Le Monde - 26.11.2019

(Tuis.) #1
0123
MARDI 26 NOVEMBRE 2019 france| 13

Retraites : la stratégie risquée du gouvernement


Alors que Matignon reçoit syndicats et patronat lundi et mardi, l’exécutif joue pour l’heure la fermeté


C


omme un air de dé­
jà­vu. A dix jours de la
mobilisation contre la
réforme des retraites, le
5 décembre, qui s’annonce mas­
sive, Edouard Philippe reçoit de
nouveau, lundi 25 et mardi 26 no­
vembre, les dirigeants des princi­
pales organisations syndicales et
patronales, aux côtés de la minis­
tre des solidarités et de la santé,
Agnès Buzyn, et du haut­commis­
saire chargé du dossier, Jean­Paul
Delevoye. Le chef du gouverne­
ment avait déjà organisé de tels
entretiens, début septembre, avec
les mêmes protagonistes pour
donner le coup d’envoi d’un
deuxième cycle de concertations.
Cette fois­ci, il s’agit de « faire un
point » sur la construction du fu­
tur système universel de pen­
sions en abordant – entre autres –
la délicate question du retour à
l’équilibre des comptes en 2025.
L’exécutif entend prouver qu’il
reste ouvert à la discussion tout
en restant intraitable sur deux su­
jets : l’abolition des régimes spé­
ciaux et la nécessité de réaliser
des économies.
Vendredi 22 novembre, lors
d’un déplacement à Amiens, Em­
manuel Macron a ainsi martelé
qu’il ne renoncerait pas à son pro­
jet de fusionner les 42 caisses de
retraite existantes. Pour lui, la
journée du 5 décembre est un
mouvement dominé par les sala­
riés « de grandes entreprises de
transport » – SNCF et RATP en tête
–, avec « des demandes catégoriel­
les qui pénalisent le reste de la so­
ciété ». La veille, Mme Buzyn fusti­
geait les revendications « très cor­
poratistes » des syndicats, qui dé­
fendent « un régime extrêmement
avantageux », puisqu’il permet à
ceux qui en bénéficient de partir
bien avant les actifs du privé. De
son côté, la porte­parole du gou­
vernement, Sibeth Ndiaye, accu­
sait la CGT de ne pas « jouer le jeu
de la démocratie sociale ».

Ces propos ont eu le don d’irri­
ter Philippe Martinez, le numéro
un de la centrale de Montreuil
(Seine­Saint­Denis), qui, avec FO,
la FSU, Solidaires et des mouve­
ments de jeunesse, appelle à bat­
tre le pavé, le 5 décembre. Diman­
che, lors du « Grand Jury RTL­
LCI­Le Figaro », M. Martinez a
exigé que l’on cesse « cette petite
musique » selon laquelle sa confé­
dération refuserait le dialogue.
« Le président de la République, qui
devrait être le président de tous les
Français, essaye de diviser les Fran­
çais », a­t­il déclaré, dénonçant
une pratique d’« ancien monde »,
qui vise à « stigmatiser des pseu­
do­privilégiés ». C’est « le choix de
l’affrontement » qui a été fait, s’est
indigné, dimanche, sur Fran­
ceinfo, Eric Meyer (SUD­Rail).

« Eclaircissements »
Que ces deux organisations – la
CGT et SUD, donc – croisent le fer
avec le pouvoir en place n’a rien
d’étonnant, puisqu’elles sont de­
puis le départ hostiles à la ré­
forme. L’agacement croissant du
numéro un de la CFDT, Laurent
Berger, s’avère, en revanche, plus
frappant : le syndicat cédétiste est,
en effet, l’un des rares à défendre
le principe d’un régime universel.
Mais la démarche du gouverne­
ment ne lui convient pas, car ce­
lui­ci envisage de modifier, à
court terme, les paramètres du
système pour que les actifs tra­
vaillent un peu plus longtemps. Le
but est de combler un déficit qui
se situerait entre 7,9 et 17,2 mil­
liards d’euros, en 2025, selon les
dernières projections du Conseil
d’orientation des retraites (COR).
« Il y a un problème de finance­
ment, qui va s’aggraver après 2025.
Ce n’est pas neutre », insiste une
source au sein de l’exécutif.
Pour résoudre cette difficulté,
plusieurs options sont sur la table,
dont l’une consisterait à instaurer
un âge pivot – avec une diminu­

