Libération - 06.11.2019

(Marcin) #1

Libération Mercredi 6 Novembre 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u III


Les entreprises misent


sur l’épargne salariale


De plus en plus
de salariés choisissent
des fonds socialement
responsables pour
y placer les sommes
qui leur sont versées au
titre de l’intéressement
et de la participation.

tion Finansol. Le montant moyen déposé sur
ces livrets dépasse les 11 000 euros.
Enfin, il est toujours possible de souscrire en
capital, ou de prêter des fonds, directement
à une entreprise d’insertion, avec un taux
d’intérêt préalablement défini.


Manque à gagner limité
Pour ceux qui souhaitent investir de manière
plus parcimonieuse, la solution du «micro
don» s’impose. Il existe ainsi des cartes de
crédit d’un genre particulier. A chaque retrait
dans un distributeur automatique, la banque
émettrice de la carte reverse 3 centimes d’eu-
ros à une structure labellisée économie soli-
daire et préalablement choisie par le titulaire
de la carte.
En ces temps de taux d’intérêt particulière-
ment bas, la finance solidaire vit une période
favorable. La plupart des placements finan-


ciers classiques, au premier rang desquels
l’assurance-vie, offrent des rentabilités mo-
destes : entre 1,5 % et 2,5 %. De fait, l’investis-
sement dans l’économie solidaire n’en est que
plus attractif. Le manque à gagner, s’il existe,
sera forcément limité.
Pour l’avenir, la finance solidaire ne devrait
pas être en panne de créativité. «Nous allons
proposer des produits de plus en plus tracés
­géographiquement», prévoit Daniel Domin-
gues, directeur du développement du Crédit
coopératif. Un livret d’épargne a ainsi été
lancé, afin de financer des entreprises situées
dans les Hauts-de-France et qui œuvrent
dans le développement durable. Il a déjà col-
lecté 13 millions d’euros. Ces fonds ont permis
d’accompagner 21 projets. La proximité, pro-
chain défi de cette économie où le taux de re-
tour sur investissement (TRI) n’est pas la va-
leur de référence.•

«J’


ai souscrit le FCPE Car-
refour équilibre soli-
daire. Cela me permet
d’agir à titre individuel,
puisqu’en souscrivant ce fonds solidaire,
je finance par la même occasion des
structures agissant pour l’insertion par
l’emploi et le logement. En plus, le rap-
port risque-rendement de ce fonds
s’avère intéressant...» Quand on lui a
parlé de plan d’épargne entreprise, Mi-
chel Enguelz, salarié de Carrefour, n’a
pas hésité à investir. Il faut dire que les
structures susceptibles de bénéficier
de l’épargne de Michel Enguelz ont de
quoi répondre aux attentes citoyennes :
lutte contre l’exclusion, aides à l’en-
fance, services à la personne, insertion
par le logement et l’emploi, etc. Par
exemple, l’association Habitat et Hu-
manisme a relogé 22 000 familles en
difficulté depuis 1985 et France Active
a créé ou sauvegardé 40 000 emplois
en 2018 grâce à cette épargne sociale-
ment responsable.
Comme Michel Enguelz, de plus en
plus de salariés se préoccupent de la
destination de leur épargne. Et les en-
jeux sont de taille : l’épargne salariale,
c’est aujourd’hui 10,6 millions de
comptes et plus de 125,5 milliards d’en-
cours en 2018. Elle est composée de
l’intéressement (prime liée à la perfor-
mance de l’entreprise) et de la partici-
pation (quote-part des bénéfices). L’in-
téressement est facultatif tandis que la
participation est obligatoire pour les
entreprises de plus de 50 salariés qui
font des bénéfices. Les sommes sont
soit versées en direct aux salariés soit
placées sur un PEE (plan d’épargne en-
treprise) ou un Perco (plan d’épargne
pour la retraite collectif). Cet argent est
indisponible pendant au moins
cinq ans, sauf cas exceptionnel (ma-
riage, naissance, divorce, achat immo-
bilier...) Les placements sont exonérés
d’impôts sur le revenu, mais les plus-
values sont assujetties à des cotisations
sociales (CGS, CRDS). Les versements
des salariés peuvent être complétés par
des contributions de l’entreprise (abon-
dement). Important à savoir : les inves-
tissements solidaires sont réalisés dans

des entreprises non cotées en Bourse,
implantées dans les territoires et dont
l’activité n’est pas délocalisable.
Si le salarié fait le choix d’un fonds soli-
daire, entre 5 % et 10 % de son place-
ment seront investis dans des entrepri-
ses agréées Esus (entreprise solidaire
d’utilité sociale), les 90 % à 95 % restant
seront placés soit en actions d’entrepri-
ses ayant une démarche socialement
responsable, soit dans des obligations
ou encore dans des titres monétaires.
Dans le cas de l’intéressement, disposi-
tif collectif, l’employeur détermine
avec les partenaires sociaux une «for-
mule de calcul», qui définit les critères
à atteindre pour que les salariés puis-
sent toucher ces sommes. «Avant, on
trouvait dans ces accords des objectifs
plutôt financiers, comme l’amélioration
de l’Ebitda [bénéfice avant intérêts, im-
pôts, dépréciation et amortissement]
ou du chiffre d’affaires. La tendance ac-
tuelle est d’accoler à ces conditions des
critères de performance liés au dévelop-
pement durable, par exemple la dimi-
nution du papier dans un service.» Si
l’objectif est atteint, une partie de l’en-
veloppe est débloquée. En revanche,
dans le cas contraire, les salariés ne
touchent rien. «C’est un moyen d’inciter
chacun à jouer le jeu collectivement»,
explique Sonia Blondeau, du cabinet
d’avocats BRL.
Pour s’assurer que leur épargne est bien
dirigée vers des fonds solidaires, les sa-
lariés peuvent opter pour les FCPE la-
bellisés par Finansol (lire ci-contre) ou
par le CIES (Comité intersyndical de
l’épargne salariale), une instance créée
en 2002 regroupant quatre organisa-
tions syndicales (CFDT, CGT, CFTC,
CFE-CGC). Le label CIES est en cours
de refonte, avec un nouveau cahier des
charges prévu pour la fin de l’année.
«Nous labellisons des gammes de pro-
duits et nous travaillons lors de comités
de suivi avec les gestionnaires pour étu-
dier leurs portefeuilles. Par exemple, en
cas de controverse à propos de certaines
entreprises, on leur demande s’ils possè-
dent des actions de ces sociétés, et si c’est
le cas, s’ils comptent s’en débarrasser»,
précise Emmanuelle Drouet, secrétaire
confédérale de la CFDT. Pour elle,
«cette épargne solidaire va continuer à
progresser car les salariés vont devenir
de plus en plus regardants sur la desti-
nation de leur épargne. Côté gestion-
naires des fonds, la jeune génération est
très motivée sur les critères de classe-
ment des entreprises dans lesquelles ils
souhaitent investir».
Patrick Cappelli

Sarah Bouillaud
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