14 |france MARDI 26 NOVEMBRE 2019
0123
A Marseille, JeanClaude Gaudin
à l’heure du bilan
L’avantdernier conseil municipal du maire LR devait être consacré
au sévère rapport de la chambre régionale des comptes sur sa gestion
marseille correspondant
P
our son avantdernier
conseil municipal avant
s o n dé p a r t e n
mars 2020, le maire de
Marseille, JeanClaude Gaudin
(Les Républicains, LR), 80 ans,
devait affronter, lundi 25 novem
bre, un houleux débat public sur
le double rapport de la chambre
régionale des comptes (CRC) Pro
venceAlpesCôte d’Azur, consacré
à sa gestion de la ville de 2012 à
- Près de six cents pages cin
glantes qui donnent une image
fortement dégradée de son action
à la tête d’une municipalité qu’il
dirige depuis vingtquatre ans. Le
maire de Marseille conteste en
bloc les critiques dont il fait l’objet.
Mauvaise gestion et « comptes
insincères » « Absence de straté
gie claire et insuffisance de pilo
tage des actions », « pas d’objectifs
chiffrés », « pas de mesure de la
performance des services et des
politiques publiques » : dans le
premier tome de son rapport, la
CRC dresse le portrait d’une
commune lourdement endettée,
qui avance sans boussole, volon
tairement ou par manque de
compétence, et « peu économe des
deniers publics ».
La CRC remarque qu’avec sa
note « AA/A1 + », donnée par
l’agence Standard & Poor’s,
Marseille se situe trois crans au
dessous de la notation courante
des collectivités françaises. Elle
observe que si Standard & Poor’s
qualifie la gestion municipale de
« rigoureuse », l’agence se base sur
les comptes publiés par la munici
palité, que la CRC estime, elle, « in
sincères ». « Seule la chambre a
procédé à une analyse de la fiabi
lité de ces comptes (...) », observent
les juges, qui pointent une « procé
dure défaillante de rattachement
des charges à l’exercice » et « un
suivi des opérations d’investisse
ments manquant de rigueur ».
Pour mieux faire comprendre la
« situation financière préoccu
pante » de Marseille, la CRC
recourt à la comparaison. Avec
1,8 milliard d’euros de dettes
en 2017, soit 2 023 euros par habi
tant, Marseille est deux fois plus
endettée « que la moyenne des vil
les comparables ». Une dette « peu
risquée », concède la chambre,
mais que la municipalité négocie
à des taux plus élevés que ses
homologues, ce qui en aggrave le
poids. « 66 % du financement des
investissements est constitué par
de l’emprunt alors que ce taux pla
fonne à 40 % [ailleurs] », notent
également les juges. En intégrant
les nombreux budgets annexes,
dont celui du StadeVélodrome, la
chambre calcule à seize années la
durée de capacité réelle de désen
dettement. Nice est à treize ans,
Lyon à un peu plus de cinq.
Enfin, la CRC démonte deux des
arguments mis régulièrement en
avant par JeanClaude Gaudin
pour expliquer les difficultés de
sa ville. Pour elle, Marseille ne
souffre pas d’un manque criant
d’aides extérieures, puisqu’elles
représentent 10 % des investisse
ments, contre 12 % dans les autres
villes. Les juges notent également
que si la dotation générale de
fonctionnement (DGF) attribuée
par l’Etat est bien en baisse –
58 millions d’euros entre 2012 et
2017 –, ce manque de finance
ment a été largement compensé
par une hausse des impôts muni
cipaux, rapportant 71 millions
d’euros, soit une « surcompensa
tion », écrit la chambre, de 13 mil
lions d’euros.
Des écoles dégradées dans les
quartiers paupérisés « Absence
d’état des lieux et de démarche
stratégique. » La CRC confirme le
peu de maîtrise et de prévision de
la ville de Marseille sur son parc
scolaire, situation dénoncée
depuis plusieurs années par des
associations de parents d’élèves
et des syndicats d’enseignants,
relayés par la presse. « L’état de
dégradation des écoles frappe très
majoritairement les établisse
ments des 3e, 13e, 14e, 15e arrondisse
ments », énumère le rapport. Soit
quatre des territoires les plus
paupérisés de la ville.
La chambre note que 99 % des
opérations d’entretien des écoles
sont constituées d’interventions
de moins de 5 000 euros, « ce qui
tend à montrer qu’il s’agit le plus
souvent d’opérations ponctuelles,
en fonction des urgences et menées
en dehors de toute idée d’entretien
planifié », explique la CRC. Des
opérations qu’elle estime, de 2015
à 2017, à 4,1 millions d’euros par
an, soit « à peine 9 300 euros par
école ». Dans sa réponse à la CRC,
la ville de Marseille « rejette les di
res sur l’état des écoles jugé vétuste
et dégradé », arguant, entre autres
points, que les constatations de la
chambre ne portent que sur 11 %
de son patrimoine scolaire.
