Le défi de l’urgence écologique
A
polline est étudian
te depuis quelques
semaines à l’ESCP
Europe. En cette
matinée d’octobre,
elle présente avec deux de ses ca
marades l’état de leurs recher
ches sur l’impact écologique des
voitures à hydrogène. D’autres
groupes étudiants présenteront
ensuite leurs travaux sur la
pollution des datas centers, les
fastfoods face aux scandales
sanitaires, le coût écologique du
transport aérien... « Réfléchissez
en termes de cycle de vie des
produits, du berceau à la tombe »,
martèle leur professeur Auré
lien Acquier, également codirec
teur de la chaire économie circu
laire de l’école.
Ce projet fait suite à un sémi
naire de trois jours sur les enjeux
climatiques, animé à la rentrée
par quatorze enseignants de di
verses disciplines pour les étu
diants de première année du
programme grande école. C’était
une première. « Nous avons
beaucoup de cours électifs sur le
développement durable, mais
avec ce séminaire, nous avons
voulu passer à une autre échelle
dès le début du cursus », explique
Aurélien Acquier, qui y voit aussi
« un levier de transformation
pour l’ensemble de l’école ». Etu
diante en première année, Anissa
ne voit pas les choses autre
ment : « Heureusement que notre
école intègre les questions écolo
giques. Ne pas avoir de cours sur
ce sujet serait être déconnecté
des enjeux actuels. »
PÉTITIONS ET TRIBUNES
Depuis une quinzaine d’années,
les cours en responsabilité sociale
des entreprises (RSE) ou en déve
loppement durable se sont multi
pliés dans les écoles de manage
ment. Mais de manière insuffi
sante ou pas assez systémique,
estiment certains enseignants,
qui veulent recentrer les pro
grammes en intégrant les ques
tions climatiques, la croissance
verte, l’économie circulaire... Les
étudiants sont demandeurs. Le
Manifeste pour un réveil écologi
que, une pétition lancée par des
élèves de grandes écoles, qui de
mande aux établissements d’in
tégrer davantage ces questions
dans les cursus, a recueilli
31 000 signatures d’étudiants de
puis son lancement l’an dernier.
Militante à Together for Earth, un
mouvement étudiant écologiste,
Julie Pasquet, en double diplôme
à Toulouse Business School et
Sciences Po Toulouse, l’affirme
haut et fort : « Je ne veux plus seu
lement que mes études évoquent
le développement durable ou la
croissance verte, je veux aussi
qu’on me parle de décroissance, de
collectifs à impact positif... »
En septembre, 80 dirigeants
d’établissement d’enseignement
supérieur, dont HEC ou l’Essec, et
un millier d’enseignantscher
cheurs ont signé une tribune
dans Le Journal du dimanche
pour appeler à former tous les
étudiants aux enjeux climati
ques. Mais dans les écoles de
commerce, les enseignants peu
vent se sentir bien seuls quand
ils veulent mettre en pratique
cette injonction. « Les initiatives
émergent mais restent le plus sou
vent embryonnaires, sans parler
des pures actions de communica
tion », relate Clémence Vorreux,
référente enseignement supé
rieur à The Shift Project.
Ce think tank consacré à la tran
sition carbone, qui milite pour
des cours obligatoires énergie
climat pour tous les étudiants, a
sondé les pratiques de 34 éta
blissements d’enseignement su
périeur dans un rapport publié
en mars 2019. Résultat? La moi
tié des écoles de commerce pro
posent des formations qui abor
dent les questions de climat et
d’énergie mais seules 6 % met
tent en place des enseignements
destinés à l’ensemble des étu
diants. Les actions se concen
trent le plus souvent sur la vie de
campus ou la recherche.
ACCÉLÉRER LE MOUVEMENT
Après avoir multiplié les actions
− dont l’ouverture d’un master
of science en finance responsa
ble − l’école de commerce Kedge
a refondu à la rentrée le sacro
saint cours fondamental d’éco
nomie de première année, pour
y intégrer les objectifs du déve
loppement durable. « Vous étu
dierez l’économie à partir de trois
principes clés, nous servant de fil
conducteur : le pluralisme, la jus
tice et la soutenabilité », peuton
lire dans sa présentation.
L’ambition de l’école : ne plus li
miter les cours sur le développe
ment durable aux étudiants ins
crits dans des parcours ou des
mastères spécialisés dans ce do
maine. « Il est essentiel de sortir de
cette logique de marketing de ni
che, dans laquelle des enseignants
engagés dispensent des cours à
des étudiants écolos. Il faut main
tenant s’assurer que tous les étu
diants aient une connaissance
minimum des enjeux », explique
JeanChristophe Carteron, direc
teur RSE chez Kedge.
