Libération - 06.11.2019

(Marcin) #1

Libération Mercredi 6 Novembre 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u VII


L


es Français n’entreprennent pas. Ne
dit-on pas que les Français ne sont pas
entreprenants, car créer son entreprise
en France, c’est compliqué? Surtout
quand on est au chômage, loin des centres
­métropolitains?
Les Français ne s’engagent pas. Ne dit-on pas
que notre monde est devenu plus individua-
liste? La crise n’entraîne-t-elle pas forcément
un repli sur soi? La société numérique ne
transforme-t-elle pas nos relations en un rap-
port virtuel et désincarné?
Les Français n’engageront jamais leur épargne
au service du bien commun. Ne pense-t-on pas
que l’investissement à impact est né, en Angle-
terre, après la crise financière de 2008? Ne
croit-on pas que quand il s’agit d’argent, cha-
cun laisse ses bons sentiments de côté?
Vous ne croyez pas à ces idées reçues, nous
non plus. Sinon, comment expliquer alors que

E


t maintenant, la maison
brûle vraiment. Des Etats-
Unis à la Sibérie, du Portu-
gal à l’Amazonie, le pire
survient. Les prévisions scientifi-
ques de vingt ou trente ans d’âge,
en matière de climat ou de biodi-
versité, se réalisent, parfois même
au-delà. La fenêtre d’intervention
se referme peu à peu sur nos doigts
imprudents. Pourquoi n’avons-
nous que le sentiment d’impuis-
sance à opposer à la destruction
des fondamentaux de nos vies?

contestables, l’histoire des sociétés
humaines prouve que rien n’est ja-
mais écrit.
Couchée sur le pont du bateau, je
regarde ma petite planète qui
fonce dans le cosmos. Je la vois si
étrange, unique et magnifique,
avec son océan, sa vie et ses êtres
doués de sensibilité et d’intelli-
gence. Elle m’importe tout à coup
furieusement et là réside l’une des
premières clés : restaurons notre
rapport avec la nature, reprenons
contact avec ce qui vit autour de
nous, retrouvons ce sentiment
d’être au sein de cette nature et
pas au-dessus ou au-delà. La para-
bole du colibri est souvent taxée
d’une impuissance politiquement
correcte. Elle recèle pourtant un
atout formidable : commencer à
nous faire faire un pas de côté ; à
nous soustraire peu à peu aux in-
jonctions ; à découvrir que nous
vivons souvent mieux ; à créer de
la viralité autour de nous. Coluche
disait : «Il suffirait que les gens
n’achètent plus pour que cela ne se
vende pas.» Ne sous-estimons pas
la force du changement qui s’im-

pose, d’abord à bas bruit, puis
comme une évidence. En laissant
ces petits combats envahir nos
vies, c’est bien la marée du collec-
tif que nous provoquons.
Il n’y aura pas de personnage pro-
videntiel ni d’aube du grand soir.
Je crois au collectif, celui qui va de
la famille à l’ONU, en passant par
le village, l’entreprise ou l’associa-
tion. Agir ensemble est, de plus, le
parfait remède à la mélancolie.
Car ce n’est pas que pour échapper
à la catastrophe que nous agis-
sons, ce n’est pas que la peur qui
nous mobilise, c’est l’irrépressible
désir d’inventer le monde de de-
main plutôt que de rabâcher celui
d’aujourd’hui, qui visiblement ne
fait pas notre bonheur. A tous
ceux qui désespèrent, je recom-
mande la joie du combat, la gaîté
du brassage des idées, des inven-
tions, des constructions.
Regardez la marée, elle ne monte
que millimètre après millimètre,
mais elle est irrésistible. Rendons
la transition écologique irrésisti-
ble non pas par peur, mais par
bonheur.•

«Regardez la


marée, elle est


irrésistible»


Certes, le message scientifique est
angoissant et ce n’est pas d’hier
que l’on préfère chasser les por-
teurs de mauvaises nouvelles que
les écouter. Nous manquons
d’imagination pour nous représen-
ter ce que sera la vie à 2 °C de plus
ou un million d’espèces en moins ;
une vie de désordres, d’incertitu-
des, de privations et de perte dé-
mocratique qui contredit l’espoir
d’un avenir meilleur. Enfin, l’im-
mensité et l’urgence de la tâche
semblent nous paralyser. Au point
que parfois nous nous référions à
quelque force occulte (les marchés,
les lobbys, les Etats...) qui nous
contraindrait à la catastrophe.
Pourtant, si la physique et la bio-
logie de la planète ne sont pas

Isabelle Autissier
Navigatrice, écrivaine
et présidente
du WWF France

Mercredi
6 novembre
18 h 30 – 20 heures

Résistances poétiques
Pour cette première table
ronde, nous avons invité
trois personnalités qui
allient la profondeur des
idées et de l’action. Nous
accueillerons Edgar
Morin, philosophe et
penseur de la complexité,
Isabelle Autissier,
navigatrice, écrivaine et
présidente du WWF
France et Erri de Luca,
poète et écrivain engagé,
venu spécialement
d’Italie pour cette
rencontre.

