Le Monde - 14.11.2019

(Tina Meador) #1

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INTERNATIONAL


JEUDI 14 NOVEMBRE 2019

0123


Destitution : le clan Trump et l’« Etat profond »


Les proches du président dénoncent les « bureaucrates non élus », auditionnés publiquement par la Chambre


washington ­ correspondant

L


a procédure de mise en
accusation de Donald
Trump franchit, mercredi
13 novembre, une nou­
velle étape. La chorégraphie télé­
visée des auditions publiques dé­
bute en effet à la Chambre des re­
présentants. Elles concernent les
témoins qui ont accepté de com­
paraître dans l’affaire ukrai­
nienne, qui vaut au président des
Etats­Unis des accusations d’abus
de pouvoir à des fins personnel­
les. Deux diplomates doivent
s’exprimer mercredi : le chargé
d’affaires à Kiev, William Taylor,
et un haut responsable du dépar­
tement d’Etat, George Kent.
Tout est parti du signalement
d’un lanceur d’alerte, rédigé le
12 août, après une conversation
téléphonique jugée alarmante, le
25 juillet, entre Donald Trump et
son homologue ukrainien, Volo­
dymyr Zelensky, élu en avril. Un
compte rendu non exhaustif de
cet échange a été publié deux
mois plus tard par la Maison
Blanche sous la pression des dé­
mocrates, le 25 septembre. Au
cours de cette conversation, le
président des Etats­Unis avait de­
mandé « une faveur » à son homo­
logue qui venait de lui souligner
les besoins en armes de l’Ukraine,
en proie à une guerre de basse in­
tensité alimentée par des sépara­
tistes prorusses.

Absence d’éléments factuels
Donald Trump avait souhaité
que Kiev se coordonne avec son
avocat personnel, Rudy Giuliani,
et avec le département de la jus­
tice pour ouvrir des enquêtes vi­
sant ses adversaires politiques,
notamment la famille du candi­
dat à l’investiture démocrate Joe
Biden, dont le fils a siégé au con­
seil d’administration d’une so­
ciété gazière du pays, Burisma. Il

avait également demandé que
Kiev examine une éventuelle in­
terférence ukrainienne dans la
présidentielle américaine de
2016, qui aurait été prêtée à tort à
la Russie selon le président. Cette
thèse est soutenue par la pres­
se conservatrice américaine en
dépit de l’absence d’éléments
factuels avérés.
Faute d’investigations préala­
bles, comme pour les deux pré­
cédentes mises en accusation de
Richard Nixon, en 1974, et de Bill
Clinton, en 1998, la Chambre des
représentants, où les démocrates
sont majoritaires, a mené elle­
même l’enquête. En un temps re­
cord, elle a convoqué des té­
moins et publié dans leur inté­
gralité les comptes rendus de
leurs auditions. Leur lecture con­
forte les soupçons des démocra­
tes, même si la Maison Blanche a
empêché de proches collabora­
teurs du président de coopérer
avec la Chambre.
Après des semaines de flotte­
ment, le Parti républicain tente,
de son côté, de se rassembler sur
une position commune selon un
document communiqué aux élus
dont la presse américaine a
rendu compte. Elle consiste à pré­
senter les demandes formulées

par Donald Trump auprès de son
homologue comme parfaite­
ment légitimes et de bon sens.
Les élus vont défendre « un prési­
dent qui travaille pour le peuple
américain » et « qui fait ce pour
quoi les Américains l’ont élu ».

Détourner l’attention
Pour contourner la difficulté
créée par la crédibilité des té­
moins, à commencer par celui
qui s’exprimera en premier,
William Taylor, prototype du
grand commis de l’Etat fédéral, la
note invite les élus à dénoncer
les manœuvres de « bureaucra­
tes non élus », présentés comme
opposés au président. Une allu­
sion peu subtile à un « Etat pro­
fond » fondamentalement hos­
tile, régulièrement stigmatisé

par les plus fervents défenseurs
de Donald Trump. Cette dénon­
ciation a également pour objectif
de détourner l’attention de ce
que les auditions à huis clos ont
mis en évidence, à commencer
par le canal diplomatique paral­
lèle mis en place par Rudy Giu­
liani. Pour obtenir le limogeage
de l’ambassadrice des Etats­Unis
à Kiev, considérée comme un
obstacle, l’ancien maire républi­
cain de New York s’est appuyé
dans son entreprise sur des per­
sonnalités ukrainiennes contro­
versées, dont Iouri Loutsenko,
procureur général d’Ukraine de
mai 2016 à août 2019, ainsi que
sur deux hommes d’affaires, Lev
Parnas et Igor Fruman. Ces der­
niers, présents depuis des mois
dans l’orbite de Donald Trump,
ont été arrêtés aux Etats­Unis en
octobre pour infraction aux lois
sur le financement politique.
La mise en cause de cet « Etat
profond » est cependant délicate.
De hauts responsables nommés
par le président, à commencer
par John Bolton, conseiller à la sé­
curité nationale jusqu’à son limo­
geage, le 10 septembre, ont désap­
prouvé la volonté manifeste de
monnayer une visite du chef de
l’Etat ukrainien à la Maison Blan­
che et une aide militaire impor­
tante (l’équivalent de 10 % du bud­
get de défense de ce pays) sous la
forme des enquêtes souhaitées
par Donald Trump.
Cette aide cruciale gelée le
18 juillet, sans qu’aucune raison
officielle soit avancée, par le bras
droit du président, Mick Mulva­
ney, chef de cabinet de la Maison
Blanche, a été finalement déblo­
quée à la suite de fortes pres­
sions du Congrès, le 12 septem­
bre. Les républicains mettent en
avant aujourd’hui ce déblocage
comme preuve que l’aide n’a pas
été instrumentalisée. Les démo­
crates soutiennent au contraire

