Le Monde - 09.11.2019

(Greg DeLong) #1

surTwiTTer,l’humoursanslimiTe de “The irishBorder”.


Unefrontièrevivanteet sarcastique, surtoutàl’encontredeBoris Johnson...


LesMonty Python n’auraientpas reniélecompte@BorderIrishqui s’exprime


surleBrexitaunomde la ligne, presqueinvisible, quisépareles deux Irlandes.


TexteJulien MarsaulT


“C’est unesorte deCatharsis.”
Commedesmilliersd’autresinternautes,Katy
Hayward,professeuredesociologieàla
Queen’s UniversitydeBelfast,sedélecte
chaquejourdessailliesducompteTwitter
@BorderIrish. Crééenfévrier 2018 ,celui-ci
donneunevoixhumaineaux 49 9kilomètres
quiformentlafrontièreirlandaise:uneinfra-
structuregéographiqueinvisible,sourced’ef-
froyablesmauxdetêteàWestminstercomme
àBruxelles.Carc’estévidemmentenréaction
aucasse-têteduBrexit quececompte, désor-
mais suiviparplusde100 000personnes
dont le premier ministreirlandais,Leo
Varadkar,aétécrééenfévrier 20 18.
Àchaquepéripétie, la frontièreyvadeson
Tweetmoqueur.Le19octobre, alorsque le
premier ministrebritanniquesembleréticent
àdemanderundélai supplémentaireàl’Union
européenne:«Tuveux quejetel’écrive, ta
petite lettre,Boris?»Oulorsdel’annonce
récented’unepossiblefrontièreenmer
d’Irlande, @BorderIrishdeposterunmontage
d’uneétendued’herbeaccompagnéede...
brassardsaubordd’une piscine.Symbolisant
parl’absurdela complexitéàmettreenœuvre
unetelle décision.Lecomptesatiriquevient
mêmedevoirsaproserassembléesous la
formed’unlivre,IAmthe Border,SoIAm(aux
éditionsHarperCollins),paru ce 31 octobre,
joursupposédela miseenœuvreduBrexit,
désormaisreportéeau31janvier2020.
Depuis l’accorddepaix de 1998 ,nisoldatni
postede douanepoursurveiller la frontière
entrel’Irlande duNordetla République
d’Irlande. Chacunlatraversedésormais
commebonluisemble,pourserendre autra-
vail ouallerfaire sescourses.Maislamenace
d’unBrexit duroud’un«no deal »atoutbou-
leversé, ravivantlessouvenirsdelaguerre


civile. Bonnombred’habitants de l’île
d’Émeraude,notammentceuxvivantprèsde
la frontière,sesontsentisjusqu’ici ignorés,
voireméprisés,parle pouvoirbritannique.
Commes’ilétait possible detrouverune
solutionmagiquedujouraulendemainou,
toutsimplement, defairel’impassesurle
problème.C’est decettemanièrequ’a
longtempsétéperçuelafrontièreirlandaise:
«anelephant in th eroom»(« unéléphant
dans la pièce»). Unemétaphoreanglaise
pourdécrirequelquechose d’évident,
mais quel’onrefusedevoir.
Lecréateuranonymeducompte
@BorderIrishadonc décidé deluidonnerune
âme,s’inspirant decomptesTwittercomme
celuidela rivièrenéo-zélandaiseWhanganui,
quis’est vueaccorder,enmars2 01 7, le statut
légaldepersonnalitéjuridique.Touràtour, la
frontièreirlandaiseprend laformed’un
pachyderme oud’uneétendued’herbeàla
personnalitébien trempéeetaudiscours
teintéd’expressionstypiquementirlandaises.
Tr èsvite,@BorderIrisharéussiàmaîtriser
lescodeset lerythmedeTwitter:créant
d’ingénieuxjeuxdemots,dialoguesetméta-
phoresen 28 0caractères, souventponctués
de délicieusesallitérations.Comme lorsqu’il
répondait(encore)àunTweet deBoris
Johnsoninsistant surunesortie le
31 octobre:«Yer bum’saplum!»(« Toncul
estune prune!»,expressionnord-irlandaise
poursignifierquesoninterlocuteurraconte
n’importequoi).TheGuardianad’ailleurs
comparésaplumeàunmélange deréfé-
rencesdela cultureanglaisequesontFather
Ted, lesMontyPython ouOscarWilde.Malgré
le succèsdesacréation,l’homme,qui a
réponduànosquestionsparmail, souhaite
resterdans l’ombre, partimiditémaisaussi
parsouciartistique :«Sitoutlemondesavait
quij’étais, la ficti on serait brisée.»

Sanscesse,@BorderIrishrappelle avecsar-
casmelespolitiquesàlaraison, et notamment
lesbrexiters,souvent promptsàdéformer la
réalité. Soncréateurvoitainsi dans l’humourun
moyend’apaiserla colère,deridiculiserles
idéesdesesopposants mais aussidecréerde
la solidarité, d’éduquer etd’informer :«Jene
sais pas si j’ yparvi ens, mais c’estceque je peux
espérerde mieux. Et même si cela ne touche
réellement qu’une personne de tempsen
temps.»@BorderIrishpermetaussiàcertains
journalistesetdiplomatesdesortir ducadre
dessempiternellesexplications,négociations
et suppositionsgéopolitiques.«J’interagisavec
eux et discutemêmeparfois avec certains en
privé.Ilsapprécientlef aitdepouvo ir rir edeleur
travail, carçadoitêtretrès éprouvantd’être
impliquédans le Brexit au quotidien.»
«@BorderIrish réagittoujour srapidement à
l’actualité, avec intellige nce et humour. C’est
unecontribution bienvenue,estimeKaty
Hayward,quifaitpartiedecesintellectuels
bien décidésàoffrirunregardjusteetéclairé
surlesconséquencesduBrexit.C’estaussi
unemanière très irlandaise de répondre à
quelquechose quinoustouche
profondément.»
Si@BorderIrishest aussiintarissablesurle
sujet, c’estsurtout parceque l’hommesaitde
quoiil parle. Commecelui-ciledévoilait dans
unentretien accordéaumagazineUsbek
&Ricaen 20 18 ,«laseulechose queje peux
direc’est ce queje vissur l’îleetque je suis
irlandais. J’ai vécu les“Troubl es”[lapériode
deguerrecivilequis’estterminéeavecl’ac-
corddepaix de 19 98]et c’estquelque chose
d’importantpourmoi.»Unétatd’esprit par-
tagépardesdizainesdemilliersd’autres
citoyens de l’île, encoreincertainsdel’avenir
quileurseraréservéàl’issue desprochaines
électionslégislativesbritanniquesdu
12 décembre.

LecompteTwitter
@BorderIrish
représente la
frontière nord-
irlandaise comme
un éléphant que
personne neveut
voir ou comme
une étendue
d’herbe en
apparence
inoffensivequi
menace de
dévorer Boris
Johnson.

24


Captures d’écran du compte @BorderIrish sur

Tw

itter

lasemaine
Free download pdf