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JEUDI 14 NOVEMBRE 2019 économie & entreprise| 15
Fraude fiscale :
le Panama encore loin
des standards mondiaux
Le pays a obtenu une mauvaise note lors
de l’audit mené par le Forum fiscal mondial
L
e Panama s’est beaucoup
réformé depuis les révéla
tions des « Panama Papers »
d’avril 2016 – l’enquête pilotée par
le Consortium international des
journalistes d’investigation (ICIJ),
avec plus de cent médias dont Le
Monde –, mais ce n’est pas assez.
Le pays, qui veut se débarrasser
de ses habits de paradis fiscal opa
que pour sociétésécrans, abrite
un gros centre financier interna
tional, avec plus de 640 banques et
institutions financières, et 131 mil
liards de dollars (119 milliards
d’euros) d’actifs bancaires.
Or, il vient d’obtenir une note de
bas de tableau à un important exa
men de transparence conduit par
le Forum mondial sur la transpa
rence et l’échange de renseigne
ments à des fins fiscales (le Forum
fiscal mondial) – cette instance
de 158 Etats membres adossée à
l’Organisation de coopération et
de développement économiques
(OCDE), vouée à la coopération en
tre pays, pour éliminer fraude fis
cale et blanchiment d’argent.
Loin de la note « conforme » es
comptée, décrochée par les pays
aux meilleurs standards de coopé
ration, le Panama se voit attribuer
un mauvais « partiellement con
forme » – en bas d’une échelle à
quatre barreaux (conforme, globa
lement conforme, partiellement
conforme et non conforme), selon
un rapport du Forum dévoilé
mardi 12 novembre.
Les sept autres juridictions audi
tées au même moment que le Pa
nama (Andorre, Curaçao, Républi
que dominicaine, îles Marshall, les
Samoa, Arabie saoudite et Emirats
arabes unis) ont obtenu un « glo
balement conforme ».
Deux problèmes
En quoi a consisté l’examen? Le
Forum fiscal s’est lancé, depuis
2016, dans un ambitieux travail
d’évaluation, sur plusieurs années,
des lois et pratiques de ses mem
bres, en matière d’échange de ren
seignements sur des contribua
bles (comptes bancaires, avoirs fi
nanciers...), à la demande de pays
tiers (lors d’enquêtes du fisc ou de
la justice). Un examen « par les
pairs », qui voit les pays s’auditer
les uns les autres.
En clair, il s’agit de voir si les Etats
abritant de l’argent étranger sont
capables de transmettre la bonne
information lorsqu’ils sont inter
rogés, et s’ils la transmettent –
l’échange sur demande, qui vise
des dossiers précis, reste un des
deux modes d’échange de rensei
gnements, avec l’échange automa
tique, déployé depuis 2018. Et ce,
selon les derniers standards de
l’OCDE, des standards exigeants
qui supposent de dévoiler l’iden
tité du bénéficiaire effectif (réel, fi
nal...) de comptes, sociétés, fonda
tions ou de contrats, souvent dissi
mulée derrière des hommes de
paille recrutés par des sociétés de
domiciliation fictive ou des cabi
nets d’avocats semblables à l’ex
Mossack Fonseca, au cœur du
scandale des « Panama Papers ».
Une première évaluation des
pays membres avait été conduite
de 2010 à 2016, mais sur des stan
dards plus anciens. Or, lors de ce
nouvel examen, le Panama n’est
pas recalé, comme il l’avait été pré
cédemment, et a fait des « progrès
considérables » pour se conformer
aux recommandations de l’OCDE
(mécanismes d’échange en place,
solide réseau de pays partenaires,
fisc renforcé, lois et règles contrai
gnantes pour la finance, etc.).
Cependant, le pays bute sur deux
problèmes : une information sur
l’identité des bénéficiaires finaux
pas toujours disponible, en parti
culier dans les fondations ; et sur
tout, des données comptables
manquantes. Des obstacles sé
rieux pour démasquer fraudeurs
et réseaux criminels (trafic de dro
gue, d’armes...), à l’abri de sociétés
paravents. A quoi s’ajoutent des ré
ponses encore trop lentes aux
pays qui interrogent les autorités
panaméennes.
« Le Panama a été le dernier de la
liste jusqu’aux “Panama Papers” et
a hésité quelques mois sur la straté
gie à suivre, mais il a décidé de
changer en modifiant ses lois et en
acceptant l’échange automatique
d’informations, déclare le direc
teur du centre de politique et d’ad
ministration fiscales de l’OCDE,
Pascal SaintAmans. Ce que mon
tre ce rapport, c’est que les nou
veaux standards sont exigeants et
qu’il faut monter en grade. »
Il faudra du temps au Panama,
comme à l’ensemble des paradis
fiscaux, pour apurer leur stock de
comptes illégaux et de sociétés
écrans. Radier ou démanteler ces
entités prendra du temps.
