Le Monde - 26.11.2019

(Tuis.) #1

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MARDI 26 NOVEMBRE 2019 france| 11


lippe. L’accent sera mis sur leur évaluation,
faite par une équipe pluridisciplinaire, dès
la phase de l’enquête, afin de les orienter
vers des protocoles existants, comme les
groupes de parole. Par ailleurs, un appel à
projets sera lancé en 2020 pour que deux
centres de prise en charge par région soient
créés, sur le modèle du Home des Rosati, à
Arras (Pas­de­Calais), un centre d’héberge­
ment pour les auteurs de violences conju­
gales ayant des résultats probants en ter­
mes de récidive.

Hébergements d’urgence Le premier mi­
nistre a précisé les contours de la création
de 250 places d’hébergement, et de 750 pla­
ces de logement d’urgence, « une conven­
tion entre le 3919, le 119 et le ministère du lo­
gement pour cibler au plus vite les places a
été signée ».

Bracelets antirapprochement Destinés à
maintenir à distance les auteurs de violen­
ces, mille bracelets antirapprochement
seront déployés dès 2020, a poursuivi le
chef du gouvernement. Un texte de loi
porté par Aurélien Pradié (LR) proposant de
généraliser ce dispositif aussi bien au civil
qu’au pénal, sous réserve du consentement
du conjoint violent, a été voté en première
lecture à l’Assemblée le 15 octobre.

Pas de moyens supplémentaires D’après
le rapport du Haut conseil à l’égalité « Où
est l’argent contre les violences faites aux
femmes? » publié fin 2018, il faudrait entre
500 millions et un milliard pour prétendre
lutter efficacement contre les violences
conjugales. « On veut 1 milliard, pas 1 mil­
lion », ont scandé à plusieurs reprises les
nombreux participants à la marche contre
les violences sexistes et sexuelles, organi­
sée samedi par le collectif féministe
#NousToutes.
Mais, à l’exception de l’annonce de
30 millions d’euros consacrés, d’ici la fin
du quinquennat, à la création d’« espaces
rencontres », des lieux destinés à sécuri­
ser l’échange d’enfants dans les situations
de violences conjugales, aucune enve­
loppe budgétaire supplémentaire n’est
prévue. « Le gouvernement consacrera l’an
prochain 361 millions d’euros à la lutte con­
tre les violences », fait valoir Matignon, en
mettant en avant, au total, « 1 milliard
d’euros dédié à l’égalité entre les femmes et
les hommes dans l’ensemble des politiques
mises en œuvre ». Sauf que la somme est
en grande partie allouée à des program­
mes d’aide au développement et non à
une politique publique d’envergure natio­
nale. Sur ce plan, la déception risque d’être
au rendez­vous.
solène cordier et faustine vincent

Marlène Schiappa, « une personnalité


à part » chez les macronistes


La secrétaire d’Etat, qui déchaîne les passions, a été à l’initiative et
à la manœuvre pour « son » Grenelle contre les violences faites aux femmes

PORTRAIT


P


as un plateau télé, pas
une radio... A la rentrée,
Marlène Schiappa a
jeûné pendant quasi­
ment un mois. Non pas que la se­
crétaire d’Etat chargée de l’égalité
entre les femmes et les hommes –
réputée pour sa propension à satu­
rer l’espace médiatique – boudait.
Elle avait à faire du côté de l’Assem­
blée générale des Nations unies, à
New York, ou en France, pour
engager « son » Grenelle contre les
violences conjugales. Cette diète
lui a valu quelques coups de télé­
phone inquiets, sur le mode : « Ça
va? Tu es sûre? Ne disparais pas des
radars... » « J’ai eu des appels de
Matignon me disant : “Il faut faire
des plateaux, allez vous montrer,
vous représentez quelque chose” »,
raconte­t­elle. Elle y est largement
retournée depuis.
« En termes de com’, Marlène est
un produit brut, une histoire à
vendre », décrypte un conseiller
gouvernemental. Pas question de
cacher la tête de gondole du rayon
« société civile » dans l’arrière­
boutique. Lundi 25 novembre, le
premier ministre, Edouard Phi­
lippe, devait communiquer en sa
présence les annonces retenues
par l’exécutif en conclusion des
trois mois de travaux du Grenelle.
Et lui rendre hommage, devant
onze autres membres du gouver­
nement eux aussi concernés par
l’initiative, dont les ministres de
l’intérieur et de la justice, Christo­
phe Castaner et Nicole Belloubet.

