Libération - 06.11.2019

(Marcin) #1

Coup franc


Olivier Rouyer Consultant à la télé, l’ancien ailier


international fustige l’homophobie dans le football


français, avec entrain et fermeté.


Par Gilles Renault
Photo remy artiges

tompe au profit de la prise de risque. Mon plaisir demeure in-
tact et je ressens toujours cette même joie, comme hier soir à
Rotterdam, à renifler la pelouse, passer une tête dans le ves-
tiaire et croiser des collègues journalistes.»
Du joueur au consultant, mêmement enthousiastes, il manque
cependant un court chapitre, en forme de caillou dans le sou-
lier, dans le parcours sportif du dorénavant sexagénaire : une
carrière d’entraîneur circonscrite, dans les années 90, à un bail
de trois ans à Nancy, plus quelques mois en Suisse, à Sion. Et
basta. D’où ce goût d’inachevé, amplifié par l’intime conviction
qu’il a dû y avoir, selon l’ancien attaquant, un vilain manque
de fair-play de la part de certains présidents, refroidis en raison
de son «orientation sexuelle» qui aurait risqué de nuire à la sé-
rénité du groupe à coacher! Il s’agit en effet d’un secret de Poli-
chinelle, dans le milieu hétéronormé du ballon rond : le si gai
Olivier est gay. Et s’en porte très bien ainsi puisque, de son
point de vue – imparable – «tout cela ne se résume en définitive
qu’à une question d’amour». «Même si, ado, ça ne me paraissait
pas très net, je l’ai rapidement assumé sans embarras. Je vivais
ma vie naturellement, positivement, sans me prendre la tête
et le foot m’a offert une grande liberté de mouvement, gage d’ou-
verture d’esprit, aussi bien quand je venais passer des week-ends
à Paris, que lorsque je partais voyager à l’étranger, aux Etats-
Unis notamment.»
Une trentaine d’années vont
cependant s’écouler, avant
que Rouyer ne décide,
en 2008, de communiquer
sur le sujet, devenant, de
facto, le porte-parole d’une
cause que lui seul évoque pu-
bliquement sur ce terrain.
Pourquoi un délai si long?
«Simplement car c’était sans
doute pour moi le bon mo-
ment. Je n’ai jamais milité et
j’éprouvais même un certain
détachement par rapport à
l’aspect communautaire du
sujet.» Il poursuit : «Depuis
deux ans, je me sens hyper-
concerné, peut-être en raison d’une prise de conscience tardive
liée au fait que j’en ai marre d’entendre des supporteurs conti-
nuer de se défouler à coups d’insultes homophobes ou racistes.
Quand le public nancéen cri “les Messins sont des pédés”, à quoi
ça sert, franchement? Alors je préconise en priorité le dialogue,
qui doit commencer par les éducateurs expliquant aux gamins
le caractère blessant et péjoratif de certains mots à bannir en
public. Et si ça ne suffit pas, il faut sanctionner, arrêter des
matchs, voire enlever des points à l’équipe incriminée par spec-
tateurs interposés.»
Une intransigeance qui ne fait pourtant pas l’unanimité. En
début de saison plusieurs matchs ont été temporairement in-
terrompus, à cause de banderoles ou de chants blâmables. La
ministre des Sports a encouragé la fermeté, tandis que Noël
Le Graët, président de la Fédération française de foot, rétropé-
dalait (dans la semoule) en désavouant ce genre de sanction,
minimisant de facto la gravité d’un problème imputable à une
frange de crétins chambreurs. «Des propos monstrueux et dra-
matiques, émanant d’un homme totalement abruti, qui n’a rien
compris, ou qui s’en fout», tranche Olivier Rouyer, dont le cour-
roux n’a pas tiédi depuis. «Je me sens suffisamment fautif d’avoir
longtemps entendu les arbitres se faire traiter d’enculés sans réa-
gir, pour estimer que la coupe est pleine», enchérit celui qui, «de-
puis cinq ou six ans», partage avec Michael un quotidien réparti
entre le magasin de vêtements que tient ce dernier, le Pinoc-
chio, bar qu’il a ouvert voici un quart de siècle, des promenades
et footings avec son chien, et la municipalité où l’autoproclamé
«mec du centre» élu (en 15e position) sur une liste de droite et
délégué au commerce, aux marchés de détails, à l’artisanat et
aux taxis, donne de son temps «pour faire avancer» sa ville. A
savoir Nancy, fief où, bien qu’adorant voyager, le footeux reste
cramponné à ses racines, depuis l’enfance «passée à jouer dans
la rue», à Saint-Max, au sein d’une famille unie et aimante, en-
tre un père chauffeur-livreur, une mère au foyer, deux sœurs
et un frère, jusqu’à aujourd’hui, où il compte bien se représenter
au prochain scrutin local, en visant cette fois les sports. «Pour-
tant, et c’est ce qui m’a le plus surpris, on se fait souvent engueu-
ler», concède le conseiller, non sans s’esclaffer.•

