Le Monde - 09.11.2019

(Greg DeLong) #1
0123
SAMEDI 9 NOVEMBRE 2019 france| 11

Pédophilie :


l’Eglise débat de


sa responsabilité


Réunis à Lourdes, les évêques


de France devaient voter samedi sur


le principe d’« une somme versée


en reconnaissance de la souffrance »


L


es évêques catholiques di­
ront par un vote, samedi
9 novembre, à Lourdes
(Hautes­Pyrénées), s’ils
sont prêts à accorder aux victimes
de prêtres ou de religieux pédo­
criminels « une somme versée en
reconnaissance de la souffrance »
causée par les actes commis, mais
aussi par les dysfonctionnements
de la hiérarchie ecclésiale dans ces
affaires. Cette formulation leur a
été proposée jeudi, lors de leur
assemblée plénière, par une com­
mission de la Conférence des évê­
ques de France (CEF) mandatée
pour réfléchir à ce sujet brûlant.
Depuis plusieurs mois, l’appel­
lation de cette réparation a donné
lieu à un débat sémantique appa­
remment byzantin, mais qui
reflète en réalité une question de
fond : l’Eglise catholique se recon­
naît­elle une responsabilité, en
tant qu’institution, dans les
violences sexuelles commises
par des clercs sur des enfants au
cours des dernières décennies?
Cette question est au cœur des
discussions des évêques français,

réunis à huis clos jusqu’à diman­
che. Elle se heurte, parmi eux, à
des objections. Au contraire, les
quatre victimes invitées à leurs
travaux font de la reconnaissance
de cette responsabilité de l’insti­
tution une question de principe.

« Indemnisation »
Il y a un an, les prélats avaient voté
le principe d’un « geste financier ».
C’est la traduction, dans les faits,
de cette décision de principe dont
il est aujourd’hui question. Il y a
quelques jours, le secrétaire géné­
ral de la CEF, Thierry Magnin,
avait parlé d’une « allocation de
reconnaissance financière » qui
« ne sera pas une indemnité » mais
plutôt « un forfait ». Ces acrobaties
lexicales ont hérissé les victimes
invitées à Lourdes. « Un geste fi­
nancier, c’est condescendant, on
ne demande pas la pitié! Une allo­
cation, c’est pour une prestation
sociale. On n’a pas besoin d’être as­
sisté! », résume par exemple
Véronique Garnier, 58 ans, agres­
sée par un prêtre de 13 à 15 ans.
Comme d’autres, elle plaide

depuis des mois pour que l’Eglise
verse une « indemnisation », liée
pour elle à la reconnaissance
d’une responsabilité. « La notion
de responsabilité de l’institution
est essentielle pour nous », insiste
Michel, un prêtre victime, dans
son enfance, d’un autre prêtre.
Jean­Luc Souveton, prêtre lui
aussi agressé dans sa jeunesse,
résume : « Il faut une indemnisa­
tion, qui marquerait de la part de
l’Eglise la reconnaissance de sa
responsabilité. Elle a couvert pour
étouffer. Derrière cela, il y a la
question de savoir si on va aller à
la racine de ce qui a permis les
abus. Le flou de la communication
est révélateur de divergences d’opi­
nion parmi les évêques. »
De fait, ces divergences sont per­
ceptibles. « L’Eglise est­elle coupa­
ble? On ne peut parler de culpabi­
lité, sinon elle doit être condam­
née. Une allocation ne doit pas si­
gnifier que l’Eglise est coupable »,
plaide ainsi Jean­Pierre Vuille­
min, évêque auxiliaire de Metz.
Philippe Marsset, évêque auxi­
liaire de Paris, insiste au contraire
sur une forme de reconnaissance
de responsabilité : « Il faut écouter
les victimes pour savoir ce qu’elles
nous disent. Et s’il y a compensa­
tion, allocation, reconnaissance


  • il faut trouver le mot juste –, il
    faut que les évêques soient les pre­
    miers cotisants au fonds qui
    l’abondera, les prêtres les deuxiè­
    mes, les diacres les troisièmes. »
    « Pour certains évêques, reconnaî­
    tre la responsabilité de l’institution
    est du domaine de l’insupporta­
    ble », analyse le père Souveton.


Commission Sauvé
La formulation finalement propo­
sée jeudi après­midi a été appré­
ciée comme un premier pas dans
le bon sens par les victimes pré­
sentes. « Je prends acte d’un vérita­
ble effort de leur part. Il y a dans
cette formule une reconnaissance
des deux facteurs de la souf­
france », à savoir l’agression et les
choix de l’institution, explique
Jean­Luc Souveton. « C’est une
bonne base, qui reconnaît les dys­
fonctionnements de l’Eglise, qui ex­
pliquent que cela a perduré et pris
autant d’ampleur », abonde le père
Michel. Mais les uns et les autres
avouent conserver une forte dose
de « prudence », voire de scepti­
cisme envers la volonté réelle des
évêques d’avancer. « On s’attaque
à l’Annapurna avec un cure­dent »,
résume Véronique Garnier.
Certains s’interrogent ainsi sur
les raisons pour lesquelles les

