Le Monde - 14.11.2019

(Tina Meador) #1

E


n terminale, Léonie pensait
s’être bien renseignée sur le
contenu des études de psy­
chologie. Pourtant, cela ne l’a
pas empêchée d’être « très sur­
prise » en intégrant sa première année
de licence à l’université de Strasbourg.
« Je savais qu’il y aurait des matières
scientifiques, mais j’étais loin de m’imagi­
ner l’ampleur que prenaient les sciences
dans la psychologie », lance l’étudiante,
aujourd’hui en troisième année. Face à
ce programme dense, elle a rencontré
« quelques difficultés », mais s’est décou­
vert une passion pour la variété de la re­
cherche scientifique liée à la discipline.
Ce n’est pas le cas de tous ceux qu’elle a
pu croiser sur les bancs de première
année. Filière en tension, extrêmement
attrayante auprès des lycéens, la psycho­
logie souffre d’une représentation biai­
sée, voire idéalisée, ce qui donne lieu
parfois à de véritables désillusions.
« C’est une discipline qui n’est pas du tout
enseignée au lycée, et cette inconnue
séduit de nombreux jeunes, note David
Clarys, président de l’Association des
enseignants­chercheurs en psychologie.
Le passage à l’université coïncide égale­
ment avec une période de la vie où ces
jeunes adultes se posent beaucoup de
questions et pensent pouvoir trouver des
réponses dans cette filière. Ce qui n’est en
rien sa destination première. »

Clément est de ceux qui étaient venus
« chercher à mieux se comprendre » en
licence de psychologie. Il pensait aussi
pouvoir y apprendre à « lire le sens caché
des gestes », comme l’énonçait un des
livres qu’il lisait adolescent. Or, quand
l’année commence dans son université
d’Aix­Marseille, il découvre que le cursus
consacre très peu de temps à la psycholo­
gie clinique – le soin en cabinet ou à l’hô­
pital – au profit de matières plus scienti­
fiques (statistique, neurobiologie, psy­
chologie cognitive...), souvent liées à la
psychologie sociale. C’est pourtant sou­
vent la « clinique », abondamment véhi­
culée par le cliché du praticien devant
son patient étendu sur son divan, qui
attire de nombreux jeunes, comme lui,
vers la discipline.

HÉCATOMBE EN PREMIÈRE ANNÉE
« En France, la psychologie – et notam­
ment sa dimension scientifique – est en­
core méconnue », constate Tanguy Leroy,
maître de conférences en psychologie
sociale à l’université Lumière Lyon­II.
Beaucoup d’étudiants s’orientent en
« psycho » en pensant s’appuyer unique­
ment sur leurs compétences littéraires.
« Pour réussir, il faut être très bon en scien­
ces », rappelle David Clarys. A son entrée à
l’université de Strasbourg, Marie est tom­
bée des nues en découvrant que ses cours
de statistique et de neurobiologie rem­

plissaient une grande partie des cases de
son emploi du temps : « C’était aux antipo­
des de l’idée que je me faisais de la psycho­
logie. » Face à ces matières, cette bache­
lière littéraire fait un blocage. « J’étais très
frustrée », lâche­t­elle. Même quand elle
se force, Marie peine à se maintenir à ni­
veau. Elle redouble chacune de ses années
mais finit par décrocher sa licence. Pour
ensuite se réorienter, en master, vers les
métiers de l’enseignement.
« Voie de garage », « lieu de repli des
flemmards », d’autres stéréotypes sont
encore régulièrement utilisés pour
qualifier les études de psycho. « C’est
pourtant une filière exigeante, avec une
notation sévère où il faut travailler tout
autant que dans les autres licences,
témoigne Elise, 24 ans, en master de

psychopathologie à Paris­Descartes. Elle
s’avère aussi très lourde sur le plan
humain. On est amené à faire un travail
psychologique sur soi­même pour deve­
nir un bon praticien. »
Moins de 45 % des nouveaux bacheliers
inscrits en première année réussissent
leur passage en deuxième année, selon
les chiffres ministériels. Un pourcentage
que Noëlle Girault­Lidvan, directrice de
la licence de psychologie de l’université
Paris­Descartes, tend à relativiser : « Si le
décrochage et les réorientations existent,
ces chiffres ne prennent pas en compte
ceux qui ne se seront jamais présentés du­
rant l’année. » D’autant que, insiste­t­elle,
la réorientation n’a rien d’un échec :
« Beaucoup d’étudiants entreront en li­
cence sans certitude d’exercer par la suite
sous le titre de psychologue, mais les
notions apprises peuvent être très utiles à
de nombreux métiers, comme les profes­
sions auprès d’enfants. »
Les choses, toutefois, changent peu à
peu. « Aujourd’hui, les étudiants savent
davantage pourquoi ils sont là, et ont un
projet professionnel plus ou moins dé­
fini en tête », estime David Clarys, qui
impute cette évolution aux processus
d’orientation qui surviennent très tôt
dans le parcours des adolescents. « La
plate­forme Parcoursup est venue un
peu plus appuyer ce phénomène qu’on
observe depuis quelques années : les ly­

