Le Monde - 14.11.2019

(Tina Meador) #1

À HEC, DES FUTURS « CHEFS »


D’ENTREPRISE AUX FOURNEAUX


L’école de commerce


vient de lancer un parcours


qui permet aux étudiants


de préparer, en même


temps que leur cursus


de gestion, un CAP cuisine.


Une possibilité qui répond


à l’intérêt croissant des


jeunes pour les métiers


de bouche


J


ongler avec les saveurs et
travailler les textures,
fouetter, cuire puis dispo­
ser pour donner du plaisir.
C’est un savoir­faire, et
c’est pour le maîtriser
qu’Alix Truelle, 22 ans, a décidé
de passer un certificat d’aptitude
professionnelle (CAP). Ce cursus
semble inattendu pour cette étu­
diante passée par le très sélect
lycée parisien Saint­Louis­de­
Gonzague, entrée à HEC après
trois années de classe prépara­
toire – « au bout de deux ans, je
n’avais obtenu que l’Edhec, alors
j’ai cubé [redoublé] », explique­t­
elle. Depuis la rentrée 2019,
Alix suit le premier double di­
plôme qui couple les matières
traditionnelles de l’école de ma­
nagement avec un CAP de pâtis­
serie. Son goût pour les desserts

n’est pas né derrière les portes de
son école de Jouy­en­Josas (Yveli­
nes), mais au collège. « Mon frère
m’avait offert un livre de cuisine
de Christophe Michalak. J’ai
découvert la pâtisserie de luxe,
j’ai été impressionnée », explique
Alix Truelle.
L’école de management sou­
haite, avec ces formations à des
métiers de bouche, répondre à
« l’intérêt croissant des étu­
diants » pour les secteurs liés à la
restauration. Plusieurs succès
d’anciens de grandes écoles
témoignent de cette nouvelle
appétence pour le secteur du
« food business ». On peut citer
Frichti, entreprise de livraison à
domicile de plats cuisinés cofon­
dée par Julia Bijaoui, diplômée
d’HEC en 2012, et Quentin
Vacher, passé par les bancs de

l’université de Paris Dauphine ;
Big Mamma, spécialiste de la res­
tauration italienne, dont les
deux patrons, Victor Lugger et
Tigrane Seydoux, ont également
été formés à HEC. Ou encore les
restaurants Canard Street, fon­
dés par Grégoire de Scorbiac et
Nicolas Drouault, jeunes diplô­
més de l’Edhec...
« C’est un mouvement de fond.
Beaucoup d’étudiants d’école de
commerce se lancent dans la
“food” avec des projets de restau­
ration, constate Vincent Muraire,
diplômé 2015 d’HEC et cofonda­
teur du Chocolat des Français,
qui revendique 3 millions d’euros
de chiffre d’affaires en 2018.
Même si nous avons fait des étu­
des dans des écoles traditionnel­
les, il y a une envie de travailler
sur des produits tangibles. » A
savoir, d’être dans le concret de
la création d’un produit qui
donne du plaisir. Et de sortir de
l’abstraction du monde des gran­
des entreprises de services.
Ces jeunes diplômés apportent
leur vision particulière à ce sec­
teur. « Il est certain qu’ils n’ouvrent
pas des brasseries du siècle der­
nier. Ils lancent des concepts dotés
d’un marketing fort, pour bien se
positionner sur le marché. Pour
que cela fonctionne, il faut maî­
triser la vente, se doter d’un fi­
nancement solide et une bonne
gestion des ressources humai­
nes », expose Nicolas Bergerault,
patron d’une école de cuisine,
l’Atelier des chefs.

PÂTISSERIE « DIGITALE »
Toutefois, il manquerait un
condiment essentiel à la recette
du succès. « Derrière le concept, il
y a nécessairement un produit. Et
dans notre secteur, c’est de la

bonne bouffe. Si les chefs d’entre­
prise ne sont pas aux fourneaux,
en cas de discussion avec leurs
équipes, ils doivent être en mesure
d’avoir un échange culinaire élevé
pour expliciter, puis donner
corps », poursuit Nicolas Berge­
rault, qui a donc proposé ses ser­
vices à son ancienne alma mater,
HEC, pour former à la cuisine les
manageurs de demain.
La formation proposée aux
étudiants d’HEC consiste en
186 heures de cours de cuisine et
154 heures de pâtisserie « 100 %
digitale », précise Nicolas Berge­
rault. Pas d’enseignants pour
corriger le geste ou une sauce,
les étudiants doivent se former
à distance, en autonomie, avec
les outils numériques mis à dis­
position par l’école de cuisine :
recettes, photos, vidéos et quiz
sont les piliers de la formation.
Ils ont accès aux cuisines de
l’école et à son restaurant, Gus­
tave, installé sur le campus
d’HEC. Les réalisations sont éva­
luées à distance par un profes­
sionnel de L’Atelier des chefs, à
l’aide des photos ou des vidéos
des différentes étapes prises par
les étudiants.

