Les Echos - 31.10.2019

(Martin Jones) #1

Les Echos Jeudi 31 octobre vendredi 1er et samedi 2 novembre 2019 FINANCE & MARCHES// 29


Laurence Boisseau
@boisseaul


Les agences de conseil en vote sont
devenues incontournables auprès
des gestionnaires d’actifs. Ces der-
niers, qui ont des participations
dans des milliers de sociétés, n’ont
souvent ni le temps ni les moyens
d’analyser toutes les résolutions pré-
sentées en assemblée générale. Ils
font donc appel aux « proxy advi-
sors » p our savoir c omment
voter. En France, ils sont trois à offrir
ce type de services : les deux géants
américains ISS et Glass Lewis, pré-
sents dans le monde entier, et le Petit
Poucet français : Proxinvest. Mais le
paysage pourrait changer. Car à
soixante-dix ans, Pierre Henri
Leroy, fondateur de Proxinvest, sou-
haite vendre ses parts, qui représen-
tent presque 60 % du capital.


« C’est un vrai enjeu
pour la place de Paris »
Sur la place de Paris, des investis-
seurs craignent que la société passe
sous pavillon américain. Pour
cause : en avril dernier, Vigeo Eiris,
agence pionnière dans l’analyse des
critères ESG (environnementaux,
sociaux et de gouvernance) a été
cédée à l’américain Moody’s. Ce
fleuron français, dirigé par Nicole
Notat, alors âgée de soixante-
douze ans, avait développé une
expertise reconnue à l’internatio-
nal. « Il faut absolument éviter
qu’une telle opération se reproduise.
C’est un vrai enjeu pour la place de
Paris », explique un gérant d’actifs.
« En 2015, quand Glass Lewis a
racheté l’allemand Ivox, ce dernier a
totalement disparu », se remémore
un autre investisseur.
« Pierre-Henri Leroy dérange.
Beaucoup de dirigeants le détestent,
car il a un fort tempérament et il
n’hésite pas à dénoncer haut et fort
des failles dans la gouvernance des
sociétés cotées, commente un autre
gérant. En même temps, il est un
contre-pouvoir influent dont la place
de Paris a absolument besoin. » Cet
ancien dirigeant du Crédit Lyonnais
a fondé P roxinvest en 1995. Depuis, il
a noué des partenariats, notamment
avec Ethos, une fondation suisse qui
regroupe plus de 200 caisses de


SOCIÉTÉ
DE CONSEIL


Selon Bloomberg et Reuters,
l’australien va supprimer une
centaine de postes en recherche
et e n vente actions à Londres et à
New York. Autre volet de
l’accord, les deux courtiers ont
l’intention de créer ensemble
une plate-forme globale de tra-
ding. Cette coopération devrait
être effective début 2020.

Des partenariats de plus
en plus fréquents
Les partenariats entre brokers
sont de plus en plus fré-
quents. Cet été, BNP Paribas a
tiré un trait sur une partie de sa
recherche actions interne. La
banque de la rue d’Antin a
décidé de faire appel à Mor-
ningstar pour cinq marchés
asiatiques : la Chine, Hong
Kong, Singapour, la Corée du
Sud et Taïwan. Le partenariat
avec Morningstar, qui porte sur
150 titres cotés, a été conclu
pour une période de cinq ans.
Ce type d’association tout
comme le recentrage de Mac-
quarie à Londres sont les consé-
quences de l’entrée en vigueur
de la directive MiFID 2 début


  1. Ce texte bouleverse le
    modèle économique de l’ana-
    lyse financière, au nom de la ges-
    tion contre les conflits d’intérêts
    et de la protection du client final.
    Le coût de l’analyse financière,
    payé auparavant par l’exécution
    des ordres en fonction des volu-
    mes, est désormais soit acquitté
    par le gérant, soit refacturé au
    client via un compte de frais de
    recherche.
    —L. Boi.


