Le Monde - 14.11.2019

(Tina Meador) #1

30 | 0123 JEUDI 14 NOVEMBRE 2019


0123


C’


est la bataille du fu­
tur et elle a déjà
commencé. Ce n’est
ni une guerre des
tranchées comme le début du
XXe siècle les a pratiquées, ni une
guerre hybride comme elles se
mènent au début du XXIe : cel­
le­ci, au moins, n’est pas meur­
trière. Ses fantassins sont des
chercheurs, leur matière grise
sert de chair à canon. Cette ba­
taille, c’est celle de la suprématie
technologique, instrument ul­
time de la puissance dans le nou­
veau jeu des rivalités mondiales.
Le domaine de l’intelligence ar­
tificielle (IA) sera décisif. Pour la
science, l’économie et la politi­
que, c’est un enjeu majeur : l’IA
est l’instrument de la prochaine
révolution économique, avec,
inévitablement, des applications
dans le domaine militaire. Deux
puissances font la course en tête,
les Etats­Unis et la Chine. L’Eu­
rope et quelques autres pays sui­
vent, largement distancés.
Intrigué par le livre d’une star de
l’IA, Kai­Fu Lee, Américain né à
Taïwan, publié l’an dernier aux
Etats­Unis et tout récemment en
France (La Plus Grande Mutation
de l’histoire, Les Arènes, 384 pa­
ges, 20 euros), un chercheur alle­
mand, Hans Uszkoreit, directeur
scientifique du Centre de recher­
che allemand sur l’intelligence ar­
tificielle (DFKI), a longuement
étudié les différentes composan­
tes de cette compétition. Il a com­
paré la situation dans trois enti­
tés : les Etats­Unis, dont il connaît
bien les universités, l’Europe, où
il a fait toute sa carrière jusqu’à
2017, et la Chine, dont est origi­
naire sa femme, également cher­
cheuse en IA, et qu’il a suivie, il y a
deux ans, lorsqu’elle a accepté de
diriger le laboratoire de recherche
en IA de Lenovo, à Pékin. Hans
Uszkoreit a ouvert une antenne
du DFKI à Pékin et se partage dé­
sormais entre l’Allemagne et la
Chine. Il nous a communiqué les
notes de son étude ; la lecture en
est fascinante.

Capital intellectuel
Première conclusion : « En quel­
ques années, la Chine a réussi à rat­
traper les pays les plus avancés en
IA et a même commencé à les dé­
passer dans certains secteurs. » Elle
réussit particulièrement bien
dans les services basés sur Inter­
net, la reconnaissance faciale,
l’analyse de scènes vidéo ; en ro­
botique, elle n’a pas encore de po­
sition dominante, mais, avec
« d’énormes budgets de recherche »
et la commercialisation de mil­
liers de start­up, elle peut y son­
ger. Dans la recherche fondamen­
tale sur l’IA, note­t­il, « le finance­
ment massif en Chine », supérieur
aux montants observés aux Etats­
Unis et en Europe, « commence à
porter ses fruits ». Pas seulement
en quantité : ces progrès portent
aussi sur la qualité.
Autre élément qui explique le
succès du développement de l’IA
en Chine et qu’on aurait tort de
sous­estimer, selon Hans Uszko­
reit : le soutien de la société chi­
noise. « Les Chinois adorent l’IA »,
dit­il. Ils n’en ignorent pas totale­
ment les dangers potentiels,
« mais ils en attendent les bénéfices
avec impatience ; les experts de l’IA
sont traités comme des rockstars! »
Là où la Chine ne parvient pas à
rivaliser avec les Etats­Unis, c’est

