Le Monde - 09.11.2019

(Greg DeLong) #1

10 |france SAMEDI 9 NOVEMBRE 2019


0123


aix­en­provence (bouches­
du­rhône) ­ envoyé spécial

R


équisitoire au cordeau,
jeudi 7 novembre, à Aix­
en­Provence à la cour
d’assises des Bouches­
du­Rhône, devant laquelle compa­
raît depuis onze jours Claude
Chossat. A l’encontre de celui­ci,
poursuivi pour « assassinat en
bande organisée » dans le meurtre
de Richard Casanova, le
23 avril 2008, à Porto­Vecchio (Cor­
se­du­Sud), l’avocat général Pierre
Cortès a demandé quinze ans de
réclusion criminelle. S’adressant à
l’accusé, le représentant de la so­
ciété a prévenu : « Vous allez devoir
rendre des comptes à la justice. »
Pierre Cortès ne goûte guère
l’image que Claude Chossat s’est
façonnée depuis qu’il a livré des
aveux aux enquêteurs concernant
La Brise de mer, à partir de la fin


  1. « Les médias en ont fait leur
    icône, le symbole de la lutte anti­
    mafia », a­t­il lancé. Et pour des
    policiers, « c’est pratiquement le
    syndrome de Stockholm », s’amu­
    se­t­il. Mais, à ses yeux, cela ne
    vaut pas absolution.
    Pierre Cortès veut bien croire à
    certaines déclarations de l’accusé,
    mais sous « bénéfice d’inventaire ».
    Alors Chossat, un repenti? Sûre­
    ment pas. « Un repenti, c’est celui
    qui dit tout, sans s’épargner », affir­
    me­t­il. Or, à ses yeux, Claude
    Chossat n’a pas tout dit, et surtout
    il n’a pas dit que des vérités. « Je ne
    crois pas Claude Chossat avec la foi
    du charbonnier. » L’avocat général
    en est convaincu : quand il décide


de parler en garde à vue dans les lo­
caux de la police, en décem­
bre 2009, Claude Chossat est dans
une stratégie de défense.
« Quelle est sa situation person­
nelle au moment de sa garde à vue
fracassante? », interroge­t­il. Chos­
sat est en détention provisoire
dans une affaire d’abus de biens
sociaux. Mais, lorsque les policiers
l’entendent, c’est une affaire crimi­
nelle qu’ils lui mettent sous les
yeux. Son ADN a été trouvé sur la
scène d’un assassinat commis à
Aix­en­Provence, un an plus tôt.
Chossat qui, de 2007 à 2008, a été
le chauffeur, mais surtout
l’homme à tout faire, de Francis
Mariani, l’un des parrains de La
Brise de mer, comprend immédia­
tement ce qu’il risque. Et d’ailleurs
les policiers se font un plaisir de lui
signifier : « Avec ce qu’on a, tu en
prends pour trente ans. » Comme le
relève Pierre Cortès, s’il veut éviter
« de croupir dans les geôles de la
République, il faut qu’il réagisse ».

« Vous savez que c’est un tueur »
A ce moment­là, Chossat « est mar­
ron, dans la nasse », insiste le ma­
gistrat. Il ne peut que négocier
avec les policiers. Et, pour lui, c’est
là que tout commence. « Un vaste
chantier au cours duquel il se fa­
çonne un personnage épris de fran­
chise et de sincérité », selon Cortès.
Et, toujours d’après Cortès, c’est là
aussi toute la marque de l’accusé :
« Il avance à petits pas vers la vérité
à laquelle il ne se convertit que lors­
qu’il n’y a plus d’autre issue. » Dans
cette démarche, l’avocat général
ne voit rien qui « entretiendrait

l’idée d’une lumière venue de l’inté­
rieur pour faire ces révélations ».
Pour lui, Chossat n’a fait que « se
couvrir ». A ce stade du réquisi­
toire, on peut croire qu’aux yeux
de l’avocat général, pendant toutes
ces années, Claude Chossat
n’aurait donc été qu’un acteur évo­
luant dans « le marigot pestilentiel
du mensonge ». Voilà qu’il brosse
de l’accusé le portrait d’un voyou
capable de vendre père et mère
pour sauver sa peau. Un de ces
voyous comme il en défile tant de­
vant cette cour d’assises, et dont
Pierre Cortès connaît les travers.
La suite est cependant plus me­
surée. Lorsqu’il s’est levé deux
heures auparavant, l’avocat géné­
ral avait averti la cour, les parties et
l’assistance dans la salle : dans ce
dossier « souffrant de boursouflu­
res stériles », Pierre Cortès s’est ap­
pliqué « à éviter deux écueils » : ce­
lui tendu par la partie civile repré­
sentant la famille de la victime
soucieuse, tout au long des débats,
de faire de Chossat un menteur
pervers et machiavélique ; et celui,
porté par la défense, visant à faire

