Le Monde - 14.11.2019

(Tina Meador) #1

6 |à la une


LE MONDE CAMPUS JEUDI 14 NOVEMBRE 2019

AUDIT ET CONSEIL


DES MÉTIERS


QUI FONT


MOINS RÊVER


Face à des diplômés devenus


plus exigeants, notamment


sur la question du sens de leur travail,


les cabinets doivent s’adapter


pour recruter et conserver leurs talents


E


n cet après­midi d’automne, alors
que les bourrasques balaient le
parvis de la Défense, des groupes
d’étudiants prennent l’air au pied
de la tour First, géante de verre et
de béton. Ils sont 200, élèves de grandes
écoles de commerce et d’ingénieurs, à avoir
répondu à l’invitation du cabinet Ernst
& Young. Organisé pour la première année,
cet événement, baptisé EY First Date (« pre­
mier rendez­vous EY », le vocabulaire est ce­
lui de la rencontre amoureuse), vise « à par­
ler d’humain aux étudiants, à leur montrer
notre culture d’entreprise », explique Pierre
Constant, chargé du recrutement chez EY, en
baskets blanches. Au programme : rencon­
tres informelles avec des associés, ateliers

« changement climatique », « place de l’hu­
main dans le travail en équipe », « soft skills »,
« biais décisionnels »... A l’issue de la journée,
Albane Demurger, étudiante à l’Ecole natio­
nale de la statistique et de l’administration
économique (Ensae), est ravie. Elle prévoit
de postuler en stage : « Les métiers sont plus
divers que ce que je pensais. »
Face aux aspirations des jeunes diplômés,
le secteur du conseil et de l’audit ne fait plus
autant rêver. Horaires à rallonge, compéti­
tion, stress, manque de sens et management
hyperhiérarchisé rebutent un nombre gran­
dissant d’étudiants. Des élèves qui, il y a dix
ou quinze ans, s’y seraient dirigés sans se
poser de question. Les cabinets disent devoir
s’adapter pour continuer à attirer les

meilleurs profils. « Ce n’est pas qu’il y a moins
de candidats à l’entrée, car il y en a toujours.
Mais plutôt qu’ils attirent moins d’étudiants
brillants, car ceux­ci ont d’autres débouchés
qui peuvent paraître plus attrayants », expli­
que Sébastien Stenger, enseignant­chercheur
en sciences de gestion et auteur d’Au cœur
des cabinets d’audit et de conseil (PUF, 2017).
« Depuis une dizaine d’années, les grands
groupes attirent de moins en moins, souligne
Hélène Löning, professeure à HEC. Aupara­
vant, les cabinets de conseil étaient un peu
considérés comme des troisièmes cycles d’ap­
prentissage, en raison de la variété des mis­
sions. Mais aujourd’hui, l’aventure start­up
peut offrir les mêmes perspectives, le côté exci­
tant en plus. » Un point de vue confirmé par
Rafaël Vivier, de Wit Associés, cabinet spécia­
lisé dans le conseil RH en hauts potentiels :
« Il y a quinze ans, on allait passer quelques
années dans l’audit ou le conseil pour se cons­
truire un beau CV, s’ouvrir des portes et gagner
un bon salaire. Aujourd’hui, les diplômés pen­
sent pouvoir accéder à un poste épanouissant
en intégrant une start­up ou en montant leur
boîte. Le secteur de l’audit et du conseil n’est
peut­être plus la première destination. »

BABY-FOOT À TOUS LES ÉTAGES
Pour faire face à cette situation, les processus
de recrutement ont évolué. Chez EY, les
200 participants au EY First Date se sont vu
proposer un parcours personnalisé. L’échan­
ge avec les anciens est plébiscité : plus de cin­
quante associés étaient mobilisés. A cela
s’ajoutait la présence des buddies (« co­
pains »), de jeunes salariés encadrants. De
son côté, le cabinet KPMG a lancé Ask, une
plate­forme sur laquelle « une trentaine de
collaborateurs ambassadeurs sont mobilisés
pour répondre aux étudiants, diplômés et pos­
tulants », explique Géraldine Vial, directrice
du recrutement. Les processus d’embauche,
auparavant longs et hiérarchisés, ont été ac­
célérés : « Les nouvelles générations ont be­
soin d’immédiateté, nous avons donc rendu
numériques les tests d’anglais, instauré des
entretiens vidéo pour les stagiaires et généra­
lisé l’envoi dématérialisé des contrats », expli­
que Valérie Vézinhet, directrice des RH
France du cabinet d’audit PwC. Dans cette en­
treprise, les jeunes diplômés sont par exem­
ple en partie évalués avec des escape games,
en complément d’entretiens traditionnels.
Ces derniers tentent aussi de « start­upiser »
leur univers de travail et leur image. En 2016,
PwC a lancé son programme d’incubation de
jeunes pousses. Et KPMG vient de créer un
« accélérateur » de projets pour les collabora­
teurs qui voudraient tester leurs idées. « Il y a
une tentative d’alignement. Quand ils ne sont
pas chez le client, les consultants peuvent être
en tenue décontractée, ils peuvent profiter
d’espaces lounge... Même les partners [« asso­
ciés »] peuvent se mettre où ils veulent dans
l’open space, et il y a un baby­foot à tous les
étages. C’est cosmétique, mais ça joue », ajoute
Sébastien Stenger. Au­delà du recrutement,
l’enjeu est de fidéliser les jeunes talents. Le
système très élitiste du « up or out » [« tu
montes dans la hiérarchie ou tu sors »], qui a
longtemps prévalu et qui impliquait de « ta­
miser » les meilleurs tout en invitant les
autres à quitter le navire, n’est plus pertinent
dans ce nouveau contexte.
« Le “up or out” a quelque peu perdu de son
sens, car souvent les meilleurs éléments ne res­
tent pas. Parmi mes anciens collègues, je pense
qu’au moins un sur quatre est parti pour mon­
ter sa boîte », estime Charles de Fréminville,
qui a travaillé plusieurs années dans le
conseil avant de monter la start­up Bloom at