dans la capacité à attirer du capi­
tal intellectuel du monde entier.
C’est la grande force de la recher­
che américaine : c’est elle qui, au
cours des cinq dernières années,
a attiré le plus de talents dans l’IA.
« Ces immigrés intellectuels, tem­
poraires ou permanents, ont très
largement contribué à la domina­
tion américaine dans le high­
tech », souligne Uszkoreit. Les
plus importantes contributions
ont été apportées par des cher­
cheurs qui ont commencé leurs
études à l’étranger – en particu­
lier en Europe. Le rôle de la re­
cherche européenne en IA est
particulièrement important dans
un secteur de pointe, le deep lear­
ning (« apprentissage profond »),
qui est aussi un point fort de la
Chine : pratiquement aucun cher­
cheur né aux Etats­Unis n’est à
l’origine des inventions les plus
citées en deep learning.
La Chine dépend, elle, presque
exclusivement des technologies
américaines et des travaux des
Chinois revenus de l’étranger (re­
tours qu’elle encourage active­
ment), ainsi que des chercheurs
formés en Chine. Son point fai­
ble, c’est la qualité de l’enseigne­
ment dans des universités dont
le classement peut être trom­
peur. Autres points faibles : la lan­
gue, que peu de chercheurs étran­
gers sont disposés à apprendre,
l’absence de liberté, d’esprit criti­
que et les restrictions sur Inter­
net qui ont un impact négatif sur
la créativité. Le chercheur alle­
mand note cependant que, alors
que ce n’était pas le cas en URSS
ou dans la Chine de Mao, les cher­
cheurs voyagent librement et ont
beaucoup d’échanges au­delà de
leurs frontières.
Et l’Europe? Là, le diagnostic
d’Uszkoreit est carrément dépri­
mant. Le financement de la re­
cherche sur l’IA y est indigent.
Les fonds alloués par l’UE ne
s’inscrivent pas dans un pro­
gramme cohérent. Son mer­
veilleux système universitaire
est miné par l’anti­élitisme ; l’ex­
cellence académique jouit de
moins en moins de respect. L’es­
prit d’entrepreneur et le capital­
risque y sont moins développés
qu’aux Etats­Unis et même qu’en
Chine. La fuite des cerveaux vers
les Etats­Unis se poursuit.
Les Européens feraient bien de
se réveiller. Tony Blair ne disait
pas autre chose, dans un entre­
tien au Monde le mois dernier :
« La puissance chinoise va être si
grande, si dominante, que nous
devons être forts afin de pouvoir la
gérer. » L’ancien premier ministre
britannique plaide pour une
« compétition­coopération », ce
qu’en affaires on appelle « coopé­
tition », entre l’Ouest et la Chine.
« Il y a vingt ans, on parlait de la
Chine comme d’un partenaire.
Aujourd’hui, nous parlons d’une
rivale. Demain, parlerons­nous
d’un ennemi? Aux Etats­Unis, le
discours va déjà dans cette direc­
tion. Ce serait une erreur terrible. »
Pour Blair, « l’Europe doit être à la
table des grands avec les Etats­
Unis et la Chine. Mais elle ne peut
le faire que si elle est forte, ce
qu’elle n’est pas pour le moment. Si
nous ne maîtrisons pas la situa­
tion, cette rivalité coopérative de­
viendra hostile. Alors, nul ne sait
ce que sera le XXIe siècle ».

L


e navire hôpital est en train de couler
et l’amiral aux commandes semble
être aux abonnés absents. Jeudi
14 novembre, pour la première fois depuis
une dizaine d’années, la Conférence des
doyens de facultés de médecine, des syndi­
cats de médecins, des personnels paramé­
dicaux, des internes, des étudiants en mé­
decine sont appelés à se mobiliser pour
« sauver l’hôpital public ». Ce rassemble­
ment quasi inédit montre à quel point la si­
tuation est critique.
« Ce système s’écroule et nous ne sommes
plus en mesure d’assurer nos missions dans
de bonnes conditions de qualité et de sécu­
rité des soins », écrivent dans une tribune
que nous publions 70 des 77 directeurs
médicaux des départements médico­uni­

