Le Monde - 15.02.2020

(Romina) #1
coordinatrice. Pour décrocher son code, Laila
s’est fixé l’été comme échéance. Elle s’entraîne
dur, enchaîne les séries sur l’application
SuperCode dès que ses petits lui offrent du répit.
Avec Stéphanie, elle partage le même projet :
devenir aide à domicile auprès de personnes
âgées et handicapées. Impensable sans le per-
mis ni sans être capable de sillonner la cam-
pagne alentour.
Pour tous, le permis sera « le plus beau diplôme ».
Pour certains, le premier. Celui qui lui fera « relever
la tête », dit Mickaël, qui « réparera tout ». Le
simple fait d’avoir cette carte rose dans leur poche
les soulagera. « Fini les bus et trams avec les trois
enfants et la poussette », s’exclame Laila. Mickaël a
déjà repéré les entreprises du coin où il pourrait
déposer des CV de préparateur-livreur. Rouler, il a
toujours aimé, « ça [l]’apaise direct ». Chacun pro-
jette aussi ce jour où il empoignera le volant, les
gosses à l’arrière, la playlist, et cap sur les vacances.
Pour Mickaël, ce sera les premières. Sa femme
rêve d’aller voir des loups ; lui, son équipe favorite
jouer au Stade-Vélodrome. Stéphanie est déjà allée
une fois à Montpellier, voir sa sœur, une autre
jusqu’au Portugal, en TER et en bus. Le TGV et
l’avion, elle n’a jamais essayé ; elle suppose que
c’est trop cher. Elle aimerait aller au bord de la
mer, « là où l’eau est turquoise ». La voiture attend
déjà Mickaël, garée devant sa maison : une Mégane

Scénic donnée par son beau-père. Le garçon passe
ses week-ends à refaire le moteur, le pot... « Il faut
qu’elle soit nickel pour le contrôle technique. »
La perspective est plus lointaine pour Stéphanie et
Laila, mais elles commencent à jeter un œil sur
Leboncoin. Stéphanie pourra compter sur
400 euros de son père. Pas question de prendre
encore un crédit, elle a déjà eu assez d’ennuis. La
voiture, elle en veut une petite et une diesel « car
apparemment l’essence coûte trop cher ».
De son côté, Stella ne serait pas contre rouler dans
un véhicule plus propre. « Mais on finance ça com-
ment, quand on vit avec moins de 15 euros par jour
et qu’on n’a déjà pas les moyens de changer sa
pompe à injection? Et puis une voiture électrique,
vous voulez que je la branche où, ici? », se moque-
t-elle, en racontant les coupures de courant, par-
fois, et la 4G et la fibre qui se font attendre. Elle
aime donc autant le garder, son « vieux tacot ».
Polluant, peut-être, mais qui « tourne encore
bien », pourvu qu’on l’entretienne. La prime à la
conversion 2020 des véhicules polluants ne lui
parle que vaguement, elle ignore si elle y serait
éligible et comment elle paierait le reste à charge.
Pour ce genre d’informations, Stella doit attendre
que des proches lui prêtent un ordinateur, ça non
plus elle n’a pas de quoi. L’exclusion numérique
s’ajoute aux autres. Alors les discours culpabili-
sants qui stigmatisent la voiture du pauvre, elle

n’en veut plus. À la dernière présidentielle, elle a
donné sa voix à Marine Le Pen. C’était la première
fois, « un vote ras-le-bol ». Mickaël, lui, n’a jamais
voté. Stéphanie s’est arrêtée à Chirac, « tous pour-
ris », trouve-t-elle. Laila, c’était Hollande, mais elle
compte aller refaire sa carte d’électeur, « c’est
important », lui a-t-on dit.
Devant la station-service battue par les vents,
quartier sud de Clermont, Stéphanie fait le guet.
« Ça ressemble à quoi un Kangoo? », elle s’inquiète.
C’est la première fois qu’elle s’apprête à monter
dans la voiture d’un inconnu. Aujourd’hui, la
Plateforme mobilité a organisé un baptême de
covoiturage. Laila et Stéphanie ont réservé leur
trajet sur le site de l’association Covoiturage
Auvergne, qui propose des trajets courte distance
domicile-travail. L’absence de transports en com-
mun, en pleine mobilisation contre la réforme des
retraites, complique mais renforce l’intérêt de
l’exercice. Dans l’habitacle, la conversation roule,
les voilà déjà à destination : un chantier d’insertion
à la sortie de Clermont. Stéphanie et Laila doutent
que le covoiturage puisse être une solution de
rechange à la voiture individuelle avec des boulots
« à droite, à gauche » et des horaires irréguliers,
mais leurs appréhensions se sont envolées. « Ça
fait une nouvelle possibilité », considère Stéphanie.
Un diplôme de plus, aussi, souligne-t-elle en exhi-
bant le certificat qui vient de lui être remis.

La ligne Volvic-Lapeyrouse,
dite « ligne des Combrailles »,
qui relie Montluçon
à Clermont-Ferrand,
n’est plus entretenue
depuis 2007. Ici, la gare
désaffectée de Saint-
Gervais-d’Auvergne.

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Pascal AImar/Tendance floue pour Le Monde

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