Libération - 06.11.2019

(Marcin) #1
pas respectés, on ait la main pour les faire res-
pecter, ce n’est pas le cas aujourd’hui! Donc je
ne propose pas une politique idéologique en
matière d’immigration.»
Deux ans plus tard, «on est totalement à re-
brousse-poil des promesses qui avaient été for-
mulées, juge Pierre Henry, directeur général
de France terre d’asile. C’est une manière
d’installer une polémique permanente. Ce
mot de “quota” fait plaisir à droite. Si c’était
pour les calmer, c’est raté parce que la droite
traditionnelle la plus dure ne va pas s’en
­contenter. Ce n’est ni juste, ni efficace, ni
­intelligent».

Qu’en pensent les syndicats?
«Je ne crois pas qu’il y ait besoin de ça. Ce n’est
pas ma vision d’une politique migratoire», a
commenté Laurent Berger, le secrétaire géné-
ral de la CFDT, mardi. La CGT, elle, est «totale-
ment opposée» à ces quotas. «Il se dessine une
politique migratoire utilitariste, axée sur les
besoins des entreprises, note Marilyne Pou-
lain, en charge du dossier immigration à la
CGT. Elle souligne les limites d’un tel disposi-
tif : «Aujourd’hui, les métiers du nettoyage ne
sont pas reconnus comme des métiers en ten-
sion, et pour cause les offres sont pourvues en
grande partie par de la main-d’œuvre de tra-
vailleurs sans titre de séjour !» A la clé, selon
elle, le risque que cette évolution voulue par
le gouvernement n’aboutisse à un durcisse-
ment des règles pour les travailleurs étran-
gers. Sans toutefois résoudre la situation des
travailleurs sans papiers.
Amandine Cailhol
et Kim Hullot-Guiot

Ces pays étrangers


qui ont choisi de choisir


Événement


Le Canada, l’Australie
et bientôt l’Allemagne
sélectionnent les
candidats à l’immigration
en fonction de leurs
besoins en main-d’œuvre.

C’


est un grand classique du
genre. Dès qu’il s’agit
d’évoquer une éventuelle
prochaine politique d’immigration
professionnelle contrôlée, les res-
ponsables politiques français citent
en exemple ces pays qui appliquent
une immigration choisie. Cette fois
encore, le Canada et l’Australie sont
à l’honneur. Dans ses déclarations,
la ministre du Travail, Muriel Péni-
caud, aurait pu y ajouter le cas de
l’Allemagne qui a adopté en début
d’année une loi facilitant l’accès
au marché du travail pour les

mage bas... Des plans d’immigration
sont régulièrement mis à jour par le
gouvernement. Le dernier prévoit
l’arrivée de plus d’un million de tra-
vailleurs jusqu’en 2021.
Depuis 2009, et à quelques excep-
tions près, le programme d’immi-
gration australien est calqué sur ce-
lui du Canada. Impossible aux
candidats travailleurs étrangers de
décrocher un droit d’entrée sans
avoir obtenu un minimum de
60 points : 30 points maximum sont
accordés en fonction de l’âge,
20 pour la maîtrise de l’anglais,
20 pour le niveau d’études, 15 pour
l’expérience professionnelle dans
un emploi similaire à celui de-
mandé, en Australie ou à l’étranger,
et 5 à 10 points pour d’autres
­facteurs, dont les compétences de
son conjoint ou concubin.

Le gouvernement conservateur
australien privilégie de plus en plus
les candidats disposant déjà d’une
promesse d’embauche. Quant aux
employeurs délivrant ces fameuses
promesses, il leur faut justifier
qu’ils n’ont pas réussi à pourvoir le
poste à un Australien. A ce système,
Canberra a ajouté une ligne dure à
l’égard des clandestins. Ainsi, les
bateaux de migrants originaires le
plus souvent d’Afghanistan, du
Sri Lanka ou du Moyen-Orient sont
systématiquement refoulés par la
marine australienne. De quoi sé-
duire la patronne du RN, Marine
Le Pen, le nationaliste britannique
anti-immigration Nigel Farage ou
encore de l’ex-ministre d’extrême
droite italien Matteo Salvini.

