Libération - 06.11.2019

(Marcin) #1
«Je veux les meilleures, celles
qui sont mûres et qui ont de
beaux corps. Celles qu’on peut
contrôler, pas celles qui cau-
sent des problèmes.» Voici les
mots de Stanley Omoregie,
un pasteur trentenaire ac-
cusé d’être la clé de voûte
d’un réseau de proxé­nétisme
aggravé et de traite d’êtres
humains, qui comparaît à
partir de ce mercredi à Lyon
avec 22 autres prévenus, pour
la plupart nigérians et âgés
de 24 à 58 ans. Autre figure
du réseau démantelé en 2017,
la proxénète Jessica Edo-
somwan est recherchée. «Cel-
les qu’on peut contrôler», ce
sont les 17 victimes nigé­-
rianes qui se portent parties
civiles. Plusieurs d’entre elles
sont mineures. Sur les trot-
toirs de Lyon, Montpellier et
Nîmes, l’exploitation de jeu-
nes femmes nigérianes rap-
portait jusqu’à 150 000 euros
par mois.
Cette affaire reflète le mode
opératoire bien rodé du trafic
entre le Nigeria et l’Europe.
Les jeunes femmes, très vul-
nérables, sont recrutées dans
la ville de Benin City, rongée
par le chômage. «Ma mère
était très malade et nous

n’avions plus d’argent, alors
une amie à elle m’a dit de ve-
nir en Europe pour mieux ga-
gner ma vie», témoigne Emy,
arrivée en France à 16 ans.
Comme les autres victimes
de ce procès,
elle est passée
par l’enfer des
camps en Libye, puis par
l’Italie. Certaines savaient
qu’elles venaient pour se
prostituer, sans connaître les
conditions de vie qui les at-
tendaient. D’autres l’igno-
raient. «Au pays, la “mama”
m’a promis que j’allais faire
des études et travailler au
marché pour les payer, confie
Emy. Nous, on ne sait rien sur
l’Europe, donc on y croit.»
Grande absente du procès, au
cours duquel elle sera quand
même jugée, Jessica Edosom-
wan est présentée comme
une «mama en pleine expan-
sion» dans l’ordonnance de
renvoi. Cette Nigériane de
26 ans est la fugitive la plus
recherchée de France, comme
le dévoile la liste des 21 «most
wanted criminals» d’Europol.
Les «mamas» sont des per-
sonnes clés dans l’organisa-
tion du trafic sexuel. Entre
protection et coercition, elles

surveillent les jeunes femmes
et maintiennent une emprise
psychologique renforcée par
le rituel vaudou du «juju» :
lors d’une cérémonie, les vic-
times promettent d’obéir à
leur «mama»,
de ne pas s’en-
fuir et, surtout,
de rembourser la dette de di-
zaines de milliers d’euros
contractée pour payer leur
voyage. Une somme énorme
pour ces femmes sans papiers
ni ressources, et qui ont en
plus d’autres frais sur place :
la place de trottoir, l’héberge-
ment, la nourriture. «Casser le
serment est compliqué, elles
craignent une malédiction
ou des représailles pour leur
famille, souligne Hélène de
Rugy, présidente de l’associa-
tion l’Amicale du nid, qui se
porte partie civile.
Si 17 femmes se présentent à
la barre, des milliers d’autres
sont les victimes invisibles
d’un trafic en expansion. Pré-
gnant depuis une vingtaine
d’années en France, le proxé-
nétisme nigérian a pris le pas
sur les réseaux de Chine
ou d’Europe de l’Est. Mieux
structuré, il exploite des victi-
mes toujours plus jeunes.

«Peu d’entre elles parviennent
à dénoncer leur proxénète et
porter plainte. L’une d’elles
m’a dit : ”Je serais morte si
j’étais restée”», dit Hélène de
Rugy. Mais parler ne suffit
pas à sortir de l’engrenage. En
situation irrégulière, sans
possibilité d’emploi, bon
nombre de victimes demeu-
rent dans la précarité. «Après
avoir témoigné, elles de-
vraient obtenir un titre de sé-
jour, mais souvent les démar-
ches traînent et elles restent
sans moyens pour subsister»,
continue-t-elle. «La lutte
­contre la traite a toujours été
associée à des enjeux de lutte
contre l’immigration clandes-
tine. Il faut aussi questionner
les politiques qui limitent la
circulation des personnes et
génèrent la précarité», note
Milena Jakšić, auteure de la
Traite des êtres humains en
France.
En mai 2018, lors d’un procès
d’une ampleur inédite à Paris,
de sévères condamnations
avaient été requises contre la
cheffe du réseau des Authen-
tic Sisters, Mama Alicia. Les
15 prévenus avaient écopé de
deux ans à dix ans de prison.
Alexandra Pichard

Proxénétisme nigérian à Lyon :


«Je serais morte, si j’étais restée»


à la barre


1,8 million


C’est le nombre de télétravailleurs en France,


soit 7 % des salariés, selon une étude de la


­direction des statistiques du ministère du


­Travail (Dares) dévoilée lundi soir. Une forme


de travail qui concerne surtout les cadres, puis-


qu’en 2017, 11 % d’entre eux la pratiquaient de


­manière régulière (au moins un jour par semaine),


contre 3 % pour l’ensemble des salariés. Ces chif-


fres sont faibles et n’ont pas «explosé» depuis 2002,


année où l’on a commencé à mesurer un essor


rendu possible par le développement des techno-


logies de l’information et de la communication.


