Les Echos - 31.10.2019

(Martin Jones) #1

AUTOMOBILE


Anne Feitz
@afeitz
avec Elsa Conesa


Les fiançailles officielles devraient
être annoncées ce jeudi. Ayant con-
firmé mercredi matin être entrés
en discussions en vue « de créer l’un
des principaux groupes automobiles
mondiaux », PSA et Fiat Chrysler
(FCA) ont réuni dans la journée
leurs conseils respectifs, afin de
leur présenter l’opération. Selon
nos informations, après plusieurs
discussions ayant chaque fois
capoté au cours des dernières
années, « les deux groupes ont cette
fois trouvé un équilibre satisfai-
sant », indique une source au fait
du dossier. Ils devraient annoncer
leur accord en vue d’une entrée en
négociations exclusives. Les parte-
naires sociaux ont également été
convoqués pour une réunion e xtra-
ordinaire, tôt ce jeudi matin.
L’idée serait de procéder à une
fusion par échange d’actions. Car-
los Tavares, actuel président du
directoire de PSA, deviendrait le
directeur général du nouvel
ensemble pour une durée mini-
mum de cinq ans. Tandis que John
Elkann, chef de file de la famille
Agnelli et président de Fiat Chrys-
ler Automobiles(FCA), en conser-
verait la présidence. Le Conseil


d’administration compterait 11
membres, dont 6 provenant d e PSA
et 5 de FCA. Le siège social de la
nouvelle e ntité serait établi dans un
pays neutre comme les Pays-Bas,
tandis que les trois sièges opéra-
tionnels resteraient basés en
France, en Italie et aux Etats-Unis.

Siège social en pays neutre
Jusqu’à présent, les négociations
avaient achoppé sur des questions
d’équilibre du capital et de gouver-
nance, aucune des deux familles,
Peugeot ou Agnelli, n’étant réelle-
ment prête à laisser l’autre devenir
prédominante dans le nouvel
ensemble. Or, les Agnelli détien-
nent bien davantage dans « leur »
constructeur que les Peugeot : 29 %
environ, contre 12,2 % du capital (et
19,3 % des droits de vote) pour les
Français.
Selon nos informations, la
famille Peugeot aurait finalement
lâché du lest – confortée par une
gouvernance favorable. Le schéma
envisagé prévoit la cession d’actifs
non s tratégiques et é ventuellement
une prime payée par PSA (le cons-
tructeur détient notamment une
participation dans Faurecia valori-
sée environ 3 milliards d’euros),
ainsi que le versement d’un divi-
dende exceptionnel compris entre
5 et 6 milliards d’euros aux action-
naires de FCA. Les valorisations
boursières avant l’opération (22,
pour PSA et 20,7 pour FCA)

seraient ainsi rééquilibrées, mais la
participation de la famille Agnelli
resterait supérieure à celle des Peu-
geot (entre 10 et 15%, contre moins
de 10 %).
L’Etat et le chinois Dongfeng
auront aussi leur mot à dire : tout
deux sont aussi actionnaires de
PSA, avec une participation équiva-
lente à celle de la famille. Bercy a
notamment fait valoir que « l’Etat
sera particulièrement vigilant sur la
préservation de l’empreinte indus-
trielle, la gouvernance du nouvel
ensemble, la préservation des inté-
rêts p atrimoniaux de l a BPI e t la con-
firmation de l’engagement du nou-
veau groupe sur la création d’une
filière industrielle européenne de
batteries ».