20 heures – 21 h 30

Finance solidaire,
­peut-on donner
un sens à son argent?
Et si on mettait nos
économies au service de
nos idées, des territoires,
de l’environnement et de
la solidarité? Nous en
discuterons avec Patrick
Viveret, philosophe,
Dominique Mahé,
président de MAIF et
partenaire de ce forum,
Fanny Gérôme,
directrice générale
adjointe de France Active
et Simon Quiret,
président d’AkuoCoop,
une plateforme de
financement participatif
au service de la
production
indépendante d’énergie
renouvelable.

Une soirée animée par
Laurent Joffrin, directeur
de Libération et
Alexandra
Schwartzbrod, directrice
adjointe de la rédaction.

Lieu
A l’Hôtel de l’Industrie,
4 place Saint-Germain-
des-Prés, 75006 Paris.

Débats et contributions
A retrouver et suivre
sur Libération.fr.

La finance solidaire, mise à l’honneur cette se-
maine, constitue un élément clé de réponse.
Alors que la finance est encore majoritaire-
ment considérée comme une activité en soi,
déconnectée de l’économie réelle et des enjeux
auxquels fait face la société, la finance soli-
daire nous fait changer de paradigme. Au lieu
de s’inquiéter du rendement maximum de nos
financements, nous nous inquiétons de leur
utilité durable. Au lieu de promettre aux épar-
gnants que leur argent «travaille» pour les en-

aussi parce que, par son objet, les entreprises
qu’elle finance, elle renforce les liens qui con-
juguent sécurité individuelle et collective.
Lorsque nous finançons France Active, nous
contribuons à développer l’entrepreneuriat
à valeur ajoutée sociale. Lorsque nous finan-
çons Enercoop, nous assurons une transition
énergétique progressive plutôt que brutale.
Lorsque nous finançons Aptic, nous permet-
tons aux citoyens de se former au numérique,
évitant de creuser une fracture technologi-

que préjudiciable. Parmi les enseignements
tirés de la crise de 2008, il y en a un qui ne de-
vrait pas être oublié : les structures de l’éco-
nomie sociale et plus largement celles de
l’entrepreneuriat social ont globalement
mieux résisté que les autres. La finance soli-
daire n’est donc pas un simple supplément
d’âme de gens soucieux d’éthique et d’utilité
sociale. C’est la construction patiente du
tissu économique résilient dont nous aurons
besoin demain.•

richir, elle leur propose qu’il prépare le monde
aux changements en cours. Au lieu de créer de
dangereuses bulles, la finance devient généra-
trice de fondations solides renforçant la stabi-
lité de l’économie et de la société.
Car la finance solidaire est une finance rési-
liente. Tout d’abord parce qu’elle s’émancipe
de la vulnérabilité du court terme : s’ancrant
profondément dans le temps long, elle est
moins à la merci des bourrasques qui font
fluctuer les cours et les rendements. Mais

«Passons maintenant


à la pleine lumière»


la France compte plus de 600 000 créations
d’entreprises chaque année, et que ce nombre
a doublé en vingt ans? Comment appréhender
la place et la dynamique de l’économie sociale
et solidaire dans notre économie : 10 % du PIB,
200 000 structures, 13,5 % de l’emploi privé,
dans des domaines aussi variés que le numéri-
que, le traitement des déchets, la santé ou la
culture?
Comment comprendre que les Français ont dé-
posé 11,5 milliards d’euros sur des produits
d’épargne solidaire? L’épargne solidaire existe
en France depuis plus de vingt ans, grâce no-
tamment à des évolutions législatives de
l’épargne salariale solidaire de 2001 à 2008, qui
ont permis un développement des flux d’épar-
gne solidaire en France sans équivalent dans
le monde.
France Active fait mouvement contre les idées
reçues depuis trente ans et bien sûr nous
­sommes fiers des milliers d’entrepreneurs en-
gagés que nous finançons chaque année,
avec 300 millions d’euros investis en 2018.
Mais nous ne pouvons nous satisfaire de ce bi-
lan quand les écosystèmes qui nous font vivre

subissent des dégradations irréversibles. Nous
ne pouvons accepter que les inégalités conti-
nuent de croître et remettent en cause la cohé-
sion nationale comme on l’a vu depuis l’au-
tomne dernier. Nous ne pouvons nous
contenter de quelques effets de démonstration
sympathiques aux marges d’un système finan-
cier centré sur le profit.
Nous pensons qu’il est maintenant temps, qu’il
est indispensable et qu’il est possible de reven-
diquer notre majorité et de transformer la fi-
nance, de s’appuyer sur la majorité des épar-
gnants qui demande une traçabilité et une
utilité sociale de son argent, de prendre au sé-
rieux et d’accompagner les entrepreneurs qui
majoritairement veulent donner du sens à leur
entreprise. En 2011 nous parlions des petits
feux de l’économie solidaire qui commençaient
ici et là à jeter quelques lueurs, à faire apparaî-
tre un coin de ciel bleu dans notre société ron-
gée par la morosité, l’absence d’espoir. Passons
maintenant à la pleine lumière en mobilisant
le puissant moteur de la finance solidaire.
Parce que nous croyons que la solidarité est
une force économique en mouvement.•

Fanny Gérome
Directrice générale adjointe
de France Active

Programme

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