Finalement, alors que le Panama
reste sous surveillance du GAFI
(Groupe d’action financière) – l’or
ganisme international a placé le
pays sur liste grise, pour l’inciter à
faire plus contre le blanchiment et
le financement du terrorisme –, le
mauvais rapport du Forum fiscal
mondial est un défi pour le nou
veau gouvernement de gauche
(Parti révolutionnaire démocrati
que, PRD), issu de l’élection prési
dentielle de mai.
Si le Panama a signé toutes les
conventions d’échange de l’OCDE
requises et ne risque donc pas de
fichage sur la liste de l’organisa
tion internationale, sa mauvaise
notation pourrait en revanche lui
valoir, en théorie, une réinscrip
tion sur les listes européennes,
noire ou grise. Des listes noire et
grise dont il est pourtant sorti
- pour la liste noire en jan
vier 2018, et pour la liste grise en
mars. Son sort dépendra de dis
cussions à venir avec l’UE. L’actua
lisation de la liste noire euro
péenne est escomptée lors d’un
Ecofin – réunion des ministres des
finances – en décembre.
anne michel
Snapchat continue à miser sur ses lunettes
connectées et la réalité augmentée
L’entreprise américaine commercialise la troisième génération des Spectacles. Malgré
un vaste stock d’invendus de ce produit lancé en 2016, la société fait un pari sur l’avenir.
C
ertains y verraient de
l’acharnement. Snapchat
- surtout connu pour son
réseau social – a lancé dans le
commerce, mardi 12 novembre,
la troisième génération de lunet
tes connectées. Un pari éton
nant quand on sait le succès
très relatif qu’ont connu les mo
dèles précédents.
Apparues en 2016, les Specta
cles permettaient de faire des
courtes vidéos sans avoir à sortir
son téléphone, grâce à la caméra
intégrée en bordure de cette paire
de lunettes de soleil. Les images
ainsi capturées pouvaient ensuite
être transférées aisément vers
l’application Snapchat.
Malgré l’enthousiasme des pre
miers jours, avec des files d’at
tente de geeks qui se formaient
devant les vendeurs installés
dans quelques lieux stratégiques,
l’engouement est vite retombé.
Même si Snapchat a réussi à écou
ler 220 000 exemplaires du pro
duit, c’est bien moins que les
800 000 – selon certaines sour
ces – commandés aux fournis
seurs. Coût pour la société de ce
vaste stock d’invendus : pas
moins de 40 millions de dollars
(36,2 millions d’euros).
Malgré cela, Snapchat a conti
nué à développer le produit, lan
çant en 2018 les Spectacles 2, capa
bles de prendre des photos, et
cette année les Spectacles 3. Tech
nologiquement, le produit est
plus abouti. Equipé de deux ca
méras, il peut appréhender la pro
fondeur des scènes qu’il capture,
ce qui permet, au sein de l’applica
tion, de produire des images en
3D ou d’ajouter des effets de réa
lité augmentée (superposition
d’images du monde réel et d’élé
ments graphiques numériques)
plus réalistes. Son design a égale
ment été revu pour en faire un
produit plus chic.
Snapchat revendique ce parti
pris : faire un appareil que les uti
lisateurs n’auront aucune gêne à
porter, à l’inverse d’autres modè
les sortis par le passé, comme les
Google Glass. Revers de la mé
daille, en miniaturisant au maxi
mum son produit, l’entreprise
américaine limite de facto ses
capacités technologiques. Par
exemple, il ne permet pas de vi
sualiser des éléments (informa
tions, images...) directement à
travers les verres des lunettes,
comme l’HoloLens de Microsoft.
Autre inconvénient, en choisis
sant de monter en gamme, Snap
alourdit la facture. La V3 sera
commercialisée à 370 euros,
contre 175 euros pour la généra
tion précédente. A ce prixlà, les
perspectives de vente parais
sent réduites. D’ailleurs, seule
ment deux boutiques les ven
dront à Paris.
Chiffre d’affaires en progression
La société semble l’avoir anticipé :
selon le site américain Cheddar, ci
tant des sources internes, seule
ment 24 000 exemplaires sont
prévus pour l’instant. « Nous n’al
lons en produire qu’une quantité
très limitée », admet Steen Strand,
qui dirige la division matériel de
Snapchat (SnapLabs), sans confir
mer ce chiffre.