Complémentarité
géographique
L’opération donnerait naissance à
un nouveau géant de l’automobile,
qui avec 8,7 millions de véhicules
vendus à eux deux et 184 milliards
d’euros d e chiffre d’affaires, d evien-
drait numéro quatre mondial du
secteur, derrière Volkswagen,
Toyota, et l’Alliance Renault-Nis-
san-Mitsubishi. Grâce à ses 14 mar-
ques, dont 5 venant de PSA (Peu-
geot, Citroen, DS, Opel et Vauxhall)
et 9 de FCA (Fiat, Chrysler, Alfa
Romeo, Jeep, RAM, Abarth, Lan-
cia, Maserati, Dodge), il serait pré-
sent sur toute la gamme automo-
bile, du basique au luxe. Les deux

groupes sont aussi très complé-
mentaires en termes géographi-
ques. « C’est une très belle opération,
très logique pour les deux groupes...
bien davantage que ne l’était un
mariage avec Renault », avance un
haut dirigeant du secteur. Après
plusieurs tentatives de rapproche-
ment avec PSA, John Elkann avait
fini par se tourner vers Renault au
printemps dernier... mais le « deal »
avait capoté in extremis faute
d’accord du partenaire Nissan, au
grand dam du président de
Renault, Jean-Dominique Senard.
Alors que la priorité au sein du
Losange est désormais de relancer
l’Alliance, les Agnelli ont donc jugé
préférable de trouver un autre par-
tenaire. Il y a urgence : FCA, qui n’a
pas assez investi dans le renouvel-
lement de sa gamme ni dans son
électrification, a absolument
besoin d’un partenaire pour assu-
rer son avenir. « Il n’y en a pas
d’autre possible que Renault ou
PSA! », analyse un bon connais-
seur du secteur. Pour PSA, qui est
en pleine forme, c’est l’o ccasion
rêvée de sortir de son statut de
constructeur régional, et d’amortir
ses investissements dans la techno-
logie. L’annonce a en tout cas fait
bondir les deux groupes en Bourse:
+4,5 % pour PSA, et +9,5 % pour
FCA dans la journée de mercredi.

(


Lire également « Crible »
Page 34

lLes deux groupes ont confirmé être entrés en discussions en vue


d’une fusion qui donnerait naissance au numéro quatre mondial du secteur.


lPSA et Fiat Chrysler, qui ont réuni leurs conseils mercredi,


devraient annoncer l’opération ce jeudi.


Fiat Chrysler et PSA veulent


créer le numéro quatre mondial



  • POURQUOI FIAT CHRYSLER
    A-T- IL ABSOLUMENT BESOIN
    D’UN « DEAL »?
    C’est un secret de Polichinelle, FCA
    cherche désespérément un parte-
    naire depuis de nombreux mois. Le
    groupe italo-américain a beau affir-
    mer être prêt à envisager son avenir
    de façon autonome, il y aurait
    même urgence. « Ils sont en pleine
    déconfiture. Ils n’ont pas de plate-
    forme pour le véhicule électrique et
    aucun plan produit pour Fiat »,
    soufflait en mai dernier un fin con-
    naisseur du secteur.
    Si pour l’instant les résultats du
    groupe sont loin d’être catastrophi-
    ques (ceux du troisième trimestre
    doivent être publiés ce jeudi),
    la quasi-totalité des profits vient
    des Etats-Unis, où les pick-up RAM
    et les Jeep, des véhicules aux mar-
    ges plutôt confortables, continuent
    de bien se vendre. Mais en Europe,
    le constructeur n’a guère i nvesti que
    sur les voitures les plus petites, de
    segment A – notamment la
    Fiat 500.
    Surtout, il n’a pas vraiment
    avancé dans le verdissement de sa
    gamme, s’exposant au risque de
    lourdes amendes liées à la régle-
    mentation européenne en matière
    de CO 2. « FCA s’est associé avec Tesla
    pour bénéficier de ses crédits dans ce
    domaine, mais cet accord s’éche-
    lonne sur trois ans seulement : au-
    delà de 2022, il faut trouver une solu-


Les discussions que
mènent le constructeur
français et le groupe
italo-américain viennent
après celles qu’avait
entamées ce dernier avec
Renault, sans succès.
L’opération cette fois
envisagée suscite un
certain nombre d’interro-
gations. Tour d’horizon.


tion », rappelle Romain Gillet,
analyste chez IHS Markit.
Se rapprocher de PSA lui per-
mettrait de bénéficier de ses tech-
nologies d’électrification. Mais
aussi, peut-être, de trouver de
nouveaux marchés. Même si les
ventes du constructeur au lion se
sont littéralement effondrées en
Chine, sa présence sur le plus grand
marché du monde pourrait per-
mettre à FCA, qui en est quasiment
absent, de tenter d’y lancer une
marque forte comme Jeep, par
exemple.