évêques souhaitent boucler le
dispositif financier en faveur des
victimes sans attendre les conclu­
sions de la Commission indépen­
dante sur les abus sexuels dans
l’Eglise (Ciase). Créée il y a un an
par les évêques, dirigée par le
vice­président du Conseil d’Etat,
Jean­Marc Sauvé, elle doit établir
un bilan des faits commis depuis
1950, évaluer leur gestion par
l’Eglise, les dispositions prises
depuis vingt ans, et faire des pré­
conisations au bénéfice des victi­
mes et de la prévention. Elle
rendra ses conclusions fin 2020
et, à l’évidence, la question des
réparations en fera partie.
Des victimes auraient préféré
que les évêques attendent les
préconisations de la Ciase avant
de concocter leur dispositif. « Ils
ont très peur des résultats de la
commission Sauvé », pense ainsi
Olivier Savignac, une victime pré­
sente à Lourdes en 2018. Du côté
de la CEF, on fait observer que
d’autres personnes concernées
pressent au contraire les évêques
d’agir vite. Le montant de la
somme proposée aux victimes ne
sera cependant pas décidé samedi.
Jeudi matin, Jean­Marc Sauvé est
venu rendre compte aux évêques
de l’avancée des travaux de sa
commission. Depuis le premier
appel, lancé en juin, 2 800 victi­
mes ont contacté la Ciase. Ce sont

majoritairement des hommes
(61 %). Une très large majorité
(86 %) étaient mineurs au
moment des faits : 34 % avaient
moins de 10 ans, 35 % entre 11 et
15 ans et 7 % de 15 à 17 ans. Parmi les
appelants, 32 % ont 70 ans et plus
et 50 % entre 50 et 69 ans. « La ma­
jorité des abus relatés se sont pro­
duits dans les années 1950, 1960 et
1970 », a relevé Jean­Marc Sauvé.
Le président de la Ciase consi­
dère que bien des victimes n’ont
pas (encore) pu ou voulu témoi­
gner. Pour tenter de les y aider, ses
membres se rendront prochaine­
ment dans plusieurs grandes
villes à la rencontre du public.
Jean­Marc Sauvé est convaincu
que « pour conduire des victimes à
parler, rien de mieux que des victi­
mes, à même de faire comprendre
que cela en vaut la peine ». A
chaque fois qu’une chaîne de télé­
vision diffuse un reportage leur
donnant la parole, témoigne­t­il,
la Ciase enregistre un regain d’ap­
pels le lendemain.
Aussi M. Sauvé est­il allé soute­
nir mardi le lancement d’une
chanson (Les Enfants du silence)
écrite par Olivier Savignac. Elle
témoigne de son histoire de jeune
garçon qui a subi les attouche­
ments d’un prêtre, et de celle
d’une femme, violée par un
prêtre à partir de l’âge de 8 ans.
« La musique peut contribuer à
une prise de conscience en rendant
sensible le traumatisme », fait
valoir le musicien. A la tête de l’as­
sociation Parler et revivre, ce
catholique poursuit le combat
dans l’institution. Il n’hésite pas à
intervenir auprès d’évêques dont
il conteste les choix. « C’est du
combat au corps à corps, diocèse
par diocèse. Rien n’est fini. On doit
toujours remettre les personnes
devant leurs responsabilités »,
affirme l’Aveyronnais.
cécile chambraud

« Une allocation,
c’est pour
une prestation
sociale.
On n’a pas besoin
d’être assisté! »
VÉRONIQUE GARNIER
victime d’un prêtre

Des mouvements prônent le changement
C’est une initiative inédite dans l’Eglise catholique. Des responsa-
bles laïcs d’importants mouvements d’Eglise ont décidé de s’unir
en faveur de changements dans l’institution. En leur nom, Domi-
nique Rouyer, secrétaire nationale du CCFD-Terre solidaire, et Em-
manuel Odin, de la Communauté de l’Emmanuel, ont présenté
leur initiative aux évêques réunis à Lourdes (Hautes-Pyrénées),
mercredi 6 novembre. Baptisée « Promesses d’Eglise », celle-ci est
née du « choc » des révélations sur les violences sexuelles. Les
mouvements qui la portent s’appuient sur la lettre du pape
François d’août 2018 sur les abus sexuels, qui appelait à mettre
un terme à la « culture du cléricalisme », et veulent travailler
autour de thèmes comme « l’égale dignité des baptisés », laïcs ou
clercs, « le rôle des femmes » et « la lutte contre les abus sexuels ».