Le courtier français Kepler
Cheuvreux et l’australien Mac-
quarie ont signé un accord de
coopération. Ce partenariat
concerne à la fois la recherche
actions et l’exécution. Kepler
Cheuvreux distribuera à ses
clients les analyses de Macqua-
rie sur les valeurs asiatiques, et
l’australien fera de même avec
la recherche européenne du
broker français. Cette alliance
remplace celle qui a été nouée
en 2015 entre Kepler C heuvreux
et la banque CIMB pour la zone
Asie Pacifique. Elle est aussi
dans la lignée de celles qui exis-
tent déjà entre le français et le
canadien CIBC et avec l’améri-
cain Piper Jaffray.
Du côté de Macquarie, connu
pour ses fonds d’infrastructure
et pour s’être associé en 2005 à
Eiffage pour racheter APRR
(Autoroutes Paris Rhin Rhône)
à l’Etat, l’annonce intervient en
même temps que celle de son
recentrage sur ses activités de
marchés dans sa région d’ori-
gine, l’Asie Pacifique. Cela
entraînera « une présence
réduite dans le cash actions
domestique en EMEA (Europe,
Moyen-Orient, Afrique) et dans
la zone Amérique », indique le
groupe dans un communiqué.

COURTAGE


Ce partenariat
concerne à la fois
la recherche actions
et l’exécution.

Kepler Cheuvreux


et Macquarie signent un


accord de coopération


Bulle de Bien-être Armor Meyko Faguo


L'ÉVÉNEMENT N# 1
DES CRÉATEURS, STARTUP
&DIRIGEANTS

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NANTESPAYSDELALOIRE

20-21nov.2019 NANTES


CITÉ
DES
CONGRÈS

lent à 2 40 SMIC –, des conventions
réglementées trop opaques, ou
encore les droits de vote double.
En 2014, Pierre-Henri Leroy a
passé le flambeau de la direction
opérationnelle à Loïc Dessaint. Il
reste président du conseil de sur-
veillance. Proxinvest, qui compte
aujourd’hui une dizaine de salariés,
réalise un chiffre d’affaires de
près de 1 million d’euros, et un
résultat net entre 50.000 e t
100.000 euros selon les années. Il a
une trentaine de clients, parmi les-
quels les principaux gestionnaires
d’actifs de la place comme Amundi,
BNP AM, Groupama AM, AXA IM,
Moneta, et des gros investisseurs
institutionnels comme l’Erafp ou
l’Ircantec.
Selon nos informations, deux
pistes seraient envisagées pour
l’avenir d e Proxinvest. La première :
faire entrer des investisseurs fran-
çais directement au capital. Autre
possibilité, plus ambitieuse et sans
doute davantage dans l’air du
temps : développer en France un
pôle qui fédérerait des grands inves-
tisseurs et qui serait orienté sur
l’engagement actionnarial.

retraite. Pour fournir à ses clients
une couverture européenne, il a
aussi fondé ECGS (Expert Corporate
Governance Service), un réseau
fédérant différents acteurs locaux,
dont Ethos et l’allemand DWS.

Depuis plus de vingt ans, Pierre-
Henri Leroy dénonce « des détour-
nements de fonds de dirigeants peu
scrupuleux », juge le travail du gen-
darme boursier parfois t rop
« timide », critique le statut de PDG
car une personne ne peut pas se
contrôler elle-même. Parmi ses
combats, les « abus de pouvoir per-
sonnel » de la part de Carlos Ghosn,
ex-PDG de Renault, un dividende
qu’il a qualifié d’« irresponsable »
chez Casino, des rémunérations de
patrons excessives – le maximum
acceptable, selon lui, serait équiva-

Proxinvest, fondé par Pierre-Henri Leroy, compte aujourd’hui
une dizaine de salariés et réalise un chiffre d’affaires de près
de 1 million d’euros. Photo Proxinvest

Parmi ses clients
figurent les
principaux
gestionnaires
d’actifs de la place.