« Pas une femme politique »
Car ce rendez­vous avec les asso­
ciations et les « acteurs de terrain »


  • pour reprendre le lexique
    gouvernemental –, c’est elle qui l’a
    souhaité et promu depuis le
    début. Il a d’abord fallu convaincre
    le président de la République
    Emmanuel Macron de mettre le
    projet sur orbite, puis se battre
    pour imposer le terme « Grenelle »
    auprès d’Edouard Philippe. La
    jeune femme tenait à cette déno­
    mination, qui solennise une
    concertation. « Le Grenelle, je l’ai
    obtenu à l’arrachée, comme tout ce
    que j’obtiens », assure Marlène
    Schiappa. « L’idée, le nom, le
    moment, l’organisation... Elle a eu
    un rôle prépondérant, c’est la prin­


cipale instigatrice », reconnaît un
proche du premier ministre.
Il faut dire que la pression est là.
Depuis le déclenchement de la
vague #metoo, il y a deux ans, des
milliers de femmes et d’hommes
encouragent la secrétaire d’Etat à
aller plus loin. De quoi se sentir
submergée? « La personne qui en
demande le plus à Marlène
Schiappa, c’est Marlène Schiappa,
balaye­t­elle. Je n’ai pas pris le secré­
tariat d’Etat à l’égalité femmes
hommes parce que l’agriculture et
l’intérieur n’étaient pas disponi­
bles. J’ai pris ça parce que pendant
des années, bien avant #metoo et
avant que ce soit un domaine de
spécialité valorisé, j’ai investi cette
question. C’est vraiment mon truc,
c’est mes tripes. »
Sans ce « truc », dit­elle, elle ne
serait pas secrétaire d’Etat. « Je ne
suis pas une femme politique »,
affirme­t­elle, tout en démontrant
le contraire depuis sa nomination
au gouvernement, il y a deux ans
et demi. Enfant d’un couple de mi­
litants trotskistes lambertistes, la
trentenaire a en effet été biberon­
née à l’école du rapport de force.
« C’est une fille qui fait du réseau »,
note un ami, qui en tire cette
conclusion : « C’est une vraie politi­
que. Une superactive, qui a soif de
plein de choses, a beaucoup de dé­
termination et apprend vite. »
Emmanuel et Brigitte Macron
apprécient et protègent la jeune
pousse depuis qu’ils l’ont rencon­
trée pendant la campagne prési­
dentielle de 2017. Une des rares
émanations du macronisme à
avoir crevé le plafond de la noto­
riété. « Le président a beaucoup
d’amitié pour elle, il aime bien les
gens politiques, qui tentent des
choses », résume un proche du
chef de l’Etat.
Elle peut donc se permettre ce
que la plupart de ses collègues du
gouvernement n’osent même pas
imaginer. En octobre, la secrétaire
d’Etat a séché l’invitation de l’Ely­
sée à accompagner Emmanuel
Macron dans son déplacement à
La Réunion, déplorant que le
programme la concernant fût trop
mince. Quel intérêt, a­t­elle pensé,
d’enquiller vingt­quatre heures de
vol pour une simple réunion du
Grenelle et une remise de décora­
tion? Deux semaines et un aver­
tissement présidentiel plus tard,

« EN TERMES DE COM’, 


MARLÈNE EST UNE 


HISTOIRE À VENDRE », 


DÉCRYPTE UN CONSEILLER 


GOUVERNEMENTAL : PAS 


QUESTION DE CACHER


LA TÊTE DE GONDOLE DU 


RAYON « SOCIÉTÉ CIVILE » 