L’équation économique n’a rien
d’évident. Andrew Vollero, alors
directeur financier de Snapchat, a
démissionné en 2018, diton, en
raison de divergences avec Evan
Spiegel, le patron de la société, sur
l’opportunité de continuer à déve
lopper les Spectacles alors que les
pertes de l’entreprise sur 2018
s’élevaient à 1,25 milliard de dol
lars. Mais le jeune dirigeant n’en
démord pas. Lui qui préfère dé
crire Snapchat comme une ca
mera company plutôt que comme
un réseau social. La présentation a
l’avantage d’éviter à Snapchat la
comparaison, peu flatteuse, avec
Facebook ou Instagram. Mais elle
repose aussi sur la vision d’Evan
Spiegel, persuadé que dans un ave
nir proche certaines fonctionnali
tés aujourd’hui concentrées dans
les smartphones migreront vers
d’autres produits comme les lu
nettes connectées.
Dès lors, les Spectacles sont un
pari sur l’avenir, et le rôle du Snap
Labs est « de faire en sorte que Snap
ait une position de leader », expli
que Steen Strand. Cette nouvelle
version des lunettes de Snapchat
n’aurait pour but que d’apprendre
davantage sur l’usage que les utili
sateurs ont d’un tel produit, afin
d’en affiner plus rapidement le
développement.
L’initiative intervient dans un
moment favorable pour l’entre
prise. Le chiffre d’affaires est en
progression d’environ 50 % tan
dis que les pertes ont été réduites
de 25 % lors du dernier trimestre.
Sur un an, le nombre d’utilisa
teurs actifs quotidien est en pro
gression de 13 % pour atteindre
les 210 millions.
vincent fagot
Accord contesté entre Google
et 150 hôpitaux aux EtatsUnis
Le groupe assure que le partenariat avec Ascension, qui lui donne accès
aux données de millions de patients sans leur consentement, est légal
E
xclusif : Nightingale, le
projet secret de Google,
amasse les données per
sonnelles de santé de
millions d’Américains » : le titre
de cet article publié par le Wall
Street Journal, mardi 12 novem
bre, a de quoi faire peur. D’autant
que « les patients n’ont pas été in
formés » de cette transmission
d’informations, ajoute le quoti
dien économique.
Le géant du numérique, par le
biais de sa plateforme d’héberge
ment de données en ligne (Goo
gle Cloud), a en effet signé un ac
cord avec Ascension, l’un des plus
gros acteurs de la santé aux Etats
Unis, qui exploite 2 600 sites de
soins, dont 150 hôpitaux. Le
contrat – le plus important négo
cié par la firme de Mountain View
(Californie) dans le secteur – pré
voit le transfert des dossiers mé
dicaux complets : identité des
patients, diagnostics, résultats
d’examens, antécédents...
L’objectif est de tenter de déve
lopper, grâce à l’analyse des don
nées et à l’aide de l’intelligence ar
tificielle (IA), des outils permet
tant de suggérer aux médecins
des examens complémentaires,
des prestations supplémentaires
ou des traitements, voire d’identi
fier des anomalies dans le par
cours de soins.
Comment estil possible que les
patients n’aient pas été infor
més? Selon Google et Ascension,
l’accord est légal et respecte le
Health Insurance Portability and
Accountability Act (Hipaa). Ce
texte de 1996, consacré au sys
tème d’assurance santé améri
cain, prévoit que les acteurs pri
vés du secteur puissent partager
des données sans mettre les pa
tients au courant si « les informa
tions sont utilisées pour aider l’en
tité à assurer ses missions de
santé ». Or, c’est le cas, insiste Goo
gle dans un communiqué : « Ces
données ne peuvent pas être – et ne
seront pas – combinées avec les
autres données détenues sur des
consommateurs par Google. »
Les patients concernés ne ver
ront pas leurs données de santé
croisées avec les informations is
sues de leurs recherches sur Inter
net ou sur la plateforme de vi
déos YouTube, à des fins publici
taires, promet en outre Google.
Cellesci ne seront pas non plus
mélangées avec celles d’autres
centres de soins, affirme le
groupe. De son côté, Ascension,
structure privée catholique et as
sociative, assure avoir informé
ses personnels.
Toutefois, un « lanceur d’alerte »
anonyme, employé sur le projet
et cité par le quotidien britanni
que The Guardian, estime qu’As
cension « se hâte, sans avoir ré
pondu à toutes les inquiétudes en
matière de sécurité ». Dans une vi
déo mise en ligne, il cite un docu
ment dans lequel une employée
d’Ascension demande des garan
ties quant au fait que les em
ployés ayant accès aux données,
notamment chez Google, ne télé
chargeront pas des informations.
En réaction aux articles, le bureau
des droits civiques du ministère
de la santé a annoncé qu’il ouvrait
une enquête pour s’assurer que le
projet respecte la législation.