de l’accusé une victime. « Claude
Chossat a réussi à hystériser les opi­
nions autour de sa sainte figure de
repenti », a ironisé le magistrat,
mais il n’empêche. « Est­ce que ce
jeu malsain entre vérités et men­
songes suffit à faire de Chossat un
assassin? » Sûrement pas. A l’ins­
tar des policiers et des magistrats
qui ont témoigné à cette barre ces
derniers jours, Pierre Cortès es­
time que le tireur unique est
Francis Mariani, et pas Claude
Chossat. « Quel mobile avait
Claude Chossat? » Il n’en voit pas.
Mariani, ce boss tant redouté,
mort dans une explosion, en jan­
vier 2009, avait quelques raisons
de s’en prendre à Casanova, son ri­
val. Victime d’une tentative d’as­
sassinat en 2007, Mariani considé­
rait que Casanova ne pouvait pas
ne pas être au courant. Et Mariani,
au tempérament irascible, n’était
pas homme « à subir sans réagir ».
De plus, à la lecture du dossier, il
apparaît que, par sa taille, sa mau­
vaise vue et la nature des tirs


  • « des tirs d’arrosage », selon l’ex­
    pert balistique –, Mariani pourrait
    en être l’auteur. « Il y a un doute sur
    l’identité du tireur », dit Cortès, et
    « ce doute doit profiter à l’accusé ».
    Ce constat exonère­t­il pour
    autant la responsabilité de l’ac­
    cusé? Selon le magistrat, Claude
    Chossat est « complice » d’un
    crime qui peut valoir la perpétuité
    à ses auteurs. Chossat n’a pas re­
    chigné à fournir une assistance à
    Mariani. Il a trouvé et apporté les
    armes. Au moment du guet­apens,
    il l’a aidé à aménager un pas de tir,
    en déplaçant une pierre sur la­


quelle il a laissé son ADN. A l’en
croire, l’accusé ne savait rien des
intentions meurtrières de son pa­
tron, et il aurait quitté l’endroit où
Mariani s’était posté plusieurs mi­
nutes avant que celui­ci ouvre le
feu. Il n’a rien vu, rien entendu. Un
récit qui laisse Cortès sceptique :
« Vous savez qui est Mariani, vous
savez que c’est un tueur. »
Alors, il y a bien « complicité », as­
sure­t­il. Au sens pénal du terme,
la complicité est établie dès lors
que « la personne, sciemment par
aide ou assistance, a facilité la pré­
paration d’un crime ». A cet instant
du réquisitoire vient la question
du quantum : « Quelle est la juste
peine? » Pierre Cortès sait le
contexte particulier dans lequel ce
procès intervient. Quels que puis­
sent être les débats sur le statut de
repenti auquel veut accéder l’ac­
cusé, et quels que soient les doutes
qui animent le magistrat sur la sin­
cérité de l’intéressé, il apprécie, au
fond, les intentions de ce dernier.
Il veut bien croire au discours de
Claude Chossat, officiellement en­
registré au service des sources, au
ministère de l’intérieur, selon le­
quel il serait un serviteur de la jus­
tice. D’où le choix de requérir une
peine criminelle relativement ré­
duite au regard de celle encourue.
Et à ceux qui estimeront que cette
demande de peine pourrait dis­
suader les bonnes volontés sou­
haitant collaborer avec les enquê­
teurs, Pierre Cortès répond que la
« justice, c’est rendre ses comptes à
la société ». Le verdict devait être
rendu vendredi 8 novembre.
yves bordenave

« Il avance à petits
pas vers la vérité
à laquelle il ne
se convertit que
lorsqu’il n’y a plus
d’autre issue »
PIERRE CORTÈS
avocat général

Quinze ans de prison requis contre Chossat


Le « repenti » corse est accusé d’être le complice du meurtre de Richard Casanova, en 2008


Lafarge : annulation de la « complicité


de crimes contre l’humanité »


L’entreprise reste poursuivie notamment pour « financement
du terrorisme » et « mise en danger de la vie » d’anciens salariés

C’


est une annulation par­
tielle des poursuites, et
une petite victoire
pour les avocats du cimentier
Lafarge. La cour d’appel de Paris a
annulé, jeudi 7 novembre, la mise
en examen pour « complicité de
crimes contre l’humanité » de La­
farge SA, accusée d’avoir financé
des groupes terroristes en Syrie,
pour maintenir l’activité d’une de
ses usines.
Cette décision de la cour d’appel
de Paris est l’aboutissement d’un
an de procédure : une requête en
nullité avait été lancée fin 2018
par les avocats du cimentier. Leur
succès n’est toutefois que partiel,
car la chambre de l’instruction de
la cour d’appel a maintenu les mi­
ses en examen du cimentier pour
« financement du terrorisme »,
« violation d’un embargo » et
« mise en danger de la vie »
d’anciens salariés de son usine de
Jalabiya. Soit l’essentiel de ce dos­
sier sensible qui fait l’objet d’une
information judiciaire depuis
juin 2017 et où huit personnes de­
meurent mises en examen.
Les avocats du groupe cimen­
tier, Me Christophe Ingrain et
Rémi Lorrain, se félicitent de cette
décision de la cour d’appel. « La
cour reconnaît que Lafarge n’a
jamais participé ni de près ni de
loin à un crime contre l’huma­
nité » et « a corrigé une décision
totalement infondée » des juges
d’instruction des pôles financier
et antiterroriste du tribunal de Pa­
ris, ont­ils affirmé.
Trois dirigeants du groupe con­
testaient aussi leur mise en exa­
men : l’ancien PDG Bruno Lafont,
l’ex­directeur sûreté de l’entre­
prise Jean­Claude Veillard et l’un
des ex­directeurs de la filiale sy­
rienne, Frédéric Jolibois. La justice