  • QUEL SERAIT L’ INTÉRÊT
    D’UNE TELLE FUSION
    POUR PSA?
    PSA a, lui aussi, tout intérêt à un
    grand mariage. Le groupe dirigé
    par Carlos Tavares a beau être
    en bonne santé (il a encore affiché
    une marge historique sur la pre-
    mière moitié de 2019) et riche (ses
    liquidités se montent à 8 milliards
    d’euros fin juin), il est trop petit et
    trop européen.


Avec 3,9 millions de véhicules
vendus dans le monde l’an dernier,
il fait figure de nain à l’échelle mon-
diale. « Ses volumes sont insuffisants
pour amortir les investissements
colossaux à effectuer dans la voiture
de demain, connectée, électrique et
autonome », avance un expert.

Quant à son caractère européen, il
ne cesse de s’accentuer : au premier
semestre, il a réalisé 88 % de ses
ventes sur le Vieux C ontinent. « PSA
est aujourd’hui un constructeur
régional », souffle un concurrent.
Carlos Tavares rêve donc d’un
deal transformant, qui lui permet-
trait d’abord d’amortir les investis-
sements engagés dans l’électrifica-
tion, notamment. « Le groupe
dispose d’une large gamme de tech-
nologies, entre l’hybridation légère,
l’hybride rechargeable, l’électrique
pur, et même l’hydrogène », souligne
Romain Gillet, chez IHS Markit. Les
synergies, dans les achats ou la
R&D, sont estimées à plusieurs mil-
liards dollars par les analystes
(7 milliards d’euros, selon Ever-
core). Selon une autre source, elles
avaient été estimées à « moins de
5 milliards » lors des discussions
précédentes.
L’opération serait d’autant plus
intéressante que les deux construc-
teurs sont assez complémentaires.
« FCA est devenu leader du seg-
ment A avec la Fiat 500, et dispose de
marques premium et de luxe comme
Maserati et Alfa Romeo. PSA est sur-
tout un gros acteur des segments B et
C (les citadines) », remarque l’ana-
lyste. FCA apporterait aussi au
constructeur français une présence
forte sur le marché américain – où
Carlos Tavares avait précisément
l’intention de reprendre pied dans
les prochaines années. « FCA est
également bien positionné en Améri-
que latine, notamment au Brésil »,
relève un ancien dirigeant du
secteur. Un continent où le Lion ne
brille pas particulièrement.


  • QUEL POURRAIT ÊTRE
    L’ IMPACT SUR LES USINES
    DES DEUX GROUPES?
    C’est la grande question, q ui
    taraude non seulement les syndi-


cats des deux groupes, mais aussi
les pouvoirs publics français et ita-
liens. Lors d’une réunion avec les
syndicats qui se tenait (par hasard)
mercredi matin, le directeur des
ressources humaines du groupe
PSA a assuré que l’opération, si elle
a lieu, ne provoquerait aucune
fermeture d’usine dans l’Hexagone.
La question est sensible : PSA
emploie officiellement 47.000 per-
sonnes dans u ne quinzaine d’usines
françaises, tandis que Fiat est
toujours un gros employeur en
Italie, avec 66.000 salariés sur
27 sites.

Même si les usines de Fiat en Ita-
lie ne tournent pas toutes à plein,
contrairement à celles de PSA dans
l’Hexagone, Romain Gillet estime
le risque limité à court terme.
« Lors du plan annoncé en novem-
bre 2018, les usines d’assemblage ita-
liennes du groupe se sont vu affecter
des véhicules qui devraient assurer
leur a venir à moyen terme », indique
l’analyste.
Cinq milliards d’euros d’investis-
sements ont alors été annoncés,
notamment afin de pouvoir fabri-
quer la Fiat 500 électrique à Mira-
fiori, près de Turin. « Ce sont plutôt
des usines d ’Europe centrale

qui pourraient être à risque, comme
celle de Fiat en Serbie où est
aujourd’hui produite la Fiat 500L »,
poursuit l’expert d’IHS Markit.
Une question en suspens,
qui dépendra évidemment aussi de
la santé des marchés automobiles
dans les années à venir.