La licence,


qui se révèle


aussi scientifique


que littéraire,


déroute toujours


nombre


d’étudiants : elle


ne mène pas


forcément


à la psychologie


clinique et n’est


pas faite pour


« mieux se


comprendre »


Des cours d’orthographe à la fac


A Nanterre, un atelier est imposé aux étudiants en difficulté


« C’EST UNE
DISCIPLINE QUI N’EST
PAS ENSEIGNÉE
AU LYCÉE, ET CETTE
INCONNUE SÉDUIT DE
NOMBREUX JEUNES »
DAVID CLARYS
président de l’Association
des enseignants-chercheurs
en psychologie

EN PSYCHO,


LE FANTASME DU DIVAN


D


es vents glaciaux ba­
layent le campus de
l’université Paris­Nan­
terre en ce lundi soir de novem­
bre. Une trentaine d’étudiants en
licence se dirige vers un bâtiment
en préfabriqué. C’est ici que, de­
puis fin septembre, ils suivent un
cours intitulé « atelier de langue
française ». Ils ont été identifiés
comme les plus « en difficulté »
sur les compétences rédaction­
nelles en français attendues à
l’université.
Depuis 2017, tous les étudiants
de Nanterre de première année


  • 6 500 en 2019 – passent un test
    en ligne « de positionnement »,


qui évalue l’orthographe, le voca­
bulaire et la construction des tex­
tes. Cette rentrée, ils sont 340 à
consacrer deux heures chaque
semaine à améliorer leur écrit.
Sarah De Vogüé, responsable
pédagogique de cet atelier de lan­
gue française et maîtresse de
conférences en sciences du lan­
gage à l’université, les interroge à
tour de rôle. Chacun est invité à
lire une phrase qui contient une
faute ou un choix entre deux pro­
positions. Quand l’un des étu­
diants bute sur la bonne ortho­
graphe, l’enseignante donne des
conseils mais laisse deviner la ré­
ponse, puis écrit la règle de gram­

maire au tableau. « Il ne faut pas
sous­estimer le sentiment d’humi­
liation que peuvent ressentir ces
jeunes qui, pour certains, ont eu de
bonnes notes au bac et de bons ré­
sultats au lycée », souligne­t­elle.
C’est le cas d’Alexis, 17 ans, en
première année de licence de
Staps (sciences et techniques des
activités physiques et sportives).
« J’ai eu 10 et 14 au bac de français.
J’ai été très surpris de voir qu’après
le test de positionnement, j’allais
être obligé de suivre ces cours de
français », souffle, en aparté après
le cours, le jeune homme, qui se
verrait bien devenir préparateur
physique dans le football. « On se

rend compte depuis plusieurs an­
nées que l’écrit est de plus en plus
défaillant », explique la profes­
seure Sarah De Vogüé.

MANQUE DE VOCABULAIRE
Le niveau en orthographe des
jeunes Français a chuté : la ques­
tion ne fait plus débat dans l’en­
seignement primaire et secon­
daire, comme l’a montré la der­
nière étude du ministère de
l’éducation nationale. L’enseigne­
ment supérieur n’est logique­
ment pas épargné, et de nom­
breuses universités et grandes
écoles se sont mises à organiser
des stages et cours de remise à ni­

veau. Loïc Drouallière, ensei­
gnant­chercheur à l’université de
Toulon, a démontré dans Ortho­
graphe en chute, orthographe en
chiffres. Deux expériences édifian­
tes (L’Harmattan, 2015) que le
taux d’erreurs moyen est en
« progression constante sur la pé­
riode 1992­2012 ». En analysant les
copies d’examen d’étudiants en
fin de première année de licence
en sciences économiques dans
une université parisienne, son
constat est sans appel : « En pres­
que vingt ans, la moyenne des
fautes sur cent mots a quasiment
doublé dans les copies d’examen
de première année. »
Les tests de positionnement à
Nanterre montrent que le « man­
que de vocabulaire et la cohérence
des phrases sont, en plus de l’or­
thographe, un vrai problème pour
cette génération », souligne Sarah

De Vogüé. Jeanne Conseil, lin­
guiste en post­doctorat à l’univer­
sité de Nanterre, qui enseigne
aussi dans ces ateliers, discerne
une certaine « souffrance face à
l’écrit. Nombre d’entre eux ont ra­
conté avoir un rapport doulou­
reux à l’écriture, lors des dictées ou
des dissertations au lycée ».
Luisa, 20 ans, étudiante colom­
bienne en droit, estime que cet
atelier est une « chance ». « J’aime­
rais être avocate, et je sais qu’un
bon niveau en français est indis­
pensable. » Dans son livre, Loïc
Drouallière lui donne raison :
l’orthographe et les compétences
rédactionnelles restent très dis­
criminantes dans le monde du
travail. A CV égal ou lettre de can­
didature égale, les recruteurs pré­
féreront toujours celui qui n’a pas
fait de fautes.j
marine miller

12 |spécial université


LE MONDE CAMPUS JEUDI 14 NOVEMBRE 2019
Free download pdf