Libération - 05.11.2019

(avery) #1

A


lors que le pouls de la capitale vi-
brera aux pulsations de Paris
Photo au Grand Palais (du 7 au
10 novembre), une multitude d’événe-
ments se greffent autour. Voici une sé-
lection d’expos, rencontres, signatures,
foires du livre, afin d’apaiser les pupilles
des boulimiques d’images qui n’en
voient jamais assez...

Le laboratoire
Avec 14 artistes nés pour la plupart dans
les années 80, le salon Approche fête sa
3 e édition, dont la codirection artistique
est assurée cette année par Etienne Hatt,
le rédacteur en chef adjoint d’Artpress.
Parmi les collages, installations, pièces
en volumes de ce salon en forme d’expo-
sition, les compositions de l’artiste brut
Lindsay Caldicott (1956-2014) chez Chris-
tian Berst et les montages de la Sud-Afri-
caine Lebohang Kganye chez Afronova,
qui s’incruste dans les photos de sa mère
disparue, confirment un engouement
pour les expériences autour du médium
photographique (du 8 au 10 novembre à
la galerie le Molière, 75001).
On retrouve ce type de recherches à la
toute jeune Biennale de l’image tangi-
ble (BIT20) qui, en attendant une vraie
seconde édition en 2020, propose l’expo
«Hors sujet» à la galerie Plateforme
(73, rue des Haies, 75020). Jusqu’au
17 novembre, les œuvres de Matthieu
Boucherit, Caroline Delieutraz, Juliette-
Andréa Elie et Laure Tiberghien s’inté-
ressent à la disparition du sujet photo-
graphique.

Le coin des libraires
Pour dénicher des livres, si l’on n’a pas en-
core rempli sa bibliothèque au Grand Pa-
lais, qui accueille déjà 33 éditeurs, il fau-
dra tanguer sur la péniche Concorde-
Atlantique où se tient l’excellent

Polycopies (du 7 au 10 novembre) avec
ses 60 éditeurs. Pour sa 6e édition, le sym-
pathique et pointu salon flottant pro-
gramme une raclette ce vendredi avec
Stefano Stoll, directeur d’Images Vevey.
On note aussi ce même jour une signature
de Mark Steinmetz pour Summer Camp
et Carnival (chez Setanta Books). Samedi,
c’est au tour de Karim Kal pour Arrière-
pays (éd. Loco) et de Marwan Bassiouni,
qui dédicace New Dutch Views (éd. Lectu-
ris), un tour des Pays-Bas vus par les fenê-
tres de ses mosquées.
A l’Ecole nationale supérieure des
beaux-arts de Paris, les 160 éditeurs du
salon Offprint fêtent les 10 ans de ce
rassemblement estampillé Luma Arles
(du 7 au 10 novembre). Samedi, Vasantha
Yogananthan signe le très beau Howling
Winds (Chose commune) et Jeff Mermel-
stein un recueil de photos pop et cin-
glantes prises à l’iPhone : Hardened
(éd. Mörel Books).

Petites expos en ville
Galeries et institutions se parent aussi de
photographies. Si Smith est à la galerie
les Filles du Calvaire (75003), on re-
trouve feu Allan Sekula à la galerie Mi-
chel Rein (75003) avec une de ses pre-
mières séries montrant des travailleurs
californiens quittant une usine aéronau-
tique à la fin de leur service, en référence
aux frères Lumière. Au Gœthe Institut
de Paris, la jeune garde allemande vient
s’exposer autour de l’idée de frontières
(qu’elles soient physiques, géogra­-
phiques, politiques, conceptuelles), avec
les œuvres des étudiants post-diplôme
de Heidi Specker, prof à la Hochschule
für Grafik und Buchkunst (HGB) de Leip-
zig. Celles de Hanna Stiegeler s’intéres-
sent aux frontières entre sphères publi-
que et privée, autodétermination et
fonction à travers les corps de femmes
enceintes. La galerie Miranda (75010)
et la galerie Michael Hoppen (Londres)
s’associent pour montrer «Corps for-
mels» avec les tirages noir et blanc de
Fernand Fonssagrives, premier mari du
mannequin Lisa Fonssagrives devenue
femme d’Irving Penn, et les mises en
scène sexy de Noé Sendas.
C.Me.

Paris, objectif


photos


Parallèlement à la foire
internationale du Grand
Palais, divers lieux
de la capitale rivalisent
de propositions picturales.
Tour d’horizon des pistes
à suivre.

tographier des trucs militaires. Car Reagan
était très porté sur le sujet.»


