Les Echos - 31.10.2019

(Martin Jones) #1

10 // IDEES & DEBATS Jeudi 31 octobre vendredi 1er et samedi 2 novembre 2019 Les Echos


opinions


maintenant un taux directeur négatif,
ce qui conduit à un « quantitative
easing » à grande échelle. Les politiques
de ce type seront-elles réellement effi-
caces pour stopper et inverser le pro-
chain ralentissement? Dans le cas de la
crise financière de 2008, déclenchée
par un choc de d emande globale négatif
et par un effondrement des crédits sur
des agents solvables mais illiquides,
une relance monétaire et budgétaire
massive faisait sens, tout comme les
sauvetages dans le secteur privé. Mais
qu’arriverait-il si la prochaine récession
était engendrée par un choc d’offre
négatif permanent et créateur de stag-
flation (croissance p lus lente e t inflation
en hausse) ?Car tel est le risque soulevé
par un découplage du commerce Amé-
rique-Chine, par le Brexit, ou par une
pression haussière persistante sur les
cours du pétrole.
L’assouplissement budgétaire et
monétaire ne constitue p as une
réponse adaptée à un choc d’offre per-
manent. L’assouplissement des politi-
ques appliqué en réaction aux chocs
pétroliers des années 1970 avait engen-
dré une inflation à deux chiffres, ainsi
qu’une augmentation nette et risquée
de la dette publique. Par ailleurs, si un
ralentissement rend non seulement illi-
quides mais également insolvables cer-
taines entités d’affaires, bancaires ou
souveraines, il n’y a pas de sens à les
maintenir en vie. Dans ces cas-là, un
« bail-in » des créanciers (restructura-
tion des dettes et radiations) est plus
approprié qu’un « bail-out » en soutien
de morts-vivants. En somme, une
monétisation semi-permanente des
déficits budgétaires face à un nouveau
ralentissement peut constituer ou ne
pas constituer la bonne réponse politi-
que. Tout dépend de la nature du choc.
Mais puisque les décideurs politiques
seront poussés à agir face à la pression,
les réponses politiques les plus folles
deviendront i névitables. La question e st
de savoir si elles ne feront pas plus de
mal que de bien à long terme.

Nouriel Roubini, chroniqueur,
est président de Roubini Global
Economics.

Ce texte est publié en collaboration avec Pro-
ject Syndicate, 2019.
http://www.project-syndicate.org

res sans cesse plus importants sera iné-
vitable – et même souhaitable – lors du
prochain ralentissement. Les acteurs
de gauche, partisans de ce que l’on
appelle la théorie monétaire moderne,
considèrent que des déficits budgétai-
res permanents plus lourds encore
seront tenables une fois monétisés lors
des périodes économiques favorables,
compte tenu de l’absence de risque
d’inflation galopante.
Suivant cette logique, le Parti tra-
vailliste britannique propose un
« “quantitative easing” du peuple »,
dans le cadre duquel la banque centrale
imprimerait de la monnaie pour finan-
cer des t ransferts b udgétaires directs en
direction des ménages – plutôt que des
banquiers et investisseurs. D’autres,
parmi lesquels plusieurs économistes

du courant dominant, tels que Adair
Turner, en appellent à des « largages
aériens » de transferts d irects de liquidi-
tés aux consommateurs, au travers de
déficits budgétaires financés par l a ban-
que centrale. D’autres encore, tels que
l’ancien vice-président de la Fed Stanley
Fischer et ses collègues chez Blac-
kRock, proposent une « facilité budgé-
taire permanente d’urgence », qui per-
mettrait à la banque centrale de
financer d’importants déficits budgé-
taires en cas de récession profonde.
Malgré des différences de terminolo-
gie, toutes ces propositions sont autant
de variantes d’une même idée :
d’importants déficits budgétaires
monétisés par les banques centrales
devraient être utilisés pour stimuler la
demande globale face au prochain
ralentissement. Pour entrevoir ce à
quoi pourrait ressembler un tel avenir,
il suffit d’observer le Japon, où la ban-
que centrale finance effectivement les
lourds déficits budgétaires du pays et
monétise son ratio élevé dette/PIB en

Les dirigeants politiques
pourraient laisser
filer les déficits publics,
eux-mêmes monétisés
par les banques
centrales,
pour contrer une
éventuelle récession.