A Nantes, Audencia poursuit la
même stratégie. « Il nous man
quait un socle de compréhension
des grands enjeux. Depuis sep
tembre 2019, la moitié du cours
d’économie de première année
est consacrée aux questions
environnementales », confie José
Maillet, professeur chargé de ce
cours. A La Rochelle, Excelia se
fonde sur les « recherchesinter
ventions » développées dans le
cadre de l’Institut de la respon
sabilité sociétale par l’innova
tion pour présenter des études
de cas d’entreprises confrontées
aux questions climatiques.
Ces initiatives créent des débats
au sein des corps professoraux.
« Il faut réussir à convaincre nos
collègues de prendre en compte
ces thématiques dans leurs cours.
Cela prend du temps », confie
Aurélien Acquier, de l’ESCP, qui a
conduit des ateliers sur la « fres
que du climat » (un outil pédago
gique en libre accès pour expli
quer le changement climatique)
lors du séminaire des ensei
gnants mais aussi avec le comité
de direction.
« Les enseignantschercheurs et
les dirigeants des écoles ne sont
pas évalués sur leur capacité à
prendre en compte les questions
climatiques, par essence interdis
ciplinaires. Les premiers doivent
leurs progressions de carrière à
leurs publications scientifiques
dans des revues disciplinaires. Les
seconds sont très soumis aux
classements qui n’ont pas intégré
ces critères », renchérit André
Sobczak, directeur académique
et de la recherche d’Audencia.
UNE NOUVELLE APPROCHE
Pour accélérer le mouvement, cer
tains enseignants de grandes éco
les ont appelé, dans une tribune
publiée dans Le Monde, à renver
ser la table pour conduire une
« redirection écologique ». Le pro
blème est identifié : « Les contenus
liés à la question écologique ou cli
matique viennent le plus souvent
se superposer à des programmes
« JE VEUX
AUSSI QU’ON
ME PARLE DE
DÉCROISSANCE,
DE COLLECTIFS
À IMPACT
POSITIF... »
JULIE
étudiante à la Toulouse
Business School
Des
initiatives
Fresque du climat Module
pédagogique de trois heures
sur le fonctionnement
du climat et les conséquen-
ces de son dérèglement,
conçu par une association
à destination des étudiants
et de leurs enseignants. En-
tre mi-août et fin septembre,
10 000 étudiants ont parti-
cipé à la fresque du climat.
Manifeste pour un réveil
écologique Pétition lancée
par des étudiants-ingénieurs
l’année dernière pour
demander aux établisse-
ments d’intégrer davantage
d’enseignements sur
le climat dans les cursus.
Elle a été signée à ce jour
par 31 000 étudiants.
« Formons tous les étu-
diants au réchauffement
climatique » Appel de sep-
tembre 2019 publié dans
Le Journal du dimanche,
signé par 1 000 enseignants-
chercheurs et 80 dirigeants
d’université ou de grande
école. Le texte demande
à l’Etat de soutenir
leur volonté de former tous
les étudiants à ces enjeux,
et d’impulser une stratégie
dans ce domaine.
“business as usual” », écrivent les
signataires. Auteur de la tribune
avec deux autres enseignants
chercheurs de l’ESC Clermont et
du laboratoire de recherche Ori
gens Media Lab, Diego Landivar
applique cette « redirection » dans
ses cours. Les étudiants de pre
mière année commencent par
trois semaines de conférences et
« IL FAUT
MAINTENANT
S’ASSURER
QUE TOUS
LES ÉTUDIANTS
AIENT UNE
CONNAISSANCE
MINIMUM
DES ENJEUX »
JEAN-CHRISTOPHE
CARTERON
directeur RSE chez Kedge
de sensibilisation sur des thè
mes, comme « anthropocène et
trajectoire des organisations » ou
encore « l’effondrement des éco
systèmes en Auvergne ».
« Nous faisons entrer les scien
ces de la terre au cœur de la ma
quette pédagogique. Il est temps
de confronter le monde de la
gestion au monde des climatolo
gues », affirme l’enseignant. Pour
lui, l’interdisciplinarité est la clé
de cette nouvelle approche, qui
se poursuit en deuxième et troi
sième années. Valme Blanco, di
rectrice des programmes du
groupe ESC Clermont, également
signataire de la tribune, assume
ce parti pris : « Nous ne pouvons
plus former les étudiants sans
leur faire prendre conscience des
limites des ressources de la Terre.
Nous montrons à l’étudiant deux
paradigmes : à lui d’être critique
et de faire ses choix. »j
sylvie lecherbonnier
Enseignants et étudiants des écoles de commerce se mobilisent pour inscrire le climat dans les programmes
LE MONDE CAMPUS JEUDI 14 NOVEMBRE 2019
à la une | 9
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