Ventes contestables Dans son
long chapitre consacré au patri
moine municipal dont, selon elle,
« la ville n’a pas une connaissance
exhaustive », la CRC revient sur le
cas de cessions immobilières à la
« régularité contestable » et « à un
prix insuffisamment valorisé ».
Ainsi celle, en 2011, d’un lot d’im
meubles dans le quartier du Pa
nier à un architecte associé à de
nombreux projets municipaux
(station d’épuration, StadeVélo
drome, bibliothèque de l’Alca
zar...). « Il doit être considéré que
cette vente n’a pas fait l’objet d’une
mise en concurrence réelle et qu’il
en résulte une moinsvalue subs
tantielle pour la ville », chiffrée à
777 515 euros par la CRC. Une
conclusion que la ville conteste,
expliquant dans sa réponse que
« le droit autorise expressément et
sans ambiguïtés les cessions direc
tes par les collectivités locales sans
mise en concurrence ».
Autre exemple, plus sulfureux,
le rachat « totalement injustifia
ble », en 2013, « 74 % et 130 %
endessous du prix estimé par
France Domaine », de deux
immeubles du centre de
Marseille à la SCI Cœur d’îlot. Une
société immobilière appartenant
en partie à JeanPaul Dinoia,
connu à Marseille pour être une
ancienne figure du grand bandi
tisme, lié au clan Zampa.
Les retraités du cabinet du
maire Le second tome du rap
port, consacré à la gestion des res
sources humaines de la ville de
Marseille, est tout aussi sévère. Si
la CRC observe que « plusieurs ac
tions ont été lancées » visant à une
meilleure maîtrise de la masse
salariale, qui constitue 60 % des
dépenses de fonctionnement, elle
souligne qu’elles sont récentes et
ne peuvent être encore évaluées.
La chambre note également un
paradoxe étonnant : avec un peu
plus de 2 320 euros en 2016, la ré
munération brute moyenne
mensuelle des agents munici
paux se situe audessus de la
moyenne nationale, alors que
leur temps de travail restait, en
tre 2012 et 2017, inférieur à la du
rée légale. Une différence dont le
coût est chiffré à 12 millions
d’euros par an par la CRC.
Les juges s’agacent également
d’une « violation caractérisée de la
loi », concernant directement le
maire de Marseille. La présence,
dans son cabinet, au cours de la
période étudiée, d’une dizaine de
collaborateurs frappés par l’obli
gation de retraite. Ainsi, son
directeur de cabinet, Claude
Bertrand, 73 ans, mais aussi la
sœur de ce dernier, 71 ans, et
plusieurs proches de M. Gaudin,
dont des exadjoints ayant ac
cepté de céder leur place dans l’or
ganigramme municipal. « Aucune
dérogation de droit ne s’applique à
leur cas », note la CRC, qui estime,
pour 2017, à « un peu plus d’1 mil
lion d’euros » le préjudice de
« l’avantage matériel indu » pro
curé à ces intimes du maire.
gilles rof
Engagement et proximité :
la loi de la discorde
Le texte, copieusement réécrit par le Sénat,
doit être voté mardi à l’Assemblée
C
e devait être le texte de la
réconciliation, c’est de
venu celui de la confu
sion. Le projet de loi dit « engage
ment et proximité », qui doit être
voté mardi 26 novembre à l’As
semblée nationale, est supposé
marquer la volonté de l’exécutif,
après l’épisode des « gilets jau
nes » et le grand débat national,
de favoriser l’engagement dans le
mandat communal en accordant
des moyens nouveaux aux élus,
en particulier dans les petites
communes, de les sécuriser dans
l’exercice de leurs fonctions,
notamment après le décès dra
matique, cet été, du maire de Si
gnes (Var), JeanMathieu Michel,
de donner plus de souplesse dans
le fonctionnement des intercom
munalités et de renforcer le rôle
des communes en leur sein.
Autant d’avancées qui allaient
dans le sens des demandes des
élus. Logiquement, le projet de loi
semblait donc pouvoir bénéficier
d’un large consensus. Le président
du Sénat, Gérard Larcher, ne se féli
citaitil pas abondamment que ce
luici était « un copiercoller à 80 %
des propositions des sénateurs »?
C’eût été trop simple. Saisi en pre
mière lecture, le Sénat a copieuse
ment réécrit le texte gouverne
mental. Mais, de certaines des dis
positions introduites par la majo
rité sénatoriale, M. Larcher a fait ce
qu’il a appelé des « points durs ».