A la recherche du bon remède


pour contrer la prochaine crise


La prochaine crise économique et financière arrive. Elle conduira certainement
les dirigeants politiques à adopter de nouvelles politiques non conventionnelles.

DANS LA PRESSE
ÉTRANGÈRE


  • Comment préparer le futur clash
    entre la Bundesbank et Christine
    Lagarde, qui doit prendre ce vendredi
    ses fonctions à la tête de la BCE? Jens
    Weidmann, le président de la banque
    centrale allemande, a fixé un terrain
    supplémentaire : le climat. Dans un dis-
    cours prononcé lors d’une conférence de
    l’institution allemande, il a affirmé qu’il
    verrait « d’un œil extrêmement critique »
    toute tentative de rediriger les actions de
    la Banque centrale européenne vers les
    questions de changement climatique,
    comme promouvoir l’achat d’obliga-
    tions vertes dans le cadre d’une politique
    monétaire accommodante (quantitative
    easing). Pour le banquier central alle-
    mand, de telles actions ne doivent pas
    être réalisées par des banques centrales
    « car elles ne sont pas démocratiquement
    légitimes ». Or, Christine Lagarde a mon-
    tré toujours un intérêt pour les q uestions
    du changement climatique lorsqu’elle
    était la directrice générale du FMI et
    dans s es propos après sa nomination à la
    BCE. Devant le Parlement européen, elle
    a affirmé que lutter contre le change-
    ment climatique sera une priorité de ses
    missions à l’institution européenne. Elle
    a suggéré ainsi que la BCE pourrait diri-
    ger ses achats vers les obligations vertes
    une fois que les autorités réglementaires
    auront décidé d’un cadre commun pour
    se lancer dans la finance durable.
    D’autres banquiers centraux, comme
    Mark Carney à la Banque d’Angleterre,
    défendent l’idée d’en faire plus pour le
    climat mais peu ont évoqué une modifi-
    cation de politique monétaire. En tout
    cas, comme le rappelle le « Financial
    Times », Jens Weidmann s’est fréquem-
    ment o pposé aux quantitative e asings de
    la BCE, qui a acheté 2.600 milliards
    d’euros d’obligations. Il a ainsi gagné le
    surnom que lui a donné Mario D raghi de
    « nein zu allem », « non à tout ».
    —J. H.-R.


Le futur clash entre
la Bundesbank et Lagarde :
le climat

LE MEILLEUR DU


CERCLE DES ÉCHOS


Au Moyen-Orient,
les réseaux d’alliance
se reconfigurent


La région du Moyen-Orient est en
ébullition. Les grandes ligues d’entente
formées pour lutter contre Daech se
décomposent, observe Cyrille Bret,
professeur à Sciences Po.


ALLIANCE EN LAMBEAUX « L’offensive
turque en Syrie, déclenchée le 8 octobre,
accélère ce grand jeu des ligues et des ententes.
[...] La tension est à son comble alors même
la Turquie est un pilier historique de l’Otan
depuis 1952. [...] La solidarité avec l’Alliance
atlantique n’est que de façade, au point que
des voix s’élèvent pour demander l’exclusion
de la Turquie de l’Otan. [...] Dans toute
la région, la présidence américaine
a démonétisé la parole des Etats-Unis
par son revirement envers les Kurdes. »


ALLIANCE EN RECONSTRUCTION « En
intervenant en Syrie en septembre 2015, la
Russie a relancé une alliance scellée dans les
années 1970 entre l’URSS et Al Assad père.
[...] Ceci a restauré le crédit de la Russie dans
la région en soulignant sa fidélité à ses alliés
par contraste avec les Etats-Unis. La Russie a
reconstruit un réseau d’alliés bien plus large.
Avec un Iran actif en Syrie, au Liban et au
Yémen, elle a dégagé des convergences :
préserver l’accord sur le nucléaire iranien de
juillet 2015, contrer l’influence américaine en
Irak et lutter contre l’islamisme sunnite de la
Mésopotamie au Caucase. »


