Libération - 06.11.2019

(Marcin) #1

Monde


Une des voitures de la famille attaquée. Kenneth Miller. Lafe Langford Jr. Reuters

L’attaque a eu lieu
lundi dans l’Etat
de Sonora, où vit la
communauté depuis
des décennies. Entre
janvier et septembre,
dans le pays, près de
39 000 assassinats
ont été perpétrés.

L


es informations de-
meurent parcellaires,
les récits incomplets et
les coupables introuvables.
Mais une chose est sûre : en
l’espace de quelques heures,
lundi, une famille améri­-
cano-mexicaine a été déci-
mée par une attaque brutale
et insensée dans le nord du
Mexique. Un acte de violence
en apparence gratuit, et par-
ticulièrement choquant,
même dans un pays triste-
ment habitué à la cruauté des
cartels de la drogue.
Lundi matin, trois mères,
chacune au volant d’une voi-
ture, accompagnées de 14 en-
fants, tous membres de la fa-
mille LeBarón, relativement
connue dans la région, quit-
tent la petite communauté
mormone de la Mora, dans
les montagnes de l’Etat de
Sonora, à une centaine de ki-
lomètres au sud de la fron-
tière avec les Etats-Unis.
Deux d’entre elles partent
rendre visite à des proches
dans l’Etat voisin de Chihua-
hua, la troisième se rend à
l’aéroport de Phoenix (Ari-
zona), à plus de sept heures
de route, pour y récupérer
son mari. Aucune n’arrivera à
destination. Leurs véhi­cules
sont violemment attaqués
par des hommes armés, sans
doute membres d’un des car-
tels qui sévit dans la zone. Les
trois mères de famille sont
mortes, ainsi que six de leurs
enfants. Le plus vieux était
âgé de 12 ans, les plus jeunes,
des jumeaux, d’à peine
8 mois. Selon Julian LeBarón,

lance une nouvelle fois le
­débat sur les violences qui
gangrènent le Mexique et les
difficultés du Président, Ló-
pez Obrador, et de son gou-
vernement à les enrayer. Der-
nier exemple en date de cette
­impuissance : mi-octobre à
­Culiacán, fief du cartel de Si-
naloa, un fils du célèbre par-
rain El Chapo avait été arrêté
puis relâché par les autorités,
dépassées par la puissance
de feu des narcotrafiquants.
En 2018, l’Institut national de

géographie et statistiques a
recensé 36 685 homicides au
Mexique. Un sinistre record
qui devrait être largement
battu cette année, car selon
les chiffres préliminaires du
ministère de la Sécurité
­publique, près de 39 000 as-
sassinats ont été perpétrés
dans le pays entre janvier et
septembre.
Mardi, le président mexicain
a indiqué qu’il allait discuter
avec son homologue améri-
cain d’une coopération avec

les Etats-Unis contre les nar-
cotrafiquants. Sur Twitter,
Donald Trump s’est quant à
lui dit prêt à apporter une
aide à Mexico pour «éliminer
[les cartels] de la surface de la
Terre». «Si le Mexique a be-
soin ou demande de l’aide
pour se débarrasser de ces
monstres, les Etats-Unis sont
prêts, volontaires et capables
de s’engager pour faire le bou-
lot rapidement et avec effica-
cité», a assuré le locataire de
la Maison Blanche.•

Par
Frédéric Autran

Reuters

un cousin des trois femmes,
interrogé par plusieurs mé-
dias dont le New York Times,
le SUV à bord duquel se trou-
vaient Rhonita Maria LeBa-
rón et quatre de ses sept en-
fants – un garçon de 12 ans,
une fille de 10 ans et les ju-
meaux – est le
premier à être
t o m b é d a n s
l’embuscade. Les
assaillants «ont tiré sur Rho-
nita et mis le feu à sa voiture»,
tuant tous les occupants. Sur
les réseaux sociaux, plusieurs
membres de la famille ont
publié une vidéo montrant,
selon eux, la carcasse fu-
mante et criblée de balles du
véhicule. Les corps ont été
carbonisés.

