Les Echos - 31.10.2019

(Martin Jones) #1
LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE

Cécile
Cornudet

D


eux visages du climat
social au même
moment, l’image est
trop rare pour ne pas s’y
arrêter un instant. A la veille
de l’entrée en vigueur de
la réforme de l’assurance-
chômage, tous les syndicats
sont unis pour en dénoncer
la dureté. « Une tuerie »,
dit Berger, « le maquillage
des chiffres du chômage »,
renchérit Martinez. Et
pourtant... rien ne se passe ou
presque. Les chômeurs, il est
vrai, ne se mobilisent jamais. Il
n’empêche, le gouvernement
ne saurait trouver plus
séduisant que ce premier
visage : juste ce qu’il faut de
protestation syndicale pour
rappeler qu’il a mené-là une
réforme courageuse.
L’autre visage le désarçonne
autrement. Des grèves
« sauvages » à la SNCF, qui
se caractérisent par le refus
des règles (pas de préavis),
le débordement des syndicats
(revendiqué), des exigences
mouvantes mais immédiates,
le refus du dialogue. « Il y a
une spontanéisation de la
colère dont on ne voit pas
le débouché normal hors la
violence », relève le spécialiste
Raymond Soubie (Altedia).
Pour le gouvernement, c’e st
le casse-tête. Comment

anticiper, puis comment
dialoguer et avec qui? Toutes
les bases du jeu social sont
à terre, à la SNCF comme
d’ailleurs à l’hôpital. Et si cette
« giletjaunisation » des
conflits s’imposait? Entre
les deux visages, Emmanuel
Macron balance. S’il veut
être réélu en 2022, il doit
continuer à réformer, se
persuade-t-il. Et pour preuve
de sa réforme, il lui faut un
affrontement. En ce sens, il y
a du Sarkozy ou du Valls chez
lui : c’est le conflit qui fait
du président un réformateur.
Sur RTL cette semaine, il tient
sur les retraites le discours
qui mène à cela. « Je n’aurai
aucune forme de faiblesse
ou de complaisance sur
les régimes spéciaux. » Mais
le risque n’est plus le même.
Un an après les « gilets
jaunes », le traumatisme
reste vivace vis-à-vis de tout
mouvement qui leur
ressemble. Le chef de l’Etat
a saisi la nature nouvelle des
conflits et leur dangerosité. Il
vient de décider de débloquer
des mesures d’urgence pour
l’hôpital, ce qu’il se refusait
à faire jusqu’alors.
Sur les retraites, il laisse
la porte ouverte à une
application du système pour
les seuls nouveaux entrants
sur le marché du travail.
Tester jusqu’où il peut aller,
chercher d’une certaine façon
le conflit, mais anticiper qu’il
puisse tourner mal. Le dosage
est des plus fins. Négociateur
social, encore un autre métier
« ubérisé ».
[email protected]

Réformer quand


le jaune flotte encore


Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron
ne craint pas des conflits qui confortent son image
de réformateur. Mais les risques ne sont plus
les mêmes. La preuve par la SNCF et l’hôpital.

Dessins Kim Roselier pour

« Les

Echos »

Pôle emploi va recruter 1.000 CDD pour renforcer les équipes chargées des entreprises. Photo Pascal Guyot/AFP

L’ampleur du projet initial était
pourtant plus limitée au printemps


  1. Le projet de loi Pour la liberté
    de choisir son avenir professionnel
    ne prévoyait que l’indemnisation
    sous condition des démissionnaires
    et des indépendants, la refonte du
    contrôle des chômeurs et un méca-
    nisme de modulation des cotisa-
    tions chômage employeurs.
    Changement de braquet e n
    juillet 2018 au Congrès de Ver-
    sailles : aux partenaires sociaux qui
    se plaignaient d’être peu considé-
    rés, le chef d e l’Etat propose d’ouvrir
    une négociation (six mois après la
    précédente !). Les mots qui fâchent
    ne figurent pas dans la lettre de
    cadrage de Matignon, mais syndi-
    cats et patronat ont vite compris.
    Sans oublier l’objectif d’économies
    de 1 à 1,3 milliard par an. L’impossi-
    bilité des partenaires sociaux à for-


ger un compromis a permis au gou-
vernement de dérouler son projet.
Au menu initial, il a rajouté un dur-
cissement des conditions d’éligibi-
lité et une nouvelle formule de cal-
cul de l’allocation à partir du 1er avril


  1. Qui plus est, critiquent les
    syndicats, l’application du bonus-
    malus a été renvoyée à 2021 et limi-
    tée à sept secteurs. Le renforcement
    parallèle des effectifs de Pôle
    emploi ne change rien à leurs yeux.


Amélioration en vue pour
les comptes de l’Unédic
L’Unédic estime que sur la pre-
mière année d’entrée en vigueur
des mesures d’indemnisation
(d’avril 2020 à mars 2021), 1,2 mil-
lion d’allocataires seront affectés
d’une manière ou d’une autre. A
cela, le ministère du Travail rétor-
que que les nouvelles règles ne

s’appliqueront pas rétroactive-
ment. Surtout, les chiffrages ne
tiennent pas compte des effets de
comportements. En clair, les esti-
mations sont é tablies en appliquant
les nouvelles règles à l’historique
des parcours des chômeurs alors
qu’elles sont censées les inciter à
reprendre un travail de meilleure
qualité, en profitant d’un marché d e
l’emploi dynamique.
Sur le plan financier, les comptes
de l’Unédic sont censés s’améliorer
de 5,9 milliards d’euros d’ici à 2022.
Si l’on ajoute les dépenses supplé-
mentaires (démissionnaires et
indépendants), l’amélioration est
moindre – 4,3 milliards – mais reste
importante.

