Septembre 2019 • NOTRE TEMPS • 119
ÉTYMOLOGIE VACANCIÈRE
Chaque mois, Muriel Gilbert, journaliste, correctrice
au quotidien Le Monde, chroniqueuse sur RTL
avec Un bonbon sur la langue et auteure de nombreux
livres sur la langue française, partage avec nous
sa passion pour les mots, érudite et pleine d’humour.
ILLUSTRATION FLORENCE WOJTYCZKA
Amis des mots, voici de quoi ne pas
bronzer idiot... Il y a peu, j’ai eu la chance
de passer par le village de Roussillon,
en Provence. Je m’y suis baladée sur ce que l’on appelle
le « Sentier des ocres », des paysages étonnants, des
falaises d’un rouge-orangé intense – ocre, en somme.
Par moments, on se croirait dans ces paysages
du Far West des westerns de notre enfance.
Au fait, savez-vous ce que c’est que l’ocre? Une couleur,
c’est vrai. Ocre peut être un adjectif de couleur – un
adjectif invariable, au passage : « des paysages ocre »,
sans s à ocre, car il s’agit d’un nom utilisé comme adjectif.
Et justement, quand ocre est un nom, c’est une argile
dont on se sert comme colorant parce qu’elle est teintée
en jaune ou en rouge par des oxydes de fer. À Roussillon,
c’est bien simple, tout est roux! Et bien sûr, c’est à cette
particularité remarquable que le village doit son nom...
L’étymologie des toponymes – l’origine des noms de
lieux, quoi –, c’est passionnant. Roussillon est situé dans
le département du Vaucluse... qui tient son nom du latin
vallis clausa, la « vallée close », l’ancienne appellation
du village de Fontaine-de-Vaucluse, qui se trouve
dans une vallée en cul-de-sac, comme la traduction
de son nom l’indique, et d’où jaillit mystérieusement
avec un débit phénoménal la source de cette rivière
transparente que l’on appelle la Sorgue.
D’ailleurs, la plupart des départements tiennent leur
nom d’une ou plusieurs rivières ou fleuves : Corrèze,
Hérault, Loir-et-Cher, Essonne... Et la grande majorité
des noms de villes font référence à leur géographie
ou à la nature qui les caractérise. Pour rester dans
les localités chéries des vacanciers, Aix-en-Provence,
comme tous les Aix, vient du latin aquae, « ville d’eaux ».
Montpellier, en revanche, descendrait du latin Mons
Pistillarius, « la colline aux épices », sans doute parce
que les herbes de Provence y poussaient en grand
nombre. Le nom du Cap-Ferret, lui, veut dire « tête
de ferrugineuse » en gascon, parce que l’eau de
la nappe phréatique qui ruisselle sur la plage au bout
de la presqu’île est très chargée en fer, et provoque
des traînées couleur de rouille.
Il y a aussi des origines qui semblent plus évidentes
- mais dans ce domaine, il faut se méfier de l’évidence!
J’aime beaucoup l’étymologie du Lavandou, dans
le Var : tout le monde croit qu’elle vient de la lavande
qui pousse sur les collines des environs. Mais non,
elle vient du provençal lavadou, qui désigne un « lavoir ».
Et tenez, une dernière étymologie, parmi les plus
surprenantes : celle du nom de la ville de Lorient.
Comment ce port breton, qui regarde donc carrément
vers l’Occident, vers l’ouest, peut-il se trouver affublé
d’un nom qui évoque l’est? Eh bien ce nom vient
de celui du Soleil-de-l’Orient, premier navire construit
dans les chantiers de la Compagnie des Indes, en 1669.
Les ouvriers ont donné au chantier le nom du navire
qui, par contraction, est devenu rapidement... Lorient,
celui de la ville, sous la forme que nous connaissons
aujourd’hui. J’adore cette histoire! ■
Mère calme à peu agitée. Mon fils, l’amour, les baskets et les yaourts
aux fraises. Chroniques, Muriel Gilbert, Éd. La librairie Vuibert, 19,90 €.
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