Forêt. Une quinzaine de ki-
lomètres plus loin, presque
«simultanément» selon Alex
LeBarón, un autre membre
de la famille cité par CNN, les
deux autres véhicules ont été
attaqués par des membres
«du même cartel». Les deux
conductrices, Christina Marie
Langford Johnson, 31 ans, et
Dawna Ray Langford, 43 ans,
ainsi que deux de ses enfants
âgés de 2 et 11 ans, ont été
tués par balles. Sept autres
mineurs, dont cinq blessés,
ont réussi à prendre la fuite et
à se cacher dans la forêt.
D’après le récit publié sur les
réseaux sociaux par une
membre de la famille, l’un
des survivants, Devin, un
adolescent de 13 ans, a mar-
ché une vingtaine de kilomè-
tres jusqu’à la Mora pour aller
chercher de l’aide, après avoir
caché ses frères et sœurs sous
des branchages. Il est arrivé
sur place vers 17 h 30, près de
six heures après l’embuscade.
Les membres de la commu-
nauté sont alors partis à la re-
cherche des survivants,
­retrouvés deux heures
plus tard.
Les cinq enfants blessés,
dont un garçon de 8 ans tou-
ché à la mâchoire et un nour-
risson de 7 mois ­atteint à la
poitrine, ont été transportés

Au Mexique, trois


mères et six enfants


mormons assassinés


dans la soirée à la frontière
américaine, à bord d’un héli-
coptère de l’armée mexi-
caine, avant d’être hospitali-
sés aux Etats-Unis.
Mardi soir, les motivations
des auteurs de ce massacre,
survenu dans une zone à
­risque où sévis-
sent narcotrafi-
quants et gangs
armés, restaient
floues. Les vic­times ont-elles
été ciblées par erreur, confon-
dues avec des rivaux? Ou
étaient-elles, au contraire, vi-
sées spécifiquement?
La famille LeBarón, en effet,
n’est pas inconnue. Il y a une
dizaine d’années, l’un de ses
membres, Benjamin LeBa-
rón, avait fondé un collectif
anticriminalité baptisé SOS
Chihuahua, avant d’être en-
levé et assassiné par un cartel
avec son beau-frère, en 2009.
D’autres membres de la
­famille LeBarón, accusés
d’avoir mis en place des bar-
rages illégaux et d’épuiser les
ressources en eau de la ré-
gion pour ses cultures de
noyers, entretiennent par
ailleurs des relations ten-
dues, depuis des années,
avec des agriculteurs locaux.

Impuissance. La présence
de mormons américains au
Mexique remonte à la fin
du XIXe siècle, quand cer-
tains membres fondamenta-
listes de la communauté reli-
gieuse ont fui les Etats-Unis
pour échapper à la répression
naissante de la polygamie.
Fondée dans les années 40, la
communauté affectée par
l’attaque de lundi vit en par-
tie de la culture de luzerne ou
de noix de pécan. La plupart
de ses membres disposent de
la double nationalité améri-
caine et mexicaine. Et beau-
coup d’hommes travaillent
une partie de l’année aux
Etats-Unis, notamment dans
les installations pétrolières
du Dakota du Nord. C’était le
cas du mari du Rhonita Maria
LeBarón, la première mère
assassinée. Ce massacre re-

L'histoire
du jour

«J’irai jusqu’à la fin de mon mandat.


J’ai été élu démocratiquement,


par une large majorité de Chiliens,


j’ai un devoir et un engagement envers


mes électeurs et tous les Chiliens.»


Sebastián
Piñera
Président chilien

Il reconnaît qu’il est «responsable d’une partie» des «pro­-
blèmes qui s’accumulent depuis trente ans» mais exclut de
démissionner : en cette troisième semaine de contestations
au Chili, qui ont fait 20 morts dans ce pays considéré jusqu’à
récemment comme un des plus stables d’Amérique latine,
le président Sebastián Piñera est sorti d’un silence de plu-
sieurs jours pour écarter toute possibilité de démission, ré-
clamée par ses opposants. Il dit par ailleurs être ouvert à la
discussion et ne pas écarter une réforme de la Constitution.

8 u Libération Mercredi 6 Novembre 2019

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