L’étude en note les bienfaits : une organisation


du cadre de travail – et de vie – plus flexible et


des temps de trajet réduits à néant. Mais elle


pointe aussi le fait que les télétravailleurs, du fait


d’une certaine «désynchronisation», ont tendance


«à pratiquer des horaires de travail plus longs et


atypiques». En 2017, 43 heures hebdomadaires


pour les cadres qui télétravaillent un jour par se-


maine, contre 42,4 heures pour les autres. Les «in-


tensifs» déclarent, eux, «travailler plus de 50 heu-


res par ­semaine deux fois plus souvent». Ce qui les


amène à se dire «ni plus ni moins satisfaits de leur


travail», selon la Dares, qui pointe un isolement


accru et des «risques psychosociaux aggravés».


Rétropédalage? Le Parquet
national financier (PNF) a
demandé à la justice britan-
nique un report de l’au-
dience, prévue en décembre,
afin de statuer sur le mandat
d’arrêt européen délivré con-
tre l’intermédiaire franco-al-
gérien Alexandre Djouhri. Au
motif que «l’affaire soulève
une question de droit nou-
velle, complexe et impor-
tante», elle pourrait être re-
portée à mars 2020. Ce jeu
du chat et de la souris dure
depuis l’arrestation de
Djouhri en janvier 2018 à
Londres, après une demande
de la justice française dans
le cadre de l’enquête sur
d’éventuels financements
­libyens de la sarkozie.
Dans le genre «attrape-moi si
tu peux», Alexandre Djouhri,


né en France, désormais
­résident suisse, et titulaire
d’un passeport algérien,
est un orfèvre, d’autant
que la justice hexagonale
­paraît prendre un malin
­plaisir à cumuler les vices
de forme. Son domicile gene-
vois est connu : le juge d’ins-
truction Serge Tournaire y
a assisté personnellement
à une perquisition, en
mars 2015. Mais au lieu de
convoquer Djouhri par écrit
à son adresse, les enquêteurs
français se sont contentés
de le contacter par SMS, puis
par un coup de téléphone,
des procé­dures peu correc-
tes. Avant de lancer subi­-
tement un mandat d’arrêt
européen fin 2017. Les Suis-
ses ne souhaitant pas l’exé-
cuter, c’est au Royaume-Uni,

où il était alors en visite, qu’il
a été ­interpellé, incarcéré
deux mois, puis assigné à
­résidence.
Pourquoi autant de bourdes
procédurales avant d’avouer
que l’affaire est «complexe»?
Un mandat d’arrêt doit être
motivé par un risque de fuite
ou un danger imminent, des
conditions que le PNF peine
à démontrer. L’objectif des
Français ­paraissait clair :
­incarcérer Djouhri après son
audition. Cela transparaît
dans leur demande transmise
outre-Manche, où ils vantent
les mérites de la section hos­-
pitalière de la prison de
­Fresnes. «Ils ne veulent pas
­m’interroger mais me punir»,
fulmine Djouhri.
C’est peu dire que l’homme
fait débat. Il se présente

comme un «investisseur»,
quand ses détracteurs le
­décrivent comme un parasite
des affaires, dans les petits
papiers de la chiraquie
puis de la sarkozie. Mais dé-
sormais blacklisté en macro-
nie. Dans le dossier libyen,
son ombre apparaît dans
deux sous-volets, sans lien
avec la campagne de Nicolas
Sarkozy : la revente à prix
d’or de deux tableaux de
Claude Guéant et la cession
d’une villa de Mougins à la
Libye. Avec, à chaque fois,
une myriade de sociétés
­offshore : tout l’enjeu de l’en-
quête est de vérifier s’il en se-
rait l’ayant droit, le bénéfi-
ciaire économique, le chef
d’orchestre clandestin ou au-
cun des trois.
Renaud Lecadre

Le jeu du chat et du Djouhri


Jacques Bally
Président des guides
Gault et Millau

Fini la trouille de la tambouille, les casseroles brûlantes
­jetées dans la presse, la peur permanente du déclassement
et de la chute consécutive du chiffre d’affaires. Dix des prin-
cipaux chefs cuisiniers français ont été déclarés hors
­concours par le guide gastronomique du Gault et Millau,
qui fêtait lundi ses 50 ans. Ducasse, Gagnaire, Passard,
­Savoy et Veyrat rejoignent une «académie» des «toques
d’or» qui échapperont à la notation annuelle. Pour la méri-
ter, les impétrants doivent avoir obtenu, durant au
moins trente ans, au moins 17/20, quatre ou cinq toques
(des étoiles), et prendre encore une part active dans leur(s)
restaurant(s).

«Les grands chefs ne sont pas


des robots ou une intelligence


artificielle. Les sinusoïdes


de leur cuisine sont le reflet


de leur humanité.»


Quatre experts se penchent sur
le projet de la future gare du Nord
Faisant suite à un ­accord conclu entre la
ville de Paris et la SNCF sur un examen de réaménagement de
l’édifice, deux ­architectes, un urbaniste et un économiste ont
été missionnés par la municipalité afin de proposer des amé-
liorations. La nomination entend mettre fin à la crise déclen-
chée après la publication d’une tribune virulente d’architectes
et historiens de l’art début septembre. Photo Lucile Boiron

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