L’avenir de Proxinvest


préoccupe la place de Paris


Pour l’instant, les sociétés de ges-
tion françaises, bien qu’elles votent
en AG, n’ont p as de démarche s truc-
turée et active pour peser sur les
décisions des entreprises. Seul Phi-
trust, la petite société de gestion
d’Olivier de Guerre et de Denis
Branche, met la pression sur les
entreprises pour faire avancer les
bonnes pratiques en matière d’ISR
en déposant des résolutions en AG.

Partenaires
depuis longtemps
Proxinvest et Phitrust sont parte-
naires depuis longtemps : le pre-
mier conseille le second et Phitrust
reverse à Proxinvest une partie de
ses honoraires. Phitrust tente de
mobiliser des gérants d’actifs pour
que ces derniers investissent dans
sa sicav ; les droits d’entrée pour-
raient être versés à un fonds de
dotation, une sorte de fondation,
qui deviendrait actionnaire long
terme de Proxinvest.
La place de Paris réfléchit depuis
plusieurs mois à combattre l’acti-
visme actionnarial, celui-là même
qui est mené par des fonds anglo-
saxons. Faire émerger un activisme
à la française, avec des fonds cultu-
rellement plus proches, pourrait
être une initiative de nature à inté-
resser le patronat français.n

lA 70 ans, Pierre-Henri Leroy veut céder les 60 % du capital qu’il détient


dans l’agence de conseil en vote qu’il a fondée en 1995.


lCertains acteurs craignent que Proxinvest ne passe sous pavillon américain


et souhaiteraient que des investisseurs français s’engagent.


Faut-il encadrer d avantage les a gen-
ces de conseil en vote? Le débat est
vif aux Etats-Unis. Sous l’influence
des entreprises cotées qui déplorent
la trop grande influence des « proxy
advisors » au moment des assem-
blées générales, le gendarme des
marchés américain a opté pour p lus
de régulation. Le 5 novembre pro-
chain, il devrait proposer des règles
qui obligeront notamment les deux
grands acteurs ISS (« Institutional
shareholder services ») et Glass
Lewis à donner aux émetteurs deux
occasions d’examiner leurs analy-
ses avant que celles-ci soient
envoyées aux actionnaires. Ces
mesures feront l’objet, dans la fou-
lée, d’une consultation publique.


Cet été déjà, la SEC avait émis des
recommandations visant à clarifier
la responsabilité des agences de
conseil en vote. Elle avait affirmé
que fournir des conseils sur le vote
était une « sollicitation » au sens du
droit fédéral. Par conséquent, les
spécialistes du conseil en vote
devaient être régis par des règles

anti-fraude strictes. Cela signifiait
que si leurs rapports comportaient
des erreurs factuelles ou fautes
d’interprétation, ils pourraient être
poursuivis devant les tribunaux.
De telles mesures ne sont pas du
tout du goût des actionnaires. Mi-
octobre, le Conseil des investis-
seurs institutionnels (CII), qui
représente 4.000 milliards de dol-

lars d’actifs sous gestion, a envoyé à
la SEC une lettre cosignée par
60 investisseurs et organisations
d’investisseurs lui demandant de
changer de cap sur les orientations
récentes et sur l’établissement à
venir des règles applicables aux
sociétés de conseil en vote.

Un choix différent
en Europe
L’Europe a, pour sa part, fait un
choix bien différent. Elle a opté p our
une régulation plus souple. L a direc-
tive Droit des actionnaires 2, appli-
cable depuis juin 2019, requiert des
agences de conseil actives en
Europe qu’elles rendent désormais
public l eur code de conduite,
qu’elles informent leurs clients cha-
que année sur la teneur exacte et la
fiabilité de leurs activités et gèrent
leurs éventuels conflits d’intérêts en
toute transparence. L’AMF (Auto-
rité des marchés financiers) rédi-
gera désormais tous les ans un rap-
port sur leurs activités. —L. Boi.

Vers un encadrement plus strict des


agences de conseil en vote aux Etats-Unis


La SEC devrait proposer
des règles pour obliger
les « proxy advisors »
à donner aux émetteurs
deux occasions d’examiner
leurs analyses avant leur
envoi aux actionnaires.


Des mesures
qui ne sont pas
du tout du goût
des actionnaires.
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