Libération - 06.11.2019

(Marcin) #1

A


nnoncées au printemps,
présentées à l’automne,
adoptées pour certaines
avant la fin de l’année : l’exécutif dé-
voilera officiellement, ce mercredi,
une série d’initiatives visant à ré-
duire le nombre de demandes d’asile
et à favoriser l’immigration profes-
sionnelle par la voie des quotas. Un
comité interministériel présidé par
Edouard Philippe doit entériner
dans la matinée ce plan de vingt me-
sures, toutefois communiquées dès
lundi soir à plusieurs parlementai-
res de la majorité, convoqués à Mati-
gnon. Instauration de quotas profes-
sionnels, restriction de l’accès des
demandeurs d’asile à la couverture
maladie, «redéploiement» de l’aide
publique au développement figu-
rent parmi les principales décisions
du gouvernement (lire ci-contre),
dont certaines modalités doivent
encore être détaillées.

Furieux débat
«Affronter sans fausse pudeur» les
défis de la «pression migratoire» :
posés en juin par Edouard Philippe,
l’objectif a donné lieu, à la rentrée,
à un furieux débat autour et à l’inté-
rieur de la majorité. Nourrissant le
procès en droitisation d’un exécutif
qui se juge, lui, fort légitime à com-

bler les «failles» du système d’ac-
cueil. «Quand j’arrive en 2017, les
chiffres sont épouvantables sur l’effi-
cacité des politiques de retour», s’est
récemment désolé Emmanuel Ma-
cron dans un entretien au très droi-
tier magazine Valeurs actuelles,
choix qui, jusque dans son camp, a
entretenu les interrogations. Ces
nouvelles mesures sont loin de ré-
pondre aux objectifs du gouverne-
ment. «En France, on est presque au
maximum de ce qu’on peut faire, ju-
geait, à la rentrée, un député de la
majorité. Les réponses sont à cher-
cher au niveau européen», dans une
réforme de l’espace Schengen et
des procédures dites «Dublin».
A l’échelle nationale, le Conseil
d’Etat planche depuis l’été, et jus-
qu’en mars 2020, sur une réforme du
traitement des demandes d’asile,
que le Premier ministre souhaite
simplifier et accélérer. Soutenue par
les chefs du parti et du groupe
LREM à l’Assemblée, Stanislas Gue-
rini et Gilles Le Gendre, l’installa-
tion au gouvernement d’un haut
commissaire à l’immigration est
écartée dans l’immédiat. Déjà flan-
qué du secrétaire d’Etat Laurent Nu-
ñez, le ministre de l’Intérieur, Chris-
tophe Castaner, se serait démené
pour empêcher ce nouvel empiéte-
ment sur ses compétences.
Mardi, la future création de quotas
professionnels, censés pourvoir les
secteurs économiques en mal de

main-d’œuvre, faisait recette à
droite, où le secrétaire général de
Les Républicains, Aurélien Pradié,
a salué cette «idée que nous défen-
dons depuis de nombreuses années».
Même l’eurodéputé EE-LV Yannick
Jadot y a vu un principe intéres-
sant, car susceptible de «montrer
que l’immigration est aussi une
chance pour notre pays». Mais le se-
crétaire général de la CFDT, Laurent
Berger, a jugé l’idée «choquante» et
sans «intérêt». Au gouvernement,
on se dit «surpris» par la réaction du
patron de la CFDT, mais on s’inter-
dit tout commentaire officiel. «Sur
ce sujet, il participe à la surenchère
verbale, c’est regrettable», confie
toutefois un conseiller ministériel.