  • POURQUOI L’OPÉRATION
    SERAIT-ELLE
    PLUS PERTINENTE
    QU’AVEC RENAULT?
    Alors qu’un mariage FCA-Renault
    était jugé hautement risqué par de
    nombreux observateurs, une
    union du groupe italo-américain
    avec PSA semble aujourd’hui plutôt
    placée sous de bons auspices.
    Les situations sont, en réalité,
    radicalement différentes. Si l’opéra-
    tion avec Renault a capoté, c’est
    d’abord et avant tout parce que
    l’allié Nissan n’avait pas été embar-
    qué dans les discussions. On con-
    naît le contexte et la complexité de
    la situation chez Renault, où
    l’affaire Ghosn a provoqué de vives
    tensions avec son partenaire japo-
    nais : le refus de ce dernier de
    donner son aval au deal sous la
    pression, et sans avoir pris le
    temps de l’évaluer, a conduit l’Etat
    français à se rétracter in extre-
    mis. De nombreux développe-
    ments ayant été effectués en com-
    mun par Renault et Nissan sans
    l’aval du japonais, la mutualisation
    des technologies devenait quasi
    impossible.
    Avec PSA, les discussions, con-
    duites entre deux entreprises, sont
    a priori, sinon plus simples, en tout
    cas plus directes. Sur le fond, les
    arguments en faveur de l’opération
    sont les mêmes : synergies, écono-
    mies d’échelle, volonté d’amortir
    des technologies coûteuses, accès à
    de nouveaux marchés.
    Les critiques sur la transaction


envisagée avec Renault portaient
en réalité surtout sur les valorisa-
tions respectives, qui désavanta-
geaient clairement le Losange, et la
gouvernance envisagée, qui ne pré-
munissait pas assez le nouvel
ensemble d’une prise de contrôle
du nouvel ensemble par les Italiens.
Quant aux discussions en cours,
« côté v alorisations, PSA est
aujourd’hui à son pic », relève une
partie prenante du dossier. Côté
gouvernance, la présence de Carlos
Tavares comme directeur général
(CEO), pendant une durée mini-
male de cinq ans, semble de nature
à rassurer. Encore faudra-t-il
que les équilibres au sein du futur
conseil ne soient pas défavorables
au Lion.

Enfin, les risques d’exécution liés
à une telle opération semblent là
aussi circonscrits. « Tavares a mon-
tré avec Opel sa capacité à mener une
fusion, à convaincre, à emmener les
gens... », insiste la même source.
Selon un autre bon connaisseur du
dossier, « l’équipe de direction de
PSA est solide. En outre, le groupe a
récupéré chez Opel des ingénieurs en
excédent, habitués à travailler avec
les Etats-Unis ». A l’inverse, c’est un
Renault fragilisé par l’affaire Carlos
Ghosn et le départ de plusieurs
hauts dirigeants qui aurait dû
mener l’opération.
—A. F.

Les grandes questions que pose une éventuelle fusion


Se rapprocher
de PSA permettrait
à FCA de bénéficier
de ses technologies
d’électrification.

Mais aussi, peut-être,
de trouver de
nouveaux marchés.

Le groupe dirigé
par Carlos Tavares
est trop petit
et trop européen.

Avec 3,9 millions
de véhicules vendus
dans le monde l’an
dernier, il fait figure
de nain à l’échelle
mondiale.

Les critiques sur la
transaction envisagée
avec Renault
portaient surtout
sur les valorisations
respectives qui
désavantageaient
clairement le Losange.

ENTREPRISES


Jeudi 31 octobre vendredi 1er et samedi 2 novembre 2019Les Echos

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