Sur la défensive
Cet accord dans le domaine sensi
ble de la santé avec un poids lourd
du numérique soulève des inter
rogations, après les scandales liés
au respect de la vie privée, dont
l’affaire Cambridge Analytica
chez Facebook. Le contrat met
aussi une nouvelle fois en lu
mière les limites de l’arsenal de
protection des données aux Etats
Unis, où de nombreuses voix ap
pellent à la création d’une loi et
d’une agence ad hoc – comme il
en existe en France depuis 1978.
Le scoop du Wall Street Journal
provoque aussi une certaine
émotion, car l’accord n’était pas
connu. Google répond qu’il
n’était « pas secret », car il l’avait
évoqué en juillet dans sa confé
rence téléphonique, après l’an
nonce de ses résultats du
deuxième trimestre. Mais la
phrase prononcée était laconi
que. En n’ayant pas davantage
communiqué en amont, Google
se retrouve sur la défensive.
Audelà des doutes sur la protec
tion des données, le contrat té
moigne de l’avancée des GAFA
(Google, Apple, Facebook et Ama
zon) en général, et de Google en
particulier, dans le domaine de la
santé. L’accord avec Ascension re
présente un test pour la firme :
elle développe des applications
ou des algorithmes « d’analyse
prédictive » censés aider les soi
gnants. « Nous cherchons à fournir
des outils qu’Ascension pourrait
utiliser pour apporter des amélio
rations dans la qualité clinique et
la sécurité des patients », écritelle.
Unifier et croiser de grandes ba
ses de données, puis faire ingérer
le passé médical d’un patient par
des logiciels d’IA permettrait en
théorie de trouver de nouvelles
corrélations, voire d’améliorer les
traitements – ou, au minimum,
de réduire les dépenses ou d’aug
menter les revenus. Toutefois, les
bénéfices précis de ces recherches
restent en partie à prouver,
comme l’ont montré les débuts
du projet Watson d’IBM. « Certai
nes des solutions étudiées pour As
cension ne sont pas encore dé
ployées et sont plutôt à l’état de
test préliminaire », précise
d’ailleurs Tariq Shaukat, le diri
geant de Google Cloud.
Avant le contrat avec Ascension,
Google Cloud avait déjà d’autres
clients, dont la clinique de Cleve
land (Ohio), l’American Cancer So
ciety, l’entreprise pharmaceuti
que McKesson... mais ces parte
nariats semblent moins impor
tants et concernent parfois le
simple transfert d’hébergement
de données, de serveurs en in
terne vers les serveurs de Google,
accessibles sur le Web, avec tout
ordinateur habilité.
Google a aussi noué, en 2016, un
partenariat avec le groupe phar
maceutique Sanofi pour étudier
des traitements du diabète. Ce
luici a été élargi en juin 2019 pour
améliorer le développement de
médicaments « personnalisés » et
suivre leurs effets. La maison
mère de Google, Alphabet, dé
tient également Calico, une filiale
de recherches pour lutter contre
le vieillissement, et Verily, qui
s’est associée en mai à Novartis,
Sanofi, Pfizer et Otsuka afin de ré
former le processus des essais cli
niques consistant à tester des mé
dicaments sur des cobayes.
Une acquisition de Google, dé
but novembre, a renforcé les spé
culations sur ses ambitions dans
la santé : celle de Fitbit. Ses brace
lets connectés pour le sport et le
bienêtre pourraient servir d’ap
pareils de mesure des données de
santé. Une approche partagée par
Apple, avec sa montre Apple
Watch. De son côté, Amazon a éga
lement l’intention de pénétrer le
marché, notamment par le truche
ment de sa propre filiale de cloud,
leader mondial du secteur.
alexandre piquard
Ce contrat
témoigne de
l’avancée des
GAFA en général,
et de Google
en particulier,
dans la santé
T É L É CO M S
Iliad tire son cours
à la hausse en rachetant
ses actions
Le groupe de télécoms Iliad a
annoncé, mardi 12 novembre,
le lancement d’une offre
publique de rachat d’actions
portant sur 1,4 milliard d’euros,
soit près de 20 % du capital. A
cette occasion son fondateur,
Xavier Niel, actionnaire à titre
individuel du Monde, pourrait
porter sa participation de 52 %
à 72 % dans la maison mère
de Free. Le titre a bondi de
20,19 %, à 114,25 euros. L’action
souffre depuis trois ans. En
septembre, elle était tombée à
74,20 euros, son plus bas
niveau depuis son arrivée
sur le marché du mobile,
en 2012. – (AFP.)
CO N S T R U C T I O N
Saint-Gobain acquiert
Continental Building
Products
SaintGobain a annoncé,
mercredi 13 novembre, un ac
cord pour acquérir Continen
tal Building Products, spécia
liste américain de la plaque
de plâtre, pour 1,4 milliard de
dollars (1,3 milliard d’euros).
Etablie en Virginie, la société
réalise un chiffre d’affaires
de 510 millions de dollars