tion de la pension pour ceux qui
demanderaient à la toucher
avant. Un tel mécanisme pourrait
entrer en vigueur préalablement
à la mise en place du futur sys­
tème. Inacceptable pour M. Ber­
ger, car « la réforme universelle [se­
rait ainsi] mise sous le boisseau au
profit de mesures paramétriques ».
Si tel devait être le cas, la CFDT ap­
pellerait à descendre dans la rue.
C’est pourquoi le leader cédé­
tiste veut des « éclaircissements »,
qu’il avait l’intention de réclamer,
lundi, lors de ses échanges avec
M. Philippe. La probabilité est
toutefois très faible que le pou­
voir en place abatte ses cartes dès
à présent. Il commencera à le faire
après le 5 décembre, en tenant
compte de l’ampleur des mobili­
sations. Les entretiens de lundi et
mardi à Matignon visent seule­
ment à montrer que « le gouver­
nement est toujours dans le dialo­
gue », décrypte Yves Veyrier, le nu­
méro un de FO, qui doute « d’un
changement radical de position­
nement » du sommet de l’Etat.
Côté patronal, une forme d’im­
patience règne aussi. « Il faut qu’ils

sortent du bois », assène le nu­
méro un du Medef, Geoffroy Roux
de Bézieux, en réclamant que la
lumière soit faite sur le calendrier
« pour les trois prochains mois »
comme sur les mesures d’âge qui
sont à l’étude. Président de
l’Union des entreprises de proxi­
mité (artisans, commerçant, pro­
fessions libérales), Alain Griset, se
montre perplexe quant à l’utilité
des discussions de lundi et mardi,
à Matignon : « Pour ce qui nous
concerne, le tour du sujet a été fait,
à la faveur des concertations
conduites jusqu’à présent, dit­il. Il
n’y a rien de pire que le doute : plus
on attend, plus les interrogations
vont s’élever. » Du côté des organi­
sations d’employeurs comme des

syndicats de salariés, on finit par
s’alarmer de la communication
du gouvernement, en l’assimilant
à une « cacophonie » extrême­
ment risquée dans la période de
tensions sociales qui prévaut. « Il y
a un côté pilotage à vue qui rend
tout pronostic très compliqué,
confie un haut gradé du Medef.
On ne sait plus qui dirige quoi, c’est
le plus gros facteur d’anxiété. Il faut
dire la vérité aux Français qui ont
l’impression qu’on leur cache quel­
que chose. »

Déclarations « outrancières »
Un responsable syndical s’in­
quiète, avec des formules encore
plus directes : « Ce sont des din­
gues, ils sont complètement dé­
connectés de la réalité, ils ont envie
que ça pète. » Les déclarations
« outrancières » de Mme Buzyn sur
les régimes spéciaux ne peuvent
que « jeter de l’huile sur le feu »,
tempête François Hommeril, le
président de la CFE­CGC : « C’est de
la pure démagogie, complète­t­il. Il
y a un déficit abyssal d’intelligence
sociale dans ce gouvernement et
un vrai problème de logiciel. »

