustin Guillerand, Éditions Sainte-Madeleine.
FAMILLECHRETIENNE.FR • N°2171 • SEMAINE DU 24 AU 30 AOÛT 2019 • 29
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