« Un signal négatif »
Ainsi, alors que commençait l’exa
men du projet de loi à l’Assemblée
nationale, lundi 18 novembre, en
même temps que s’ouvrait le
congrès des maires, le président
du Sénat, dans La Gazette des
communes, prévenaitil : « Soyons
clairs. Sans évolution sur plusieurs
points durs, il n’y aura pas d’accord
sur ce texte. » Dans le même
temps, les dirigeants de l’Associa
tion des maires de France (AMF)
faisaient corps avec le Sénat.
« Toute remise en cause des avan
cées du Sénat sera un signal néga
tif », déclarait le premier vicepré
sident de l’AMF à l’ouverture du
congrès. Tandis que le président
de l’association, François Baroin,
estimait que « le travail du Sénat a
été remarquable et a atteint les
objectifs qui étaient ceux de
l’AMF », considérant que « le texte
corrigé par le Sénat doit constituer
une piste d’atterrissage ». Une
scénographie habilement réglée
qui aura eu pour effet de faire d’un
projet de loi consensuel, compor
tant de nouveaux chapitres favo
rables aux maires et attendus par
eux, un nouvel objet de discorde.
Le Sénat se targue d’un vote en
première lecture, le 22 octobre, à la
quasiunanimité. C’est omettre
une partie de la réalité : ce vote
unanime recouvrait des avis diffé
rents, entre ceux qui approuvaient
la réécriture sénatoriale et ceux
qui ne voulaient pas voter contre
le projet du gouvernement.
Les débats à l’Assemblée natio
nale ont d’ailleurs montré que les
positions de la majorité sénato
riale ne faisaient pas nécessaire
ment consensus dans les rangs de
la droite. Ainsi, sur l’« intercom
munalité à la carte » défendue par
le Sénat, le député (Les Républi
cains) de l’Aveyron Arnaud Viala
n’hésitatil pas à exprimer son
accord avec le ministre Sébastien
Lecornu, chargé de porter le texte.
« Si on ouvre la possibilité de créer
un puzzle de compétences répar
ties entre les communes et l’EPCI
[Etablissement public de coopéra
tion intercommunale], on aboutit
à une situation parfaitement ingé
rable », notaitil.
Sur l’autre « point dur », la ges
tion de l’eau et de l’assainisse
ment, M. Lecornu a déploré la « ri
gidité » du Sénat, alors que le texte
du gouvernement prévoit que
l’intercommunalité peut, si la ma
jorité en décide ainsi, redéléguer
tout ou partie de ces compétences
aux communes qui le souhaitent.
A l’issue du vote des députés, le
projet de loi sera examiné par une
commission mixte paritaire,
composée de sept députés et de
sept sénateurs. Si elle parvient à
s’accorder sur un texte, celuici
sera soumis aux deux assemblées
et pourrait ainsi être définitive
ment adopté rapidement, ce qui
est le souhait du gouvernement.
En cas de désaccord, une nouvelle
navette entre les deux assemblées
sera nécessaire, ce qui allongera
les délais, même si, en définitive,
le dernier mot reviendra à l’As
semblée nationale, où le gouver
nement dispose d’une large ma
jorité. Mais l’épisode aura montré
une nouvelle fois que, dans les re
lations entre l’exécutif et les re
présentants des élus locaux, la po
litique n’est jamais bien loin.
patrick roger
Les juges
s’agacent
d’une « violation
caractérisée
de la loi »,
concernant
directement
le maire
Anne Hidalgo tente de ressouder la gauche pour gagner Paris
La maire socialiste a noué un accord avec Génération.s et compte s’entendre rapidement avec les communistes et les radicaux de gauche
L
es sondages ne sont pas
très bons, il fait froid, mais
ils ont le sourire aux lèvres
malgré tout : dimanche 24 no
vembre, Anne Hidalgo et ses futu
res têtes de liste posent pour les
photographes dans une cour du
11 e arrondissement de Paris, à l’oc
casion d’une rencontre avec quel
que 250 militants, piliers de la
campagne qui débute. Tous ceux
qui porteront les couleurs de la
maire de Paris dans la bataille
pour sa réélection, en mars 2020,
sont là. Des maires d’arrondisse
ment réinvestis, comme Alexan
dra Cordebard (10e) ou Ariel Weil
(4e). Mais aussi des têtes nouvel
les, telles qu’Anouch Toranian (15e)
ou encore Céline Hervieu, la jeune
secrétaire de section du Parti s
ocialiste dans le 6e arrondisse
ment, sur le point de partir à l’as
saut de cette forteresse de droite.
Grands sourires, discours de la
maire assurant « regarder l’avenir
avec optimisme », salve d’applau
dissements. « Qu’estce que ce sera
quand nous lancerons vraiment la
campagne! », s’exclame Anne Hi
dalgo. Elle devrait se déclarer offi
ciellement début janvier, pour bé
néficier le plus longtemps possi
ble de son statut de maire, loin du
ring électoral. Le programme, axé
sur l’écologie et la solidarité, serait
présenté à peu près au même
moment. En attendant, « les mili
tants sont l’arme au pied, relève un
des adjoints, Frédéric Hocquard.