ALLIANCES SURPRISES « Le
rapprochement discret entre Israël et l’Arabie
saoudite est désormais bien établi. Dans la
fournaise syrienne, ces Etats que tout oppose
ont cimenté une coopération discrète mais
régulière pour contrer la stratégie régionale
de l’Iran au Liban et en Syrie. [...] De même,
l’Arabie saoudite, liée aux Américains depuis
la Seconde Guerre mondiale et le fameux
pacte du Quincy établi entre Roosevelt et le
fondateur du royaume saoudien, a lancé
toute une série d’initiatives envers la Russie. »


a
A lire en intégralité sur Le Cercle
lesechos.fr/idees-debats/cercle U


n nuage sombre planait au-des-
sus du rassemblement annuel
du Fonds monétaire internatio-
nal (FMI) ce mois-ci. A l’heure où l’éco-
nomie mondiale connaît un ralentisse-
ment synchronisé, un certain nombre
de risques extrêmes pourraient engen-
drer une récession pure e t simple. Entre
autres préoccupations, les investis-
seurs et les décideurs politiques peu-
vent s’inquiéter d’une nouvelle escalade
dans la guerre commerciale et techno-
logique sino-américaine. Un conflit
militaire entre les Etats-Unis et l’Iran
aurait par ailleurs des répercussions
planétaires. Il en va de même pour un
Brexit dur de la part du Royaume-Uni,
ou e ncore d ’une collision entre le FMI e t
le nouveau gouvernement péroniste
argentin. Même si certains de ces ris-
ques pouvaient, à l’avenir, devenir
moins probables, ce n’est qu’une ques-
tion de temps avant que plusieurs chocs
ne déclenchent une nouvelle récession,
potentiellement suivie d’une crise
financière, compte tenu de l’accumula-
tion colossale de dettes publiques
et privées à travers le monde.
Que pourront faire les dirigeants
politiques lorsque cela se produira? Un
point de vue de plus en plus répandu
consiste à considérer qu’ils se retrouve-
ront à court de munitions. Déficits bud-
gétaires et dettes publiques sont d’ores
et déjà au plus haut dans le monde
entier et la politique monétaire com-
mence à atteindre ses limites. Il serait
toutefois naïf de penser que les déci-
deurs politiques laisseront une vague
de « destruction créatrice » liquider
toutes les entités d’affaires, bancaires et
souveraines mortes-vivantes. Un nou-
veau ralentissement les conduira à
adopter des politiques non convention-
nelles encore plus folles que celles
appliquées jusqu’à présent.
Les points de vue de l’ensemble
du spectre idéologique convergent
autour de l’idée qu’une monétisation
semi-permanente de déficits budgétai-

LA
CHRONIQUE
de Nouriel
Roubini

LE LIVRE
DU JOUR

Tsípras, le sage rebelle


LE PROPOS Qui est vraiment
Aléxis Tsípras? Plusieurs mois
après son départ du gouvernement
le 8 juillet 2019, le mystère demeure
sur la personnalité de cet homme,
arrivé au pouvoir en Grèce en
pleine débâcle économique. Est-il
l’activiste de la gauche radicale qui
se targue d’en finir avec la tyrannie
du FMI quand il est élu en 2015?
Le social-démocrate désarmé
face aux forces des marchés
et à la pression de ses partenaires
européens qu’il semble être devenu
à son départ en juillet 2019?
Ou un démagogue opportuniste
comme l’ont dépeint certains?
Le livre du journaliste Fabien
Perrier retrace marche à marche
l’ascension de ce jeune militant,
entré en politique à l’âge de
quatorze ans dans l’organisation de
la jeunesse communiste, jusqu’au
palais Maximou, résidence
officielle des Premiers ministres
grecs. Il raconte le parcours de ce
militant de la première heure qui a
cru pouvoir échapper à la fatalité de
la faillite économique en apportant
une autre réponse à la crise de la
zone euro. C’est le portrait
d’un homme complexe, moins
révolutionnaire, mais plus
responsable et plus courageux

qu’imaginé. Un stratège habile
aussi qui a su préserver l’unité du
pays durant cinq années de chaos.

L’ INTÉRÊT Le coup de projecteur
sur la crise grecque, au moment
où sort le film de Costa-Gavras
consacré aux six mois de fièvre
durant lesquels Yánis Varoufákis le
dérangeant ministre des Finances
du gouvernement Tsípras a bataillé
contre le reste de l’Europe pour
mettre fin aux mémorandums
et à l’austérité en Grèce. En vain.

—Catherine Chatignoux

« Aléxis Tsípras –
Une histoire grecque »
par Fabien Perrier, Editions
François Bourin, 275 pages.

Les décideurs politiques seront poussés à agir face à la pression, les réponses politiques les plus folles
deviendront inévitables. La question est de savoir si elles ne feront pas plus de mal que de bien à long terme.

Jo

se Luis Magana/A

P/SIPA
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