Libération - 06.11.2019

(Marcin) #1
cronien sinon macroniste – l’entre-
prise de reconstitution historique à
usage privé dirigée par Guillaume
Canet n’offrant pas pour rien, à no-
tre vieillard à col pelle à tarte, un
flash-back transi vers la belle épo-
que où un jeune ministre de l’Eco-
nomie s’apprêtait à devenir prési-
dent de la République.

Alter ego. En 1974, au moins, nul
gilet jaune ne battait le pavé une de-
mi-seconde sur la télé du salon de
Daniel Auteuil – petit symptôme in-
terchangeable de notre temps,
choisi au hasard par le film entre
deux tablettes tactiles et un masque
de réalité virtuelle, selon la logique
générale de reconstitution ici à
l’œuvre, qui fonctionne par signes
extérieurs d’historicité sur la time-
line des changements de décor.
Charmant détail qui ne serait que de
droite, si le film n’était pas bien plus
rusé que ça (sur le mode comique
«ni de droite ni de gauche» préféré
des Français de Neuilly). Sa rouerie,

visionnaire à en croire la presse néo-
centriste, consiste à se moquer de sa
propre nostalgie, pour mieux nous
faire avaler en douce l’amour éter-
nel du présent continu, fringant et
victorieux sous toutes ses perru-
ques. Mais «le cinéma» n’est-il pas
là pour ça? Les Voyageurs du temps,
la start-up de mises en scène tenue
par Canet – ici alter ego d’un auteur
qu’on ne présente pas (note pour les
lecteurs de 2064 : Nicolas Bedos
était un couteau suisse français) –
reflète bien sûr l’entreprise du film
entier, qui nous vend du rêve et de
la magie à prix d’or – en un mélange

si attendrissant de cynisme et de
passion qui se donne comme la re-
cette du grand art – pour nous lais-
ser rentrer chez nous entièrement
réconciliés avec la vie. Non sans ce
petit bonus que représente l’im-
pression d’avoir sucé pendant
deux heures l’«énorme bite humide»
du metteur en scène, qu’une jolie
jeune fille nous promettait au début
du film, les yeux brillants. J’adore ta
bite, c’est une vraie?

Métaphore. «Tout est vrai», ré-
pondait d’ailleurs le figurant dé-
foncé, transformant la réplique

culte d’un film de... 1974 (Femmes
Femmes de Vecchiali) en maxime
frime d’un film d’époque (la nôtre,
décidément) qui ne fera peut-être
pas date. Voilà donc pour l’amour
du présent, dont on nous débite la
lourde métaphore là où l’amour de
Fanny Ardant, qui reste une évi-
dence plus simple, même à travers
les yeux embrumés de Daniel Au-
teuil, aurait suffi.
Luc Chessel

La Belle Epoque
de Nicolas Bedos
avec Fanny Ardant... 1 h 55.

A


ucune reconnais-
sance du ventre. In-
sensibles au fait que
ses Godzilla, 2012 et autre
Jour d’après ont généré
plus de 1,2 milliard de dol-
lars, les studios ont tous
poliment décliné le dernier
projet de Roland Emme-
rich. Qui se retrouve sou-
dain aux commandes du
film indépendant le plus
cher de l’histoire (selon Va-
riety). Obligé de se serrer la
ceinture afin de réaliser ce
Midway qu’il a dans les car-
tons depuis les années 90,
le cinéaste a dû contenir la
facture à une centaine de
millions de dollars, réunis
en prévente et auprès d’in-
vestisseurs internationaux