Ils ont envie d’en découdre avec
Griveaux, Villani, Dati, pour faire
en sorte que Paris reste à gauche. »
Pour la photo, l’édile a pris soin
d’être aux côtés de François
Vauglin, le maire du 11e : c’est sur
sa liste qu’elle sera en principe
candidate, en deuxième position.
Une place qui lui assure quasi
d’être élue au conseil municipal,
compte tenu du poids de la gau
che dans cet arrondissement. Res
ter dans le 15e, où elle habite et a
été élue en 2014, était plus risqué.
Sur le cliché figure aussi Carine
Petit, la maire du 14e arrondisse
ment. Génération. s, le petit parti
de Benoît Hamon auquel elle
appartient, a voté deux jours plus
tôt son appui à Anne Hidalgo. La
décision n’était pas acquise. Les
militants avaient la possibilité de
soutenir un autre candidat à la
mairie de Paris, David Belliard,
d’Europe EcologieLes Verts
(EELV). C’était l’option défendue
notamment par Yves Contassot,
ancien porteparole des Verts
passé chez Génération.s.
« Les planètes s’alignent »
Les adhérents ont finalement
voté à 54 % en faveur de la maire
sortante. L’accord passé réserve 7
à 8 sièges éligibles aux représen
tants de Génération. s, dont Ca
rine Petit. Ils en avaient demandé
14, mais ont dû baisser leurs exi
gences, compte tenu notamment
du fiasco de la liste de Benoît Ha
mon aux européennes, qui n’a ré
colté à Paris que 4 % des suffrages.
Jeudi, les adhérents de Place pu
blique, le mouvement de gauche
fondé en 2018, notamment par
l’essayiste et eurodéputé Raphaël
Glucksmann, avaient eux aussi
choisi à 66 % de soutenir Anne Hi
dalgo plutôt que David Belliard.
Deux adjoints écologistes, Célia
Blauel et Christophe Najdovski, se
sont également ralliés à la maire.
« Les planètes s’alignent les unes
après les autres », se félicite
Emmanuel Grégoire, premier ad
joint d’Anne Hidalgo et cheville
ouvrière de sa campagne. Son ob
jectif immédiat : réunir derrière la
maire sortante toute la gauche – à
l’exception notable d’EELV et de
La France Insoumise, qui ont opté
pour des candidatures autono
mes. Pour y parvenir, reste à fina
liser les tractations avec le Parti
radical de gauche, et surtout avec
le Parti communiste. « Elles avan
cent bien, nous espérons conclure
d’ici à la fin du mois », assure Em
manuel Grégoire. « Il faut que la
gauche se rassemble face au plan
de La République en marche, qui
veut faire main basse sur Paris »,
opine Ian Brossat, l’adjoint com
muniste chargé du logement.
Ces retrouvailles entre les socia
listes et leurs alliés traditionnels
suffirontelles? Rien d’assuré.
Tous les sondages donnent Anne
Hidalgo en tête des intentions de
vote pour le premier tour, mais
avec une faible avance. Elle n’ob
tient que 19 % dans le dernier en
date, réalisé sur 2 942 Parisiens
par OpinionWay du 4 au 12 no
vembre pour le compte de son
concurrent macroniste, Benja
min Griveaux. Un score bien loin
des 34 % qu’elle avait réunis au
premier tour de 2014. Selon la
même enquête, 60 % des Pari
siens ne souhaitent pas qu’Anne
Hidalgo soit réélue.
Ces données laissent tous leurs
espoirs aux concurrents de la
maire socialiste. En particulier à
Benjamin Griveaux et Cédric
Villani, les deux rivaux qui se ré
clament du président de la Répu
blique. Mais aussi à l’écologiste
David Belliard. Il pense possible
de dépasser Anne Hidalgo au
premier tour, puis de rassembler
la gauche et les écologistes au se
cond. « Il rêve! », rigole un proche
de la maire. « La fragmentation de
l’électorat et le rejet des élus s’ob
servent partout en France, à cause
notamment du phénomène Ma
cron et de l’explosion de l’offre poli
tique, relativise JeanLouis Mis
sika, un des stratèges de l’Hôtel de
ville. Cela rend le résultat final
imprévisible, et pas qu’à Paris! »
denis cosnard
Avec 1,8 milliard
d’euros de dettes
en 2017, Marseille
est deux fois
plus endettée
« que la moyenne
des villes
comparables »
« Il faut
que la gauche
se rassemble
face au plan de
La République
en marche »
IAN BROSSAT
adjoint chargé du logement