versitaires de l’Assistance publique­Hôpi­
taux de Paris (AP­HP).
L’hôpital craque de partout – et il ne s’agit
plus seulement des urgences, ou de la grève,
qui a débuté en mars et touche aujourd’hui
plus de 260 services sur 478 dans le public –
et c’est son fonctionnement qui est grave­
ment en péril. Martin Hirsch, le directeur
général de l’AP­HP, souligne que cette crise
est notamment due à « des difficultés à re­
cruter et à faire tourner les services ». Selon la
Fédération hospitalière de France, qui met
en cause « le sous­financement organisé de
l’hôpital », cette incapacité à répondre aux
besoins de personnel concerne 97 % des éta­
blissements de soins publics. Les signes de
ce malaise s’accumulent. A Mulhouse, les
urgences risquent de fermer, faute de méde­
cins. A Tourcoing, la maternité est amenée à
suspendre les accouchements. Sur les
39 établissements franciliens de l’AP­HP,
plus de 900 lits sur 20 000 sont fermés.
Au centre de la mobilisation du 14 no­
vembre, qui devrait être de grande am­
pleur, la création de milliers d’emplois sup­
plémentaires va être de nouveau mise en
avant, les soignants exigent aussi une
hausse immédiate de 300 euros net men­
suels pour tous les salaires et l’arrêt des fer­
metures de lits d’hospitalisation. Quatorze
mois après la présentation par Emmanuel
Macron d’un plan santé, en septem­
bre 2018, Agnès Buzyn, la ministre des soli­

darités et de la santé, a annoncé, il y a six se­
maines, un « pacte de refondation » pour
répondre à la crise des urgences.
S’articulant autour de douze mesures,
dotées de 754 millions d’euros sur la pé­
riode 2019­2022, il va dans le bon sens,
mais il ne répond pas aux attentes des gré­
vistes. La ministre de la santé, qui connaît
bien les conditions de travail à l’hôpital


  • qu’elle a qualifié, mardi, de « trésor natio­
    nal » – pour y avoir exercé son métier de
    médecin, ne semble pas avoir pris cons­
    cience de l’ampleur de la crise et de la vi­
    gueur de la contestation.
    Mardi, au Sénat, où démarrait l’examen
    du projet de budget 2020 de la Sécurité so­
    ciale, Mme Buzyn, qui refusait jusqu’alors de
    desserrer l’objectif national de dépenses
    d’assurance­maladie (Ondam) – il pré­
    voyait pour l’année prochaine une aug­
    mentation fixée à 2,1 % pour l’hôpital –, a
    ouvert la porte à une évolution de sa posi­
    tion. « Des discussions sont en cours » sur le
    niveau de l’Ondam, a­t­elle indiqué. « Ces
    discussions sont lourdes de conséquences, a­
    t­elle ajouté dans une allusion à son bras de
    fer avec Bercy, elles nécessitent des arbitra­
    ges difficiles. » Le gouvernement, qui veut
    éviter à tout prix, à l’approche des grèves
    du 5 décembre contre la réforme des retrai­
    tes, une conjonction des luttes, doit annon­
    cer au plus vite un effort conséquent. A
    moins de laisser couler l’hôpital.


LA CHINE RÉUSSIT 


TRÈS BIEN DANS 


LA RECONNAISSANCE 


FACIALE ET 


L’ANALYSE DE 


SCÈNES VIDÉO


HÔPITAUX :


SILENCE,


ON COULE  !


GÉOPOLITIQUE|CHRONIQUE
pa r s y lv i e k au f f m a n n

La bataille


de l’intelligence artificielle


LA FUITE


DES CERVEAUX 


EUROPÉENS VERS 


LES ÉTATS­UNIS 


SE POURSUIT


Tirage du Monde daté mercredi 13 novembre : 165 358 exemplaires

Unprospectusapprouvéparl’Autoritédesmarchésfinanciers(AMF)le6novembre2019souslenuméro19-514,composéd’undocumentd’enregistrementapprouvé
par l’AMF le 17 octobre 2019 sous le numéro I.19-035 et d’une note d’opération (incluant lerésumé du prospectus), est disponible sans frais auprès de La Française
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