que les auditions à huis clos met­
tent en évidence la réalité des
pressions de Donald Trump sur
son homologue. Il est vrai qu’un
homme d’affaires nommé am­
bassadeur auprès de l’Union
européenne mais chargé de
l’Ukraine par le président, Gor­
don Sondland, a choisi le 5 no­
vembre de réviser son témoi­
gnage initial, livré début octobre,
pour tenir compte des révéla­
tions survenues ultérieurement
lors des auditions.
« Je me souviens maintenant
d’avoir dit [à un conseiller du pré­
sident ukrainien] que l’aide amé­
ricaine ne serait pas débloquée
tant que l’Ukraine ne fourni­
rait pas la déclaration publique
anticorruption dont nous discu­
tions depuis plusieurs semaines »,
a précisé Gordon Sondland,
validant ainsi la thèse d’un don­
nant­donnant niée avec force
par la Maison Blanche. Ce der­
nier ne peut pourtant pas être
soupçonné d’être hostile au
président. Il a en effet été dési­
gné à son poste après avoir
donné 1 million de dollars
(900 000 euros) au comité
chargé des cérémonies d’investi­
ture de Donald Trump, en jan­
vier 2017. Ses hésitations et ses
trous de mémoire, réels ou affec­
tés, seront suivis de près lorsqu’il
sera soumis une nouvelle fois
aux questions des élus. Les dé­

fenseurs du président s’appuient
sur l’ambiguïté de la formule uti­
lisée par Donald Trump le
25 juillet (« une faveur ») pour
nier au contraire toute pression
directe de la part du président
des Etats­Unis. Pour un membre
du Conseil à la sécurité natio­
nale, Alexander Vindman, qui a
assisté à l’échange entre les deux
responsables, « l’écart de pouvoir
entre le président des Etats­Unis
et le président de l’Ukraine est tel
que, quand [Donald Trump] de­
mande quelque chose », il s’agit
selon lui d’« une exigence ».

Les républicains soudés
Pour « obtenir une réunion à la
Maison Blanche », Volodymyr
Zelensky devait « remplir cette
condition préalable » : ouvrir des
enquêtes contre les adversaires
du président des Etats­Unis, a
jugé le conseiller lors de son
audition, confortant les accusa­
tions des démocrates. Après son
témoignage, Alexander Vind­
man a été évincé du Conseil à la
sécurité nationale.
Pour les républicains comme
pour les démocrates, séparés par
deux visions irréconciliables du
dossier, la bataille qui s’ouvre
mercredi n’a qu’une cible : l’opi­
nion publique américaine. Les
sondages effectués depuis le dé­
but de cette affaire ont montré
qu’une majorité de personnes in­
terrogées soutient aujourd’hui
une mise en accusation de Do­
nald Trump, mais que le camp ré­
publicain reste dans le même
temps soudé autour du président.
Si les auditions ne modifient
pas ce rapport de force, dans le
cas d’un vote favorable à l’impea­
chment à la Chambre, le Sénat,
où le Grand Old Party est au con­
traire majoritaire, devrait enter­
rer la procédure en s’opposant à
une destitution.
gilles paris

George Kent, un
haut responsable
du département
d’Etat, quitte
le Capitole après
avoir témoigné à
huis clos devant
le Congrès,
le 15 octobre,
à Washington.
ANDREW HARNIK/AP

Pour républicains et
démocrates, séparés
par deux visions
irréconciliables du
dossier, la bataille
n’a qu’une cible :
l’opinion publique
américaine

Erdogan reçu à la Maison Blanche


Après des semaines d’échanges tendus et parfois confus,
Donald Trump devait recevoir, mercredi 13 novembre
à la Maison Blanche, son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan,
pour évoquer la Syrie, le sort des prisonniers djihadistes ou en-
core l’OTAN. Après l’annonce par M. Trump du retrait des troupes
américaines déployées dans le nord-est de la Syrie, Ankara a
lancé, le 9 octobre, une offensive militaire visant les forces kurdes
alliées de la coalition internationale. Mais l’abandon des forces
kurdes et la place laissée à la Russie dans le conflit syrien
ont indigné nombre d’élus, démocrates comme républicains.
« Nous pensons que le moment est particulièrement mal choisi
pour recevoir le président Erdogan aux Etats-Unis, nous vous
exhortons à retirer votre invitation », avaient écrit des élus des
deux bords dans une lettre rendue publique deux jours plus tôt.

La position
des républicains
consiste à
présenter les
demandes de
Trump à Zelensky
comme de bon sens
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