  • quelque 24 millions pro-
    venant de Chine, ce qui ne
    manque pas de piquant


pour un film qui souligne
régulièrement les crimes
de guerre commis par l’ar-
mée japonaise.
On pourrait pousser le bou-
chon un peu plus loin et
dire qu’il y a bien un style
Emmerich, auteur d’un ci-
néma pompier, binaire, bas
du front. La nouvelle ma-
chinerie du collapsologue
en chef de Hollywood s’ou-
vre sur le traumatisme de
Pearl Harbor et ­converge
vers une bataille clé de la
guerre dans le Pacifique,
autour de l’atoll de Midway,
où l’armée américaine est
parvenue à surmonter la
supériorité navale japo-
naise en lui tendant un
piège. Lavant ainsi l’affront
subi en décembre 1941.
Si dans les faits on assiste
bien à deux heures de raids

en piqué sous les déluges
de métal en fusion de la
DCA, on n’est pas tout à fait
persuadé que Midway
constitue pour autant un
film de guerre. Plus que les
combats, ce qui ressort de
ce spectacle tonitruant,
c’est le goût immodéré du
cinéaste à mettre en scène
une humanité (ici résumée
à l’Amérique blanche) qui
«fait corps», se dresse

comme un seul homme
contre un ennemi absolu.
Jadis les extraterrestres
d’Independence Day, au-
jourd’hui les «Japs», que
seule la flotte de l’amiral
Nimitz empêche de raser
Los Angeles et San Fran-
cisco.
Accro au sacrifice, Emme-
rich se complaît dans une
exaltation de la bravoure
suicidaire, à tel point que

chaque personnage se voit
doté de sa propre guerre
personnelle : contre le
zona, contre l’intoxication
pulmonaire, contre la peur.
Chacun souffrant sa Pas-
sion pour le salut de l’hu-
manité tout entière. Il y a
d’ailleurs quelque chose de
piquant à voir Emmerich
mettre en scène son propre
désir de rejoindre l’équipe
sur le terrain lorsqu’il re-

«La Belle Epoque»,


nostalgie en toc


«J’


adore tes cheveux, c’est
des vrais ?» demande
Daniel Auteuil, défoncé
et plus vieux que jamais, à un figu-
rant complètement raide, dans une
reconstitution des années 70 où il
revit ses 20 ans en boucle. C’est la
seule réplique drôle du film. Qu’on
se rassure, le reste est aussi ringard,
mais pour d’autres raisons, moins
légères : et si la Belle Epoque est le
dernier spécimen de la ringardise
structurelle du cinéma français, il
prétend en plus, à chaque seconde,
nous faire la théorie de celle-ci, et sa
critique, pour nous refourguer bien
sûr à la fin son discret éloge. Une
ringardise portée au carré, inlassa-
blement mise en abyme, et qui a
quelque chose de délicatement ma-

Nicolas Bedos signe
une satire lourdingue
et roublarde sur un
homme à la poursuite
de sa jeunesse perdue.

présente le propagandiste
John Ford en tête brûlée
qui défie les Zero japonais
avec sa caméra plutôt que
de se planquer dans un
bunker. Une martyrologie
certes revancharde (on ne
compte plus les «ça, c’est
pour Pearl !») mais parta-
gée des deux côtés du
front, l’armée impériale
brillant également par son
sens de la mise à mort
«pour l’honneur», ce qui
évite probablement au film
de tomber dans le racisme
le plus putride. A ceux qui
auraient besoin de leur
dose de spectaculaire pa-
triotique, on conseillera le
réel selon John Ford, dont
la Bataille de Midway (dis-
ponible sur Netflix) a le
mérite de ne durer que dix-
huit minutes.
Marius Chapuis

Midway de Roland
Emmerich avec
Ed Skrein, Patrick Wilson,
Woody Harrelson...
2 h 19 (3 h 30 ressenties).

La guerre du Pacifique passée à la toile Emmerich


Sans l’appui des studios, le cinéaste
produit et réalise «Midway», un film
pompier qui exalte le patriotisme,
la bravoure et le sens du sacrifice.

Japon versus Etats-Unis, la revanche de Pearl Harbor. Metropolitan FilmExport

Cinéma/


Grâce à une start-up, Daniel Auteuil se replonge dans l’illusion des années 70. Pathé. Orange Studio

28 u Libération Mercredi 6 Novembre 2019

Free download pdf