Le fait que l’exécutif pointe du
doigt les règles particulières à la
SNCF et à la RATP « correspond à un
jeu politique traditionnel », rap­
pelle Raymond Soubie, le prési­
dent de la société de conseil en
stratégie sociale Alixio et fin
connaisseur de ces thématiques.
« Il s’agit de montrer à l’opinion que
le gouvernement est déterminé à
mener à bien son projet face à des
revendications corporatistes »,
ajoute­t­il.
Mais, selon lui, cette fermeté est
susceptible de ne pas améliorer la
situation, « d’autant que la contes­
tation, à la SNCF comme à la RATP,
est, en très grande partie, impulsée
par la base » : « Les syndicats don­
nent le sentiment de courir après
leurs adhérents et de ne pas avoir la
maîtrise pleine et entière du mou­
vement. » Comme observe Fran­
çois Asselin, président de la Confé­
dération des petites et moyennes
entreprises, « le plus important
sera l’après­5 décembre ». Autre­
ment dit : le conflit s’inscrira­t­il
ou pas dans la durée ?
raphaëlle besse desmoulières
et bertrand bissuel

Macron souhaite envoyer Brune Poirson à la mairie d’Avignon


La secrétaire d’Etat à la transition écologique est invitée à conduire la liste de La République en marche pour les municipales de mars 2020


C’


est le souhait d’Emma­
nuel Macron en per­
sonne. Le président de
la République aimerait que la se­
crétaire d’Etat à la transition éco­
logique, Brune Poirson, mène la
liste de La République en marche
(LRM) à Avignon lors des muni­
cipales de mars 2020, ont assuré
au Monde plusieurs sources au
sein de la majorité, confirmant
une information du Journal du
dimanche. « Il a demandé à ce
que ça lui soit proposé », assure
un conseiller. L’intéressée, qui
n’envisageait pas de se présen­
ter, n’a toujours pas fait connaî­
tre sa réponse. « Pas de commen­
taire », élude­t­on dans son en­
tourage.
En tranchant de la sorte, Emma­
nuel Macron entend mettre fin à
des mois de tergiversations, le
parti présidentiel peinant à trou­
ver le candidat idoine pour le
représenter dans la cité des Papes.
La commission nationale d’inves­

titure (CNI) n’en finit plus de re­
pousser sa décision. Deux postu­
lants sont sur les rangs : le député
LRM de Vaucluse, Jean­François
Cesarini, et l’universitaire Sylvie
Tavakoli. Mais ni l’un ni l’autre ne
semblent donner satisfaction.
En tant que membre du gouver­
nement, Mme Poirson, qui a été
élue députée de Vaucluse en 2017
face à l’ancien suppléant de
Marion Maréchal, jouit pour sa
part d’une exposition médiatique
plus forte depuis deux ans et
demi. Il n’empêche, si elle venait à
être candidate, le défi serait de
taille face à la maire socialiste sor­
tante, Cécile Helle, et à la candidate
du Rassemblement national (RN),
Anne­Sophie Rigault. Lors des
précédentes municipales, en 2014,
Mme Helle s’était imposée au terme
d’une triangulaire, avec 47 % des
voix, face au Front national (35 %)
et à la droite (17 %). Lors des euro­
péennes, en mai, le RN est cette
fois arrivé en tête sur la ville (24 %),

devant LRM (20 %) et les écologis­
tes (15 %). La tâche serait d’autant
plus ardue pour la secrétaire d’Etat
que la ville ne se trouve pas dans sa
circonscription d’origine.
La situation a de quoi surpren­
dre. En privé, Mme Poirson n’a eu
de cesse de faire savoir ces
derniers mois qu’elle n’entendait
pas concourir aux élections muni­
cipales, puisqu’elle dispose déjà
d’un ancrage local comme dépu­
tée. Une telle candidature comme
tête de liste la placerait dans une
position compliquée. En cas
d’élection, elle devrait quitter le
gouvernement afin de respecter le
non­cumul des mandats ; et en cas
de défaite, elle pourrait être pous­
sée vers la sortie, même si aucune
règle n’a été établie en la matière
par Emmanuel Macron et le pre­
mier ministre, Edouard Philippe.
Une inconnue, qui laisse per­
plexe au sein de la majorité.
Certains macronistes n’excluent
pas qu’elle puisse refuser, par

crainte d’un échec. « Il est possible
qu’elle dise non. Pour l’instant, elle
n’a pas accepté car rien n’a été fait
formellement », explique un mem­
bre de la CNI. « Le dossier est gelé
jusqu’à ce qu’elle dise clairement ce
qu’elle veut faire. Le président veut
qu’elle y aille. Reste à voir ce qu’elle
répond », résume un responsable
du parti, quelque peu étonné que
la secrétaire d’Etat n’ait pas encore
accepté la demande présidentielle,
formulée depuis plusieurs jours.