«Changer mon livre
jusqu’à mon lit de mort»
«A l’époque, les films coûtaient cher, les déve-
loppements aussi. Je devais vraiment faire des
économies. En fait, un peu comme un ciné-
aste, j’ai fait le storyboard de l’Amérique. Je sa-
vais que je voulais montrer les industries du
Nord-Est en déclin. Quand j’ai eu assez d’in-
dustries en déclin, j’ai photographié Houston
en train de se construire, je voulais aussi mon-
trer l’Ouest en train de changer. J’avais des no-
tes sur chaque prise de vue sur mes agendas,
comme pour un scénario. Au fur et à mesure
du voyage, j’envoyais les photos à New York
pour les faire développer et je faisais juste faire
les tirages de celles qui me paraissaient bien.
Mais aujourd’hui, quarante ans après, j’ai re-
trouvé tous ces négatifs dans mon studio du
Vermont dont je n’avais même pas fait de plan-
che-contact. A mon sens, il y a encore des pho-
tos à découvrir [il montre sur son téléphone un
Mister California torse nu de toute beauté,


Hardened, de
Jeff Mermelstein,
au salon Offprint.
J. Mermelstein.
Mörel books

ndlr]. Le poète Walt Whitman a bien fait
neuf éditions de Feuilles d’herbe jusqu’à ce qu’il
publie l’édition dite de son “lit de mort” [Leaves
of Grass : the Complete Deathbed Edition]. Je
vais m’inspirer de lui et me dire que je suis libre
de changer mon livre jusqu’à mon lit de mort !»

«L’aventure au coin
de la rue»
«J’ai toujours eu une relation viscérale à la na-
ture, à tous les changements de saison, à toutes
les variations de lumière, un peu comme cer-
tains croyants sont transportés par leur foi, par
leur enthousiasme. J’ai lu tous les écrivains de
la nature. Grâce à Henry David Thoreau, j’ai
enfin découvert – et cela a été un soulage-
ment – qu’il existait un mot pour ce sentiment
que j’éprouvais depuis l’âge de 9 ans : le trans-
cendantalisme. Je ne pouvais pas en parler aux
autres. J’ai grandi à un pâté de maisons de la
plage et j’avais un piège à oiseaux dans l’arriè-
re-cour. Je les capturais, les prenais dans mes
mains, puis les relâchais, et j’imaginais qu’ils
venaient du Vermont. Je regardais les magazi-
nes de chasse pour leurs photos de nature et
on m’a livré un renard empaillé que ces maga-
zines offraient pour 15 dollars. Avec mes frères,
on se levait tôt, à 6 heures du matin, sans le
dire à nos parents, pour aller marcher dans la
nature quand on était en vacances. Ma mère
avait l’habitude de dire : “Il suffit à Joel de tra-
verser la rue pour avoir une aventure.” Elle
avait raison. C’est fou, l’intuition maternelle :
c’est devenu l’histoire de ma vie.»

«Américanologiste»
«Chaque génération regarde la précédente et
la trouve dépassée. Moi aussi à l’époque, je
trouvais Walker Evans vieux. Bien sûr que ce
travail photographique a vieilli si on le regarde
à la lumière des décennies. Mais si on le consi-
dère à l’échelle des siècles? J’ai travaillé dur
pour intégrer tout ce que je savais sur l’Améri-
que dans American Prospects. C’était un mo-
ment très spécial de ma vie. J’étais si jeune...
Je pense que l’excitation du jeune artiste se voit
dans les images. L’histoire de l’Amérique et
celle de la photographie sont très imbriquées
depuis le début : elles ont grandi ensemble. Au-
jourd’hui, toute la ­culture visuelle est marquée
par une pensée postcoloniale : un Africain doit
porter son regard sur l’Afrique, un Européen
sur l’Europe, un Américain sur l’Amérique.
Moi, je suis un “américanologiste” et je suis
bien heureux d’avoir été un “américanologiste”
de la première heure, au moment où mon pays
avait encore le vent en poupe.»•

(1) Joel Sternfeld signera American Prospects jeudi
à 16 heures sur le stand Steidl et samedi à 17 heures
sur le stand Xippas.

Paris Photo
Grand Palais (75008), secteur Prisme, avec
cinq ou six photos inédites d’«American
Prospects». Du 7 au 10 novembre.

Joel Sternfeld
American Prospects Now
Galerie Xippas, 75003. Jusqu’au 21 décembre.
A paraître, American Prospects
nouvelle édition augmentée de 12 photos,
éditions Steidl, 168 pp., 98 €.

Libération Mardi 5 Novembre 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 29

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