DANS L’ARRIÈRE­BOUTIQUE


elle prenait un vol pour Saint­De­
nis de La Réunion. Seule.
Ils ne sont pas nombreux, non
plus, au sein du pouvoir, à déchaî­
ner les passions autant qu’elle. Le
producteur de théâtre Jean­Marc
Dumontet, ami du couple Macron,
se souvient, admiratif, du « tsu­
nami médiatique » qu’elle a provo­
qué en montant sur les planches
de Bobino, en 2018, pour interpré­
ter les Monologues du vagin. Cer­
tains au sein du pouvoir s’étran­
glent pour leur part lorsqu’ils re­
pensent à la spéciale « grand débat
national » de l’émission « Balance
ton post! » qu’elle a coanimée sur
C8, en janvier, avec le controversé
Cyril Hanouna. « Il y a peu d’avis
mesurés sur elle », convient un de
ses collègues du gouvernement.
« C’est un objet particulier », souf­
fle un autre. Du genre à partager
aux 16 000 abonnés de son
compte Instagram son amour
pour la poésie de Pablo Neruda et
en même temps des photos d’elle
déguisée en sorcière pour
Halloween ; d’accrocher des
« Why? » et des « What the fuck! » à
une conversation politique des
plus sérieuses. « C’est une person­
nalité à part. Je l’ai vue défendre des
trucs en conseil des ministres avec
talent. Elle secoue le cocotier! »,
rapporte Jacqueline Gourault,
ministre de la cohésion des terri­
toires. Un autre collègue se mon­
tre plus sévère : « Je lui reconnais
du talent. Peut­être que le talent lui
amènera de l’épaisseur. »
Marlène Schiappa travaille en
tout cas son fond de jeu en invi­
tant à sa table des chercheurs,
comme le démographe Hervé Le
Bras, ou certains spécialistes de
l’extrême droite, pour l’aider, es­

père­t­elle, à mieux comprendre
ce qui anime la France des « gilets
jaunes ». Comme le ministre de
l’action et des comptes publics,
Gérald Darmanin, l’ancienne blo­
gueuse et militante associative en­
tend incarner la face « populaire »
du macronisme, accusé de n’être
qu’une simple émanation des
élites. « Mes copines sont aides­soi­
gnantes, puéricultrices, infirmières,
ma sœur est directrice d’une école
en zone rurale. J’ai l’impression
d’être un trait d’union avec une
partie de la population qu’on
oublie parfois », souligne­t­elle.

Son avenir au gouvernement
Adjointe au maire socialiste
du Mans de 2014 à 2017, elle n’en­
tend pas briguer de ville en son
nom aux élections municipales de
mars 2020 ; tout juste devrait­elle
figurer sur une liste en position éli­
gible. Elle déclarait, en juin,
envisager de se présenter dans le
14 e arrondissement de Paris, der­
rière son ancien collègue du
gouvernement, Benjamin Gri­
veaux ; une position qui n’est plus
aussi affirmative aujourd’hui. « Je
pourrais aussi bien finir dans mon
village corse », élude­t­elle.
Concernant son avenir au sein du
gouvernement, Marlène Schiappa
jure ses grands dieux ne pas vou­
loir lâcher son portefeuille minis­
tériel. « J’ai lancé des choses, et j’ai
une loi avec [le ministre de l’écono­
mie] Bruno Le Maire en préparation
pour 2020 sur l’émancipation éco­
nomique des femmes », souligne­t­
elle. L’occasion de se saisir du sujet
de l’inégalité professionnelle, peu
traité jusqu’à présent. « Elle rêve
d’être ministre de la culture », rap­
portent néanmoins plusieurs
sources au sein de la Macronie. Il y
a quelques mois, selon un ami, elle
en parlait d’ailleurs en ces termes :
« Pourquoi pas? Ça aurait du sens. »
Elle dément aujourd’hui toute
velléité de ce genre. « J’écris des
livres, je vais au théâtre sans cesse,
les sujets culturels et la politique de
la culture m’intéressent, mais il y a
un ministre de la culture qui est
très bien, Franck Riester, et je n’ai
pas du tout l’intention de lui piquer
son poste », insiste­t­elle. Une
ancienne blogueuse Rue de
Valois : voilà qui serait pourtant
disruptif.
olivier faye

Marlène
Schiappa,
à Paris,
le 21 novembre.
ED ALCOCK/MYOP
POUR « LE MONDE »
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