Modestie
L’épisode témoigne en tout cas du
fait que le chef de l’Etat entend
voir ses ministres mener la
bataille lors du scrutin de
mars 2020. « Le président veut que
les ministres s’engagent dans les
municipales, souligne une source
au sein de l’exécutif. Quand on est
ministre, c’est aussi pour gagner
des villes. » « La majorité a intérêt à
avoir un maximum de ministres
candidats », abonde un conseiller

ministériel, selon qui « plein de
ministres » seraient en train de
reculer face à l’obstacle : « Ils
savent que s’ils perdent, ils partent
avec l’eau du bain! » Plus les
semaines passent et plus la liste
des ministres désireux de con­
courir en tête de liste semble se ré­
duire. Hormis Edouard Philippe
au Havre, Gérald Darmanin à
Tourcoing (Nord) et Sébastien Le­
cornu à Vernon (Eure), rares sont
ceux à être quasi certains de se
placer sur la ligne de départ.
Une modestie qui n’est pas sans
rappeler celle de LRM dans ses in­
vestitures, qui a choisi de soutenir
bon nombre de maires sortants et
de ne pas forcément partir au
combat tout seul, sous ses propres
couleurs. « Après les européennes,
tout le monde s’était senti porté et
se disait que l’enracinement serait
facile à avoir. La vérité, c’est que tu
ne peux pas claquer des doigts en
disant : “Je suis ministre, je m’ins­
talle”, note un conseiller de l’exé­

cutif. Pour ceux qui n’ont pas fait
de politique avant et n’ont pas
d’ancrage, ça revient quand même
à se jeter dans un bain d’eau froide.
Après, c’est bon pour la santé. »
L’implication dans le dossier
avignonnais de M. Macron, for­
mulée à Brune Poirson, confirme
en tout cas que ce dernier suit de
très près la préparation des muni­
cipales, cruciales pour l’implanta­
tion territoriale de son camp.
Même si l’Elysée affirme le con­
traire, le chef de l’Etat s’implique
directement en arbitrant l’attri­
bution de certaines investitures.
Après avoir supervisé et validé
une première vague de candida­
tures, en juin, il a notamment
tranché le cas de Lyon, début octo­
bre, en prenant parti pour Gérard
Collomb. Ces dernières semaines,
il suit avec attention le dossier de
Marseille, où LRM doit encore dé­
signer sa tête de liste.
olivier faye
et alexandre lemarié

L’exécutif abattra
ses cartes après
le 5 décembre,
en tenant compte
de l’ampleur
des mobilisations

Retailleau pour la « réquisition des grévistes »


Le président du groupe Les Républicains (LR) au Sénat, Bruno
Retailleau, a rouvert dimanche 24 novembre le débat sur le droit
de grève, vieille antienne de la droite. Il annonce qu’il déposera
d’ici au 5 décembre une proposition de loi visant à instaurer un
service minimum dans les transports, sur la base d’un « droit aux
transports publics garanti ». « Nous proposons d’instaurer une obli-
gation pour les entreprises de transport public de garantir un tiers
du trafic quotidien aux heures de pointe », a déclaré le sénateur
au Journal du dimanche. Le texte prévoit en outre, « en cas
de mouvement massif (...) la réquisition de personnels grévistes ».
L’idée, dénoncée par les syndicats comme portant atteinte au
droit de grève, n’a pour l’heure pas les faveurs du gouvernement.
Free download pdf