La DGSI rompt son habituel silence


pour une campagne d’embauche


Le service de renseignement cherche 1 200 personnes d’ici à 2024.
Ses métiers se diversifient avec les nouvelles technologies

L


a direction générale de la
sécurité intérieure (DGSI)
recrute et elle tient à le faire
savoir. Longtemps « enfermé sur
ses mystères », comme le concède
un haut gradé au Monde, le presti­
gieux service de renseignement,
chef de file de la lutte antiterro­
riste, se lance pour la première
fois, en cet automne, dans une
campagne de recrutement. Et
pour cause, la DGSI doit étoffer
ses troupes – 4 500 personnes –
avec près de 1 200 embauches d’ici
à 2024. Or certains profils sont
désormais autant chassés par les
géants du Web que par les autres
services de renseignement.
Cette montée en puissance s’ins­
crit dans la lignée des plans d’em­
bauches mis en place durant le
quinquennat Hollande dans le
contexte des attentats de 2015,
puis du plan de renforcement des
forces de sécurité intérieure
annoncé par Emmanuel Macron
après son élection : 10 000 embau­
ches promises d’ici à 2022 – envi­
ron 2 500 pour les gendarmes et
7 500 pour les policiers. La DGSI,
qui reste avant tout une « maison
de police », puisera surtout dans le
quota de ces derniers.
Mais si les besoins en enquê­
teurs (chargés de la collecte du
renseignement) et en analystes
(chargés d’exploiter ces données)
sont grands, les métiers se diver­
sifient chaque année un peu plus.
Les nouvelles technologies pous­
sent la DGSI à chercher des spécia­
listes des systèmes d’informa­
tion, de la cybersécurité et du big
data (l’analyse informatisée de
gigantesques bases de données).
La menace s’étant internationa­
lisée, le service de renseignement
recherche également des traduc­
teurs dans des langues aussi
diverses que l’arabe, le persan, le

chinois, le russe ou certains
dialectes africains. A travers cette
campagne de recrutement, la
DGSI cherche par ailleurs à élargir
son « vivier ». « On a besoin d’avoir
le choix le plus large possible »,
résume­t­on à la direction, où l’on
prépare une vidéo pour expliquer
les activités de l’institution et une
campagne de communication.
« Nous ne cherchons pas que des
ingénieurs surdiplômés, on em­
bauche aussi des techniciens, des
administratifs. C’est la personne
qui compte le plus », explique au
Monde un membre des ressour­
ces humaines, soucieux de casser
l’image d’élitisme qui colle à la
peau du service. Ces derniers
mois, la DGSI a noué des liens
avec deux écoles d’ingénieurs en
informatique, l’Epita et l’Esiea.
D’ici à la fin de l’année, elle a aussi
un projet de convention avec des
structures universitaires.
Si le mystère et la fascination
qui entourent ses activités
peuvent être des leviers d’attracti­
vité, la DGSI sait que la lourdeur
de son recrutement peut être un
frein : huit à dix mois qui incluent
une enquête de sécurité poussée
ainsi qu’une évaluation psycholo­
gique. En raison des craintes d’in­
filtration par un service étranger,
à de rares exceptions près, seuls
des candidats ayant la nationalité

française ou binationaux peu­
vent, en outre, être retenus.
Côté personnalité, la DGSI
recherche pour ses rangs des
« personnes compétentes, moti­
vées, passionnées par ce qu’elles
font ». « On veut des candidats qui
sont “bien dans leur tête”, souligne
un membre de la direction. On ne
recrute pas James Bond mais des
gens stables. » « On retient avant
tout des gens qui ont une volonté
de servir leur pays, notre mission
première étant de protéger les
Français », ajoute­t­il.

Maillage territorial
Autre frein à l’embauche pour la
DGSI, surtout pour les métiers liés
aux nouvelles technologies : les
salaires. L’institution n’a pas tou­
jours les moyens des multinatio­
nales pour attirer les plus aguerris.
Sur le début de carrière, la DGSI as­
sure toutefois avoir les moyens de
s’aligner. Auprès des nouvelles re­
crues, elle valorise donc la « qualité
de vie », les avantages de la fonc­
tion publique ou le nombre de
semaines de vacances, que ce soit
au siège à Levallois­Perret (Hauts­
de­Seine) où travaillent 50 % des
effectifs, ou en région, avec l’im­
portant maillage territorial.
Si elle assure recevoir beaucoup
de candidatures spontanées,
notamment via son nouveau
compte LinkedIn ouvert en sep­
tembre, la DGSI reconnaît avoir un
certain retard à rattraper en ter­
mes de communication. Difficile
de rivaliser dans ce domaine avec
les « cousins » de la direction géné­
rale de la sécurité extérieure, qui
bénéficient notamment de l’im­
pact de la série télévisée Le Bureau
des légendes, formidable outil de
recrutement à peu de frais.
nicolas chapuis
et élise vincent

La lourdeur
du recrutement
de la DGSI peut
être un frein : huit
à dix mois, avec
une enquête de
sécurité poussée

Photo Mi

chel Gibert, non cont ractuelle.

PARIS 3e•PARIS 7e•PARIS 12 e•PARIS 14 e•PARIS 17 e•ATHIS-MONS•COIGNIÈRES •HERBLAY /MONTIGNY-LÈS-C.(1)
ORGEVAL •SAINTE-GENEVIÈVE-DES-BOIS •SAINT-MAXIMIN •SURESNES •VAL D’EUROPEC.CIAL/ SERRIS•VERSAILLES.
(1) Magasin franchiséindépendant. Liste desmagasins RocheBoboisde France participantà l’opérationsurwww.roche-bobois.com
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