Le Monde - 09.11.2019

(Greg DeLong) #1

Dans l’amériquecontemporaine,la
ville dePortland, dans l’État de l’ Oregon, est
réputéepour son progressisme, sa scène cultu-
relle ou encoreson engagementpour l’environ-
nement.Mais le photographe RicardoNagaoka
montreuntout autreversantdelaréalité. Il s’in-
téresseàlacommunautéafro-américaine de la
ville,àson histoire, danstoutesacomplexité.
Luiqui est né auParaguaydeparents japonais
et afait de l’Oregon sonport d’attache décrit le
quartier historique de lapopulation noire, au
nord-est dePortland, et lafaçondontcette
petitecommunauté–seulement6%des
quelque 600000 habitants–est marquéeparle
passésuprémacisteblanc de la ville.
Lors de la création de l’État en 1859, laConsti-
tution interdisait auxNoirsnerésidantpas déjà
sur placederejoindrel’Oregon, enfaisantainsi le
seul État «whiteonly» de l’Union.Au fil des
décennies, la ségrégation s’y est ancrée:l’État n’a
ratifié le quinzième amendementdela
Constitution américaine–introduit en 1870, il a
donné le droit devote aux hommes noirs–,
qu’en 1959;leKuKlux Klanyaprospéréaudébut


duxxesiècle et unecommunautésuprémaciste
s’y est développée jusque dans les années 1990.
Nourri dece contexte particulier,Ricardo
Nagaokaasuivi pendantdeux ans lapopulation
de ce quartier.Celle-ciaété cont rainte,dufait de
la hausse des prix du logement, de l’absencede
protection des locataires et de la gentrification de
la ville, d’abandonner les maisons aux promo-
teurs.«Cephénomèneexistedans d’autres villes
des États-Unis, mais ici il est particulièrement
rapide.Certainesfamilles ontvuleur loyer aug-
menterde300 à500 dollarspar mois pendantun
an»,explique le photographe.Dansles port raits
qui peuplentceprojet –etfutur livre–,intitulé
Eden withinEden,titreemprunté àunouvrage
de James J.Kopp consacréaux utopies qui ontvu
le jour danscetÉtat, Nagaokaasaisi«latristesse
et la frustration»deshabitants.Ici, même les
enfants semblentavoir remisé leur sourire.«À
l’origine, onaforcé ce sgens àvivre ensemble dans
certaines parties de la ville;ils yont construit leur
maison, leur monde, et aujourd’hui,onles forceà
en partir,àse disperser dans des zones périphé-
riques».Ceux quiresten tsontregardéscomme

des étrangers:«Onleur fait comprendreque leur
placen’estpas vraimentlà. Or,même si leursrues
étaientaussi frappées par la drogue ou la violence
des gangs, c’était le seul endroit dontils pouvaient
dire :c’est chez moi.»Mais le photographe, lui-
mêmedéracinéduParaguayauCanada, puisaux
États-Unis,apréféré s’arrêter sur les visages plu-
tôtque sur les habitationsperdues.«Lorsqu’on
perdsamaison,ce n’est pas la pertephysique des
pièces que nousressentons, mais les souvenirset
l’identitéque nousavon sforgésdans ceslieux.Je
ne voulais pas quetous cesgens soientréduits à
des statistiques, mais qu’ils puissentraco nter leur
histoire.»Lesclichés s’arrêtenttoutefois sur
quelques endroitsparmi les plus emblématiques
du quartier et de la«vie d’avant»:l’églisebap-
tiste, qui fut l’un des premierslieux de culteafro-
américain de la ville et vit naîtrelemouvement
localpour les droits civiques, leparc où les habi-
tantsseretrouvent en famille.Nagaoka
témoigne :«Même déplacésàl’autrebout de la
ville, ilsreviennentàl’église le dimanche pour
retrouver le sens de leurcommunauté, ou dans le
parcoùils on tjoué étantenfants.»

leportfolio

Ricardo Nagaoka
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