1955 Naissance
à Nancy.
1973 Premier match
professionnel.
1976 Première
sélection en équipe
de France et JO
de Montréal.
1978 Coupe du monde
en Argentine.
1996 Consultant télé.
2008 Coming out.
2016 Consultant sur la
chaîne l’Equipe.

F


amilier des téléspectateurs boulottant le foot en charen-
taises, le rire ne manque pas de volume. Mais, hors an-
tenne, il peut arriver qu’il soit également nerveux.
Comme ce jour où, voici environ trois mois, un automobiliste
arrivant à sa hauteur a baissé la vitre pour le traiter de «sale
pédé», avant d’appuyer sur l’accélérateur. «Que voulais-tu que
je fasse? Il a aussitôt filé, philosophe l’offensé. Pourtant, j’au-
rais bien aimé lui parler.»
En cette douce après-midi d’automne, les
apostrophes sont autrement bienveillan-
tes. Attablé à la terrasse d’un bistrot pari-
sien, Olivier Rouyer mange une assiette de fromages, sans
pain, question de ligne («c’est terriblement dur, si je ne fais pas
attention, je gonfle»), et quelques passants se fendent de saluts
chaleureux. «J’adore vos émissions», balance l’un, sans même
s’arrêter, quand un autre quémande un autographe sur un
bout de papier en surjouant la gratitude d’un «vous avez mar-
qué ma jeunesse, je me souviens tellement de vous».
Car cela fait mine de rien bientôt un demi-siècle qu’Olivier
Rouyer anime le football français. Joueur professionnel pen-
dant quinze ans, il a remporté une Coupe de France, en 1978,

avec son équipe de cœur, l’AS Nancy-Lorraine, et connu 17 sé-
lections nationales, y compris dans le cadre de la Coupe du
monde 78. Ailier d’une extrême vivacité, on l’avait paresseuse-
ment affublé du surnom antithétique de la Rouille et sa com-
plicité avec l’idole Platini donna du fil à retordre à toutes les
défenses du pays. «J’avais un état d’esprit positif et ne renâ-
clais jamais, avec une bonne pointe de vitesse alliée à une tech-
nique plutôt sympa. J’aimais faire des ap-
pels en profondeur, pour que Michel me
passe le ballon, avec toujours l’obsession du
dribble et du but. Au fond, le foot se résume
à ça : prendre du plaisir pour en donner aux autres.»
Un credo qu’Olivier Rouyer prorogera, une fois les crampons
raccrochés, en devenant consultant à la télé, à une époque où
toutes les chaînes ne grouillaient pas encore d’experts
prompts à dire tout et son contraire au gré des rencontres. Sol-
licité dès 1996 par Charles Biétry, le Lorrain en prend pour
vingt ans avec le groupe Canal +, avant d’être transféré en 2016
sur la chaîne l’Equipe, où, le cheveu blanchi, son engouement
n’a pas pris une ride : «A de très rares moments près, la passion
pour le jeu ne m’a jamais quitté. A fortiori quand le calcul s’es-

Le Portrait


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