Libération - 05.11.2019

(avery) #1

2 u Libération Mardi 5 Novembre 2019


U


n trou bétonné, perturbant une ligne
d’immeubles blottis les uns contre les
autres. Une cicatrice entre les numé-
ros 61 et 69 de la rue d’Aubagne, quartier
­Noailles, au cœur de Marseille. Il y a un an pile,
à la place du trou, s’élevaient encore deux im-

Par
Stéphanie Harounyan
Correspondante à Marseille
Photo Olivier Monge. MYOP


Rupture


a mis en lumière des
­décennies d’indifférence,
de clientélisme et d’insuf-
fisances, qui sont les ca-
ractéristiques d’un sys-
tème. De toute évidence,
l’heure du changement de
stratégie a sonné pour les
élus locaux. Peut-on s’en
remettre aux héritiers de
la municipalité sortante?
Ou bien choisir l’avène-
ment d’une nouvelle
équipe? C’est affaire de
préférence partisane.
Mais une évidence s’im-

pose : pour accélérer le re-
nouveau, les Marseillais
disposent d’une arme im-
médiate, le bulletin de
vote. Leur premier devoir,
c’est de l’utiliser, dans une
ville ou la participation
électorale, il faut bien le
dire, est d’une inquiétante
timidité – ou d’une coupa-
ble indifférence. Marseille
n’est pas loin de détenir le
record de France du loge-
ment insalubre. Rien ne
changera, au fond, sans
une rupture politique,
­laquelle implique une
­vigoureuse intervention
­publique. Dans ces condi-
tions, les Marseillais
­peuvent, bien sûr, parier
sur la prise de conscience
des équipes sortantes.
Mais ils peuvent aussi
écarter le risque de la
­continuité, serait-elle
­parée de nouveaux atours,
et choisir le vrai
changement.•

meubles aux façades balafrées de fissures.
Le 5 novembre, à 9 h 07, ils se sont effondrés,
emportant avec eux 8 personnes qui vivaient
là. Ouloume, Fabien, Cherif, Taher, Simona,
Marie-Emmanuelle, Julien et Niasse sont
morts d’être restés chez eux ce matin-là. Quel-
ques heures plus tard, les pompiers décidaient
de détruire le 67, trop fragilisé. Les jours
d’après, la peur d’une réplique gagne toute la
ville, vidant des centaines d’immeubles. Des
milliers d’habitants sont évacués en urgence
vers des hôtels. Marseille panique : des routes
barrées, des sirènes partout et 10 000 person-
nes qui défilent dans les rues le week-end sui-
vant la catastrophe pour dire leur peine et leur
colère face à l’incurie de la municipalité, accu-
sée d’avoir laissé pourrir son centre-ville.
Un an plus tard, rue d’Aubagne, les parois des
immeubles encadrant le trou ont été repein-
tes en blanc crème. Un périmètre de sécurité
grillagé couvre désormais le site, surveillé

jour et nuit par des agents de sécurité. «Des
fois, les passants s’arrêtent, me posent des
questions sur le devenir du site, confie l’un
d’eux. Les morts, il y a toujours un moment où
on y pense. Ça perturbe un peu...» Parfois, un
expert ou un architecte débarque pour une vi-
site, escorté de policiers. « La dernière fois, ils
nous ont dit de ne plus garer nos voitures au
pied des immeubles, parce que c’est toujours
fragile, raconte encore le vigile. L’autre jour,
quand il a plu, un bloc s’est détaché du 67. » Sur
les murs, des détecteurs reliés à une caméra
enregistrent le moindre mouvement, au cas
où. « Faut tout détruire, c’est trop vieux, sou-
pire le gardien. Ça a déjà fait beaucoup de dé-
gâts, faut pas que ça en fasse encore.»

Gaudin «assume»
Que reste-t-il du 5 novembre 2018? Alors que
Marseille s’apprête, cette semaine, à commé-
morer ses morts, la panique est retombée

Marseille


n’oublie


pas


Le 5 novembre 2018, l’effondrement de


deux immeubles rue d’Aubagne provoquait la


mort de huit personnes et l’évacuation


de milliers de riverains. Un an plus tard,


à l’approche des municipales, la situation


du logement semble toujours figée malgré une


mobilisation citoyenne intense.


éditorial
Par
Laurent Joffrin

spécial marseille


La plaie est toujours
­ouverte. Un an après la
­catastrophe de la rue
d’Aubagne, Marseille reste
une ville blessée. Les dé-
combres des immeubles
effondrés, les innombra-
bles logements vides éva-
cués, les âpres difficultés
rencontrées par les fa-
milles relogées ou ren-
dues à leur foyer délabré
et souvent pillé, ravivent
chaque jour la mémoire
du drame. L’Etat est inter-
venu, la ville s’est enfin
mobilisée – pas assez,
­disent les collectifs de la
colère – mais les procédu-
res d’expropriation, préa-
lables à la rénovation,
sont ardues et longues. La
lenteur du redressement
n’est pas entièrement im-
putable aux autorités, il
faut le souligner. Mais la
chute des taudis si long-
temps laissés à l’abandon,
on le sait bien à Marseille,


5 novembre

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