Peut­on réellement apprendre
à cuisiner à distance? « C’est
audacieux, répond Emmanuel
Renaut, chef de Flocons de sel,
restaurant triplement étoilé du
guide Michelin, mais il n’y a pas
de règle pour bien cuisiner. Les
jeunes qui choisiront cette forma­
tion ont une grande envie d’ap­
prendre et sont des autodidactes
de la cuisine. Ils suivront un pas­
à­pas qui les dirigera. Le faire à
distance avec une tablette est une
solution. Moi, quand j’ai appris,
je me suis formé à réaliser des
gestes avec des livres de cuisine.
Ce qui est important, c’est de pas­
sionner les gens. »

NE PAS OUBLIER LE TERRAIN
Plusieurs jeunes patrons saluent
l’initiative de ce double diplôme.
« Il y a une complémentarité en­
tre le côté business auquel nous
forme traditionnellement l’école
et le concret que peut apporter le
CAP. Avoir une double compé­
tence permet souvent de sortir du
cadre, d’innover, témoigne Vin­
cent Muraire, du Chocolat des
Français. Mes compétences gus­
tatives, je les ai acquises sur le
terrain. Comprendre comment
est réalisé un produit, c’est un
atout pour mieux le vendre. Et
puis cela permet aussi de créer à
l’image de ce que nous sommes,
ce que nous voulons. »
Avoir des bases en cuisine ne
conduira pas ces jeunes chefs
d’entreprise derrière les four­
neaux. Les diplômés des écoles
de commerce qui se sont lancés
dans ce secteur ne s’y aventurent
pas. « Je ne suis jamais passée en
cuisine », reconnaît Julia Bijaoui,
de Frichti. « Je n’ai pas le temps »,
poursuit Vincent Muraire.
« Mes journées, c’est faire du
management, de la finance, du
marketing et du commercial. Je
ne vais pas me mettre à cuisiner,
abonde Fati Mrani, ancienne de
l’université Paris­Dauphine et
patronne de la société Avekapeti,
qui propose aux entreprises une
alternative aux cantines avec des
plats faits maison. Mais on ne
doit pas être déconnecté du pro­
duit que l’on vend. Plusieurs fois,
lorsque j’ai sélectionné et testé un
cuisinier, j’ai senti qu’il manquait
quelque chose sans pouvoir l’ex­
pliciter. Pour pouvoir juger, défi­
nir les goûts, calculer le coût en
matière première d’un plat, il est
important d’avoir des notions de
cuisine, assure l’entrepreneuse.
J’ai dû embaucher des personnes
dotées de ces compétences pour
combler mes lacunes. C’est pour­
quoi je pense que ce double di­
plôme est une bonne idée. »
Une bonne idée, mais qui, de­
puis les cuisines d’une école de
commerce, peut être insuffisante
pour appréhender les contrain­
tes et l’engagement nécessaires
du secteur. « Les métiers que
nous devons gérer, qu’ils soient
en salle ou en cuisine, s’appren­
nent sur le terrain. Une immer­
sion de plusieurs semaines est la
meilleure méthode pour saisir les
complexités de la food », avertit
Tigrane Seydoux.
« Je n’ai pas l’impression que
faire un CAP m’aurait apporté
quelque chose », juge Julia Bijaoui,
qui, comme le patron de Big
Mamma, soutient qu’en termes
de formation, rien ne vaut une
vraie expérience immersive. « Il
faut comprendre les contraintes
nos métiers. On ne gère pas un
restaurant comme une boîte de
commerce. Il faut savoir associer
les professionnels des deux mon­
des, management et restaura­
tion. Et ne pas négliger la spécifi­
cité de la food : l’humain. Il ne
suffit pas de sortir d’HEC pour
réussir. Il faut être humble. »j
éric nunès

« LES CHEFS
D’ENTREPRISE
DOIVENT
ÊTRE EN MESURE
D’AVOIR
UN ÉCHANGE
CULINAIRE
ÉLEVÉ
AVEC LEURS
ÉQUIPES »
NICOLAS BERGERAULT
patron de l’Atelier
des chefs, partenaire
du CAP

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LE MONDE CAMPUS JEUDI 14 NOVEMBRE 2019

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GRANDE ÉCOLE


DEPUIS 18 ANNÉES
CONSÉCUTIVES

CLASSEMENT
SIGEM

6


e
4

e


INSERTION
PROFESSIONNELLE

« Parce que l’audace s’affirme avec le savoir, nous développons vosexpériences,
Parce que le talent s’exprime grâce à la culture, nous multiplions les influences,
Parce que leadership etresponsabilité doivent se faire écho, nous visons plus haut.
Notre vocation ?Vous permettre de développer la vôtre! »
Nicolas ARNAUD
Directeur Audencia Grande École
*De l’audace, toujours!




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