Work. Les cabinets s’efforcent de proposer
plus de personnalisation des carrières. « La
possibilité d’avoir un parcours flexible, de
prendre du temps de césure pour des projets
personnels, est une attente très forte à laquelle
nous répondons », assure ainsi Catherine
Pain­Morgado, directrice du recrutement
chez Bain. Le télétravail se développe, et les
entreprises tentent de réduire l’amplitude
horaire. « Il y a quatre ans, il y avait une forme
de fierté de dire qu’on allait travailler hyper
tard. Aujourd’hui, cette façon de travailler a
perdu de son lustre », témoigne Jules (le pré­
nom a été modifié), 28 ans, qui travaille de­
puis trois ans dans un gros cabinet de conseil.
A ce stade, la question du sens est récur­
rente. Les grands cabinets communiquent
sur leurs politiques de responsabilité sociale
et environnementale. « Ils placent le sujet
très haut », abonde Evelyne Saïman, associée,
responsable du recrutement chez Deloitte.
Depuis 2016, son cabinet organise pour les
arrivants une « journée solidaire » aux côtés
de personnes en situation de handicap ou
d’exclusion. De son côté, la fondation d’en­
treprise de PwC propose depuis 2014 le « Pro
Bono Days PwC », un programme de tutorat
et de bénévolat de compétences, tandis
qu’Ernst & Young organise des hackathons
au profit d’associations.
Marie Buffet­Delmas, elle, a quitté son
poste de consultante en 2013. Elle ne suppor­
tait plus « de survoler différentes missions ».
« Je me trouvais être un minipion au milieu
d’une organisation énorme : je ne voyais pas
l’intérêt. » Les cabinets semblent prendre
conscience du problème. « Ils œuvrent à ren­
dre le travail un peu plus riche en termes de
contenu, là où pendant des années ils ont
tenté de rationaliser et de diviser les tâches
toujours plus », explique Sébastien Stenger.
Pour Claire Tagand­Battard, chargée des ser­
vices carrières à l’Essec, les efforts sont réels
« pour essayer de proposer aux jeunes des
missions plus stratégiques ».

UN MANAGEMENT PLUS HORIZONTAL
Dans la même lignée, le management a évo­
lué. Alors qu’il était très vertical, les cabinets
tentent d’introduire plus d’horizontalité.
« Les associés partagent leurs expériences et
impliquent les jeunes salariés dans leur quo­
tidien », assure Evelyne Saïman, de Deloitte.
« Les jeunes ont besoin qu’on réinjecte des
nouveautés dans leur parcours. Lorsque nous
avons identifié les talents que nous voulons
garder, nous leur proposons plus de mobilité
interne ou à l’international, et plus vite »,
ajoute Pierre Constant, de EY.
La concurrence pour attirer des étudiants
est d’autant plus rude que les cabinets
d’audit et de conseil ont élargi leurs domai­
nes d’intervention et ont besoin de profils
d’ingénieurs, spécialistes des données et de
la transformation numérique. Car les pers­
pectives de carrière restent attrayantes. Tout
comme les salaires d’embauche, d’environ
40 000 euros annuels brut, « et environ
55 000 dans les cabinets en stratégie », es­
time le consultant en RH Rafaël Vivier. « Le
côté très compétitif de ces emplois plaît aussi
à nombre de jeunes diplômés, qui y retrou­
vent l’ambiance sélective de l’école », indique
Sébastien Stenger. Jules, lui, a prévu de quit­
ter son poste pour se lancer dans un projet
personnel. Mais il insiste : « Cela reste un sec­
teur qui allie intérêt des missions, progression
rapide et rémunérations très importantes. Du
coup, beaucoup de ceux qui voudraient partir
restent, faute de trouver un autre emploi qui
coche autant de cases. »j
léonor lumineau

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