ne leur a pas donné gain de cause,
mais M. Veillard a obtenu une
réduction des charges pesant
contre lui tandis que M. Jolibois a
vu, selon son avocat Me Jean Rein­
hart, sa garde à vue annulée.
Chose qui va mécaniquement
provoquer de nombreux « trous »
dans ce dossier judiciaire com­
plexe aux enjeux financiers co­
lossaux, où chaque mot compte.

« Défiance judiciaire assumée »
Cette décision de la cour d’appel
de Paris survient quelques jours
après que les associations (Sherpa
et European Center for Constitu­
tional and Human Rights) à l’ori­
gine des plaintes de 11 anciens
salariés syriens ont vu leur de­
mande de constitution de partie
civile jugée « irrecevable ».
De façon assez exceptionnelle,
le 24 octobre, la cour d’appel de
Paris a considéré que leur « objet
social » n’était pas en adéquation
avec les infractions visées par
l’enquête. Elles entendent toute­
fois se pourvoir en cassation.
« C’est une défiance judiciaire as­
sumée envers les ONG et la société
civile. Or, sans elles ce dossier
n’existerait pas », estime l’avocate
de Sherpa, Me Marie Dosé.
Depuis le début des investiga­
tions, la justice soupçonne le

groupe français d’avoir versé en­
tre 2011 et 2015, par l’intermé­
diaire de sa filiale LCS, près de
13 millions d’euros à des groupes
terroristes, dont l’organisation
Etat islamique (EI), afin de main­
tenir l’activité d’une usine dans
le nord du pays. Ces manœuvres,
en plus de contourner les sanc­
tions internationales, auraient
gravement mis en danger les em­
ployés syriens.
De façon plus large, l’instruc­
tion s’intéresse aussi au rôle de la
diplomatie française et des servi­
ces de renseignement dans la dé­
cision de Lafarge de se maintenir
en Syrie. Certains cadres affir­
ment qu’ils ont été encouragés à
rester sur place par le Quai d’Or­
say. Ce qu’ont démenti plusieurs
diplomates. Un agent de la DGSI a
avoué une collecte d’informa­
tions « opportuniste » par l’inter­
médiaire de Lafarge, mais dit
n’avoir donné « aucune consigne »
de maintien dans le pays.
La mise en examen pour « com­
plicité de crimes contre l’huma­
nité » a pour sa part été annulée
car, en droit, elle nécessite plu­
sieurs prérequis qui n’étaient pas
remplis, selon une source judi­
ciaire. En clair, il aurait fallu que
l’enquête parvienne à étayer à la
fois le financement de l’EI, plus
« l’intention » de participer à un
crime contre l’humanité.
En juin 2018, les juges d’instruc­
tion avaient eu un raisonnement
différent. Ils avaient considéré
que cette « intention » était carac­
térisée par le simple fait que
Lafarge avait connaissance des
crimes perpétrés par l’EI et
qu’elle y contribuait en finançant
divers groupes dont certains lui
étaient affiliés.
elise vincent

Ce dossier fait
l’objet d’une
information
judiciaire depuis
juin 2017 et huit
personnes restent
mises en examen

S A N T É
L’hôpital de Longué-
Jumelles restera public
L’agence régionale de santé
Pays de la Loire a décidé de
maintenir l’hôpital de Lon­
gué­Jumelles (Maine­et­Loire)
dans le secteur public, a an­
noncé jeudi 7 novembre le
ministère de la santé. Un
« appel à repreneur » avait
été lancé en mars. L’établisse­
ment, fortement endetté,
aurait pu être le premier
hôpital public à être cédé
au secteur privé en France.

U N I V E R S I T É
Lille suspend la hausse
des droits d’inscription
pour les étrangers
L’université de Lille a sus­
pendu par prudence, jeudi
7 novembre, la hausse des
droits d’inscription pour les
étudiants extra­européens,
appliquée depuis la rentrée.
Environ 600 étudiants de li­
cence sont concernés. Le Con­
seil d’Etat doit encore tirer les
conséquences de la décision
du Conseil constitutionnel du
11 octobre, consacrant la gra­
tuité de l’enseignement supé­
rieur, avec la possibilité de
« droits modiques ». – (AFP.)

S Y N D I C ATS
Cyril Chabanier élu
président de la CFTC
Cyril Chabanier a été élu,
jeudi 7 novembre, président
de la Confédération française
des travailleurs chrétiens
(CFTC) avec notamment la
promesse de féminiser et
de rajeunir ses instances diri­
geantes. Ce statisticien à la
Caisse nationale des alloca­
tions familiales âgé de 46 ans,
économiste et ancien arbitre
de tennis, succède ainsi à
Philippe Louis. – (AFP.)

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