(


L’éditorial de
Jean-Francis Pécresse
Page 14

lCritères d’éligibilité, dégressivité, indemnisation des démissionnaires ou des indépendants : les premières


mesures de la réforme entrent en vigueur le 1
er
novembre.


lLes syndicats dénoncent une réforme inique qui va mettre à genoux les plus précaires.


La réforme de l’assurance-chômage entre


en vigueur dans un contexte social tendu


Alain Ruello
@AlainRuello
et Grégoire Poussielgue
@Poussielgue


Le gouvernement va-t-il devoir
compter avec un nouveau foyer de
tension sociale, avec l’entrée en
vigueur, vendredi 1er novembre, des
premières mesures de la réforme
de l’assurance-chômage? Jamais
changement des règles d’indemni-
sation n’a entraîné de forte mobili-
sation en France. Mais là, le tour de
vis est tel, dénoncent les syndicats,
que la mi-mandat qu’Emmanuel
Macron fêtera la semaine
prochaine pourrait avoir un goût
amer.


Entre la grève sauvage à la SNCF,
la crise à l’hôpital et, surtout, dans
l’attente de la journée de mobilisa-
tion contre la très sensible réforme
des retraites, le 5 décembre, la mise
en œuvre des nouvelles mesures
d’indemnisation intervient dans un
calendrier particulier.
Pour autant, l’exécutif ne craint
pas une montée de la colère contre
ces nouvelles règles. « Cette réforme
est modérée, elle ouvre de nouveaux
droits et le système français de l’assu-
rance-chômage reste généreux. Et les
Français approuvent cette réforme »,
estime-t-on à Matignon. Il est aussi
important pour l’exécutif de mon-
trer que les réformes avancent et
entrent en application, alors qu’il
est décidé à prendre son temps et à
faire preuve de souplesse sur la
réforme des retraites. Pour l’Elysée
et Matignon, l’acte II ne doit en rien
signifier l’arrêt des réformes enga-
gées depuis 2017, même si certaines
font grincer des dents.


Les conditions


d’éligibilité ont été


durcies et une


nouvelle formule de


calcul de l’allocation


sera appliquée


à partir du


1 er avril 2020.


SOCIAL


« Les agents de Pôle emploi


appréhendent les nouvelles règles »


Propos recueillis
par A. R.


Comment les conseillers
de Pôle emploi anticipent-ils
la réforme dont les premières
mesures entrent en vigueur le
1 er novembre?
Avec une certaine appréhension,
considérant l’effet de ces nouvelles
mesures pour les demandeurs
d’emploi. La direction a mis en
place en octobre un plan de forma-
tion et envoyé un peu avant des
courriers aux chômeurs, car ceux
qui sont en fin de droits sont poten-
tiellement concernés. Le problème,
c’est que ces courriers sont très
techniques et incompréhensibles
pour les chômeurs, alors que dans
les agences, les conseillers n’en
savaient pas beaucoup plus. Leur
position n’est donc pas très confor-
table d’autant qu’ils ne sont majori-
tairement pas convaincus par l’effi-
cacité des nouvelles règles.


des effectifs de conseillers
entreprise. Est-ce suffisant?
C’est un bon début, car il faut se sou-
venir d’où l’on vient. Il y a six mois,
Muriel Pénicaud martelait que Pôle
emploi devait participer à la baisse
des effectifs publics. On parlait
alors de 4.000 suppressions de pos-
tes. Nous aurions préféré que le ren-
forcement des moyens ne soit pas
limité aux équipes en charge des
entreprises. Les nouvelles orienta-
tions de Pôle emploi prévoient, par
exemple, des nouvelles modalités
d’inscription sous la forme de deux
demi-journées d’accompagnement


  • au lieu d’un rendez-vous d’une
    heure – pour chaque nouveau
    chômeur. Mais pour la direction,
    cela se fera à moyens constants,
    au moins durant la période de
    test dans quelques agences.
    Au-delà, nous retomberons sur
    la question du manque d’effectifs
    que nous pointons depuis un
    certain temps.n


tout sur avril avec l’entrée en
vigueur de la nouvelle formule de
calcul de l’allocation. Nous l’avons
exprimée à la direction, qui a bien
compris que la période s’annonce
très c ompliquée et n écessite un ren-
forcement des ressources d’accueil.
Les agences vont faire face à une
très forte augmentation des sollici-
tations avec des questions pointues
sur l’indemnisation. Nous avons
demandé que les formations
« accueils difficiles » soient remises
au goût du jour. Elles ont é té
déployées par le passé en anticipa-
tion de situations tendues, voire
agressives.

Pôle emploi va recruter
1.000 CDD pour dégager

DAVID VALLAPERTA
Elu CFDT au CCE
de Pôle emploi

Des mouvements d’humeur,
voire plus, des chômeurs
sont-ils à craindre?
Pour l’instant, les réactions sont
limitées. C’est à partir du mois de
novembre que nous allons vrai-
ment voir les premiers impacts.
Actuellement, les demandes con-
cernent notamment l’indemnisa-
tion en cas de démission pour
découvrir que les critères sont très
limitatifs. L’inquiétude porte sur-

« L’ inquiétude
porte surtout
sur avril
avec l’entrée
en vigueur de la
nouvelle formule
de calcul
de l’allocation. »

FRANCE


Jeudi 31 octobre vendredi 1er et samedi 2 novembre 2019Les Echos

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