Tentative de diversion
A gauche, beaucoup dénoncent un
débat nauséabond, entretenu pour
des raisons électorales. Matignon se
désole de ces accusations : «Quand
on parle d’immigration, on nous ac-
cuse de faire grossir le RN ; quand on
n’en parle pas, on nous fait le même
procès.» Les mesures présentées ce
mercredi par Edouard Philippe sont
jugées «équilibrées» à Matignon :
«On préserve l’AME, on augmente le
flux de l’immigration profession-
nelle, tout le contraire de ce que
prône la droite.» De fait, le vice-pré-
sident de LR, Guillaume Peltier,
pointait mardi les insuffisances
d’une politique qui ne dit «rien sur

la réforme de l’AME, rien sur l’expul-
sion des clandestins et des déboutés
du droit d’asile».
Une politique équilibrée? Ils sont
quelques-uns, même dans la majo-
rité, à ne pas s’en laisser convaincre.
Et à soupçonner de tentative de di-
version un gouvernement confronté
à de multiples foyers sociaux, sou-
cieux de capter l’électorat droitier à
l’approche d’élections locales, et
suspecté de préparer son face-à-face
dans les urnes avec le RN. L’empres-
sement à traiter le sujet migratoire
interroge la députée LREM Claire
Pitollat : «On est dans une précipita-
tion qui n’est pas satisfaisante. En
août, on nous annonçait une période
de concertation avec le gouverne-
ment. Il y a eu un débat imprécis à
l’Assemblée le 7 octobre, puis on nous
a annoncé il y a deux semaines que
les annonces seraient faites le 4 no-
vembre, et examinées aussitôt après
dans l’hémicycle. Sur la forme, on ne
peut pas se satisfaire de cela.»•

Par
Dominique Albertini
et Alain Auffray

éditorial


Par
LAURENT JOFFRIN


Droits


amputés


Durcir sans trop choquer :
on devine que tel était le
mot d’ordre implicite qui a
présidé aux mesures nou-
velles annoncées par le
gouvernement en matière
d’immigration. Ainsi ces
dispositions ne touchent
pas, ou peu, à deux piliers
du système français que
sont le droit d’asile et la
possibilité pour les deman-
deurs et les sans-papiers de
se faire soigner, grâce aux
dispositifs appelés Puma
pour les premiers et AME
pour les seconds. Le dur-
cissement est néanmoins
patent, symbolisé par une
nouvelle règle franche-
ment choquante : le délai
de carence de trois mois
exigé aux demandeurs
d’asile avant qu’ils puissent
accéder aux soins. On com-
prend qu’il faut s’efforcer
de limiter les abus, dont on
rend responsables, entre
autres, les postulants ve-
nant de Géorgie ou d’Alba-
nie. Mais comme souvent
dans cette circonstance,
on pénalisera non les seuls
«touristes médicaux» (dont
le nombre demande à être
évalué), mais l’ensemble
des candidats à l’asile, qui
voient leurs droits soudain
amputés alors qu’ils ne
sont responsables d’aucun
abus. Avec les risques pour
la santé qui s’attachent à
cette restriction. On vise
une minorité, on pénalise
la majorité. Plus nuancé,
en revanche, est le juge-
ment qu’on peut porter sur
l’instauration de quotas
(on parle aussi «d’objec-
tifs»). Le principe existe
déjà : il est réaffirmé et mis
à jour. Il implique, comme
le dit Yannick Jadot, une
reconnaissance de l’utilité
de l’immigration pour
l’économie (pour certains
secteurs en tout cas). Mais
il peut déboucher, comme
en Australie, sur un féroce
durcissement des procédu-
res d’expulsion. Ou bien or-
ganiser plus efficacement
l’accueil de la
main-d’œuvre étrangère.
Le diable est dans les me-
sures d’application... Au to-
tal, l’affaire est surtout po-
litique. Il s’agissait de
tendre quelques perches à
l’électorat de droite. Sous
cet angle, le macronisme
est dans la continuité...•


Événement


IMMIGRATION

Un équilibre

aux frontières

floues

Le Premier ministre, Edouard Philippe, doit


annoncer ce mercredi des mesures pour limiter les


demandes d’asile. Une partie de la majorité dénonce


une stratégie lourde d’arrière-pensées politiques.


2 u Libération Mercredi 6 Novembre 2019

Free download pdf