Libération - 06.11.2019

(Marcin) #1

C’


est entendu : il ne devrait pas y avoir
de quotas sur l’asile. Ceux-ci se-
raient contraires aux conventions
internationales, comme celle de Genève, qui
en consacrent le principe. Les demandeurs
d’asile seront cependant concernés par les an-
nonces d’Edouard Philippe. En premier lieu,
sur le plan de la santé.

«Désordre». Jusqu’ici, les demandeurs
d’asile bénéficiaient comme tout un chacun
de la protection universelle maladie (Puma),
dès le dépôt de leur dossier et ce jusqu’à un
an après le rejet de leur demande. Si les
amendements du gouvernement en ce sens


  • examinés jeudi à l’Assemblée dans le cadre
    du budget santé – sont votés, ils devront at-


Près d’un
campement de
migrants à Paris,
en 2015. Photo
Vincent Jarousseau

tendre désormais trois mois – au même titre
que les Français revenus de l’étranger –
avant d’être couverts, hors urgences. «J’au-
rais plutôt aligné les Français sur les deman-
deurs d’asile que l’inverse, mais à la limite,
je préfère ça plutôt qu’on touche au panier de
soins. Mais c’est une mesure qui ne fera que
déplacer, voire aggraver le problème», estime
la députée de la Marne apparentée LREM
Aina Kuric, qui s’était déjà opposée au gou-
vernement sur la loi dite «asile et immigra-
tion» en 2018.
Du côté des associations, qui ont de longue
date exprimé leur opposition à l’instaura-
tion d’un tel délai de carence, l’inquiétude
est vive. Cyrille de Billy, le secrétaire général
de la Cimade, association de soutien aux im-
migrés, met l’accent sur l’importance de
«donner accès aux soins au moment où les
gens en ont besoin, en l’occurrence après un
parcours migratoire traumatisant. Les gens
quittent des situations invivables». Il craint
qu’on «ne soigne plus que les urgences et
qu’on laisse pourrir des situations précaires».
Même idée chez Pierre Henry, directeur gé-
néral de France terre d’asile : «On va se re-

trouver avec des queues devant les dispositifs
médicaux des associations, comme on voit
des queues dans les distributions alimentai-
res. Ce ne sera pas efficace et ça va amener
du désordre supplémentaire sans faire de ré-
elles économies.»
Afin de rendre plus efficient et moins coû-
teux le traitement des demandes d’asile (les
demandeurs bénéficiant d’une allocation
mensuelle pour subsister durant l’étude de
leur cas, qui a coûté environ 400 millions
d’euros l’an dernier), le Premier ministre
souhaite également que le temps moyen
d’étude du dossier passe de douze à six mois.
Un objectif qui était déjà affiché dans la loi
asile et immigration promulguée en septem-
bre 2018, et en vue duquel l’exécutif a prévu,
dans le projet de loi de finances 2020, des
crédits supplémentaires. L’Office français
de protection des réfugiés et apatrides
­(Ofpra), la première instance responsable du
traitement des demandes d’asile, doit ainsi
bénéficier de postes supplémentaires,
­notamment d’officiers de protection, char-
gés de l’évaluation des requêtes (189 équiva-
lents temps plein en plus sont prévus, sur un

total actuel de 1 005). «La question, c’est :
“Qu’est-ce qui se passe ensuite, une fois la
­demande déposée ?” interroge Cyrille de
Billy. On met beaucoup de moyens pour
­accélérer le traitement des demandes, mais
derrière, sur les dispositifs d’hébergement,
on ne met rien.»

Ajustements. Concernant l’immigration
familiale, l’une des principales voies d’accès
légal au territoire, il n’est pas exclu que le
Premier ministre, qui n’a pas souhaité s’ex-
primer auprès de Libération en amont du
­comité interministériel de ce mercredi,
­propose des ajustements. Le regroupement
familial, qui concerne les étrangers en situa-
tion régulière faisant venir leurs enfants ou
conjoint, ne représente qu’une petite partie
de cette voie d’entrée en France (12 000 sur
près de 90 000 titres de séjour l’an dernier,
dont la moitié concerne des conjoints de
Français). Puisque la Constitution sanc­-
tuarise le «droit à mener une vie familiale
normale», l’exécutif devra manœuvrer avec
prudence.
K.H.-G.

Demandeurs d’asile : l’exécutif durcit le ton


Le gouvernement prévoit
d’instaurer une carence de
trois mois avant la prise en
charge des soins. Il pourrait
aussi modifier les règles
du regroupement familial.

C’


est le document sur le-
quel l’exécutif s’appuie
pour justifier sa vo-
lonté de réforme des conditions
d’accès aux soins des étrangers
en situation irrégulière. Un rap-
port que Matignon a comman-
dité cet été à l’Inspection géné-
rale des affaires sociales (Igas) et
à l’Inspection générale des fi-
nances, dans le but explicite de
lutter contre les abus et fraudes
à l’Aide médicale d’Etat (AME),
dispositif garantissant la gra-
tuité des soins dispensés aux
sans-papiers résidant en France
depuis plus de trois mois. Rendu
public mardi, le document
peine toutefois à étayer les
soupçons de «tourisme médi-
cal», distillé en haut lieu ces
dernières semaines.
Premier constat : «Stable depuis
2015», le nombre de bénéficiai-
res de l’AME n’explique pas la
hausse des coûts de 1,4 % par an
sur les cinq dernières années
(904 millions d’euros en 2018).
Le renchérissement du prix de
certains médicaments et le
­surcoût lié à une prise en charge
trop tardive des pathologies («les
deux tiers des dépenses de soins
des bénéficiaires de l’AME sont
hospitaliers») n’y sont pas étran-
gers. Mais c’est sur les «atypies»

relevées dans la dépense de
soins des bénéficiaires de l’AME
que le rapport insiste : «Les plus
nettes concernent les accouche-
ments, l’insuffisance rénale chro-
nique, les cancers et les maladies
du sang.» Avec cette précision :
«Pour 43 % des patients AME en
dialyse et 25 % des patients AME
en chimiothérapie oncologique,
il existe une suspicion de migra-
tion pour soins.» Sauf que le bé-
mol vient vite : «Dans le cas du
diabète [qui nécessite des dialy-
ses, ndlr], la prédisposition géné-
tique et les conditions de vie cons-
tituent des facteurs explicatifs à
ne pas négliger.» En clair, nom-
bre de sans-papiers peuvent être
atteints de diabète sans que cela
soit la raison première de leur
présence en France.
A l’arrivée, faute d’avoir établi
l’existence d’une fraude mas-
sive, le rapport préconise sur-
tout de renforcer les contrôles
sur les critères d’accès à l’AME
(hébergement, ressources, durée
de résidence) ou sur l’octroi des
visas touristiques. Reste le coup
de pied de l’âne : s’il déconseille
de réduire le panier de soins, le
rapport suggère malgré tout de
n’ouvrir le droit à certains soins
«programmés non essentiels»
(telles la chirurgie orthopédique
non traumatique, les opérations
de la cataracte et celles liées à
l’obésité) que neuf mois après
l’ouverture des droits à l’AME. Et
ce même si «le volume financier
représenté par les actes visés est
probablement faible»...
Nathalie Raulin

AME : l’Igas


cherche la fraude


mais ne trouve pas


Missionnées par
Matignon, les
inspections générales
ne sont pas parvenues
à établir l’existence d’un
«tourisme médical».

Libération Mercredi 6 Novembre 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 5

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