Tremplin. L’Allemagne a mis des
années avant d’admettre qu’elle était
un pays d’immigration – en témoi-
gne notamment le statut ambigu de
«travailleur invité» qui, dans les an-
nées 50 à 70, invitait notamment les
Turcs à quitter l’Allemagne après
avoir participé au Wirtschaftswun-
der («miracle économique»). De-
puis, deux événements ont dessiné

les politiques actuelles en la ma-
tière. L’arrivée d’environ un million
de réfugiés en 2015, dont l’extrême
droite s’est servie comme tremplin,
a crispé les conservateurs de la
CDU-CSU autour du sujet, sachant
que le ministre de l’Intérieur, Horst
Seehofer (CSU), considère que «l’im-
migration est la mère de tous les pro-
blèmes». Mais il y a aussi la pénurie
de main-d’œuvre qualifiée, estimée
à 1,2 million d’emplois. L’Allemagne
manque en effet de travailleurs, no-
tamment dans le domaine de la
santé et de l’informatique.
En réponse, le pays a durci la loi en
facilitant les expulsions vers leur
pays d’origine des migrants qui
n’ont plus de titre de séjour. D’autre
part, il s’est doté d’une loi sur l’im-
migration «choisie», permettant
notamment aux migrants qualifiés
d’arriver en Allemagne sans contrat
d’embauche pour une durée de six
mois, si tant est qu’ils subviennent
à leurs besoins et qu’ils parlent un
minimum l’allemand. Le tout en-
trera en vigueur le 1er mars 2020.
Vittorio De Filippis
et Johanna Luyssen
(à Berlin)

nicaud. Et une telle me-
sure aurait par ailleurs fait risquer une cen-
sure du Conseil constitutionnel.

Qui cela va-t-il concerner?
Quelque 33 000 permis de séjour pour motif
économique ont été accordés en 2018. Soit
moins de 15 % de l’ensemble des titres. Les
quotas ne concerneront qu’une faible part
des immigrés réguliers, selon des «objectifs
chiffrés» qui restent à définir et qui pour-
raient, selon le Parisien, ne pas être limitatifs.
Seuls les travailleurs susceptibles d’être re-
crutés dans les secteurs identifiés en tension
sont concernés. Parmi les métiers qui pour-
raient intégrer la liste, selon la CPME, figu-
rent ceux du BTP, de l’hôtellerie-restaura-
tion, du sanitaire et social, ou encore des
professions plus qualifiées, comme tourneurs
fraiseurs ou, entre autres, charpentiers. Cette
longue liste est ressassée en chœur et depuis
des mois par le patronat qui pointe à l’envi un
chiffre, sujet à caution : 150 000 offres de Pôle
Emploi ne seraient pas pourvues faute de
candidat. Or, selon le représentant de la
CPME, la liste pourrait s’allonger : «Avec le
frémissement de l’activité économique, l’em-
ploi repart et c’est presque tous les métiers qui
sont concernés par ces difficultés.»

D’où vient cette idée?
L’idée a déjà été portée par Nicolas Sarkozy
lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, puis
après son accession à l’Elysée en 2007. Le mi-
nistre de l’Immigration d’alors, Brice Horte-
feux, avait chargé l’ancien président du
­Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, d’un
rapport sur le sujet, qui concluait qu’instaurer
des quotas pour l’immigration du travail se-
rait «sans utilité réelle», «irréalisable ou sans
intérêt» : si «des quotas (par branche ou par
métier) sont envisageables au niveau national
ou européen, [ils] ne sont pas indispensables
à la maîtrise des flux [et risquent d’avoir], pa-
radoxalement, un effet incitatif».
Lors de la dernière campagne présidentielle,
François Fillon avait relancé cette idée – tout
comme celle d’un débat annuel au Parlement
sur le sujet. La proposition avait été fustigée
par un certain Emmanuel Macron, lors d’un
discours à Lille : «Quand j’entends qu’on peut
nous proposer, pour la énième fois, des quotas,
c’est à supposer que lorsque les quotas ne sont

Suite de la page 3

­étrangers extracommunautaires
­qualifiés.

Promesse. Le Canada est en effet
le premier pays à pratiquer depuis
les années 60 une politique migra-
toire basée sur un système à points.
Afin d’être en mesure d’immigrer au
Canada pour y travailler, la note mi-
nimum doit s’élever à 67 points,
avec au maximum 28 points attri-
bués pour les compétences linguis-
tiques, 25 pour les études, 15 pour
l’expérience, 12 pour l’âge, 10 pour
une promesse d’embauche et
10 points pour l’adaptabilité. Cer-
tains peuvent obtenir des points
supplémentaires en s’installant
dans des territoires particulière-
ment affectés par une pénurie de
main-d’œuvre, une natalité en
berne, ou encore un taux de chô-

«On est totalement


à rebrousse-poil des


promesses qui avaient


été formulées. Ce mot
de “quota” fait plaisir

à droite. Si c’était pour


les calmer, c’est raté.»


Pierre Henry directeur général
de France terre d’asile

4 u Libération Mercredi 6 Novembre 2019

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