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MARDI 26 NOVEMBRE 2019 international| 7
Bloomberg lance une candidature périlleuse
Le milliardaire américain a annoncé, dimanche, son entrée tardive dans la course à l’investiture démocrate
washington correspondant
U
n second milliardaire
s’est ajouté, dimanche
24 novembre, à la
course à l’investiture
démocrate pour la présidentielle
de 2020. L’ancien maire républi
cain de New York, passé par la case
indépendant puis démocrate,
Michael Bloomberg, 77 ans, fonda
teur de la puissante agence de
presse qui porte son nom, a an
noncé une candidature qu’il avait
pourtant écartée au début de l’an
née. « Je suis candidat à la présiden
tielle pour battre Donald Trump et
reconstruire l’Amérique », atil as
suré sur son site de campagne.
Il rejoint le philanthrope Tom
Steyer, dont la fortune ne semble
d’aucun secours, pour l’instant,
pour convaincre les électeurs dé
mocrates. Les deux hommes se
sont engagés ces dernières an
nées dans des causes auxquelles
les progressistes sont sensibles :
l’environnement, les inscriptions
sur les listes électorales que com
pliquent à dessein les Etats répu
blicains, ainsi que l’encadrement
du marché des armes à feu.
L’annonce de Michael Bloom
berg, qui a mis en avant son expé
rience, est passée par un acte de
contrition et un énorme chèque.
Le premier, effectué dans une
église afroaméricaine de Broo
klyn, une semaine plus tôt, a visé
la politique d’arrestations et de
fouilles arbitraires (stop and frisk)
qu’il a longtemps défendue alors
qu’elle a alimenté des contrôles
au faciès visant les minorités
ethniques. « J’ai eu tort », atil re
connu. Le second vise un investis
sement massif de 31 millions de
dollars dans des publicités qui
vont déferler dans les premiers
Etats à organiser les primaires.
Cette campagne pourrait être sui
vie d’une autre, encore plus mas
sive (100 millions de dollars),
ciblant spécifiquement Donald
Trump dans la poignée d’Etats qui
décidera de l’élection de 2020.
Cette entrée tardive n’est pas
sans risques. D’une part parce que
la course démocrate est déjà bien
lancée et avance avec une dyna
mique qui a été ponctuée par cinq
débats. L’exgouverneur du Mas
sachusetts Deval Patrick, qui s’est
lancé lui aussi tardivement, en a
fait l’expérience il y a quelques
jours en étant contraint d’annuler
le 20 novembre une réunion pu
blique qui n’avait attiré que deux
curieux dans une université afro
américaine à Atlanta (Géorgie), le
Morehouse College, une semaine
après son entrée en campagne.
« Système politique truqué »
En choisissant de s’autofinancer,
M. Bloomberg se condamne à ne
jamais apparaître sur scène aux
côtés des autres prétendants puis
que la participation passe par la
capacité à attirer les dollars de pe
tits donateurs, alors que l’in
fluence des grandes fortunes sur
les élections alimente un débat
déjà très vif. En dépit de son enga
gement dans des causes qui tien
nent à cœur à l’électorat démo
crate, le milliardaire donne l’im
pression de s’affranchir des règles.
« Je suis écœuré par l’idée que Mi
chael Bloomberg ou tout autre mil
liardaire pense pouvoir contourner
le processus politique et dépenser
des dizaines de millions de dollars
pour acheter nos élections. Ce n’est
que le dernier exemple d’un sys
tème politique truqué que nous al
lons changer lorsque nous serons à
la Maison Blanche », avait estimé le
sénateur indépendant Bernie San
ders dans un communiqué, ven
dredi, avant même la déclaration
de candidature de l’ancien maire.
M. Bloomberg pourrait faire
l’impasse sur les premiers Etats
qui se prononceront (Iowa, New
Hampshire, Nevada, Caroline du
Sud) pour se concentrer sur le
« Super Tuesday » prévu le 3 mars.
Nul doute que le programme de
l’aile gauche démocrate, notam
ment les projets d’imposition des
grandes fortunes, ainsi que les fai
blesses avérées de la candidature
centriste de l’ancien viceprési
dent Joe Biden, ont pu pousser
M. Bloomberg à se lancer dans la
course. Mais les rares sondages
qui ont mesuré ses intentions de
vote potentielles dans l’Iowa et
dans le New Hampshire le placent
loin derrière les favoris, Joe Biden
et les élus du Sénat Elizabeth War
ren et Bernie Sanders. Pis pour le
milliardaire, il est pénalisé par une
image médiocre au sein même de
l’électorat démocrate.
gilles paris
« Je suis candidat
à la présidentielle
pour battre
Donald Trump
et reconstruire
l’Amérique »
MICHAEL BLOOMBERG
Le pape dénonce
le « crime » du nucléaire
François a confirmé son changement de
doctrine lors d’une cérémonie à Hiroshima
hiroshima (japon) envoyé spécial
L
a voix du pape François, au
souffle un peu court, s’est
imposée dans le silence re
cueilli du parc du mémorial de la
paix d’Hiroshima. A la nuit tom
bée, dimanche 24 novembre, pre
mier jour de sa visite au Japon, le
chef de l’Eglise catholique s’est re
cueilli devant le cénotaphe élevé à
la mémoire des 140 000 victimes
de la première ville détruite par
une bombe atomique, le
6 août 1945. Son propos n’en a pas
moins été tranchant : au cours
d’une sobre cérémonie, il a appelé
les Etats qui en sont dotés à re
noncer à l’arme nucléaire et à la
dissuasion. « L’utilisation de l’éner
gie atomique à des fins militaires
est aujourd’hui plus que jamais un
crime, non seulement contre
l’homme et sa dignité, mais aussi
contre toute possibilité d’avenir
dans notre maison commune », a
lancé le pontife argentin.
François a donc confirmé le
changement de doctrine du
SaintSiège sur le nucléaire. Aupa
ravant, s’ils déploraient les capaci
tés dévastatrices de ces armes et
appelaient à un désarmement
concerté, les papes, depuis 1945,
avaient admis la dissuasion
comme un pisaller, à condition
qu’elle soit une étape sur la voie
du désarmement. Mais, en 2017, le
pontife jésuite a franchi un cap en
condamnant la possession même
des armements nucléaires. L’Etat
du Vatican, abandonnant sa pos
ture habituelle d’observateur aux
Nations unies, a même signé un
projet de traité sur leur interdic
tion (TIAN), comme 132 autres
pays – mais aucun des Etats pos
sesseurs de la bombe ni leurs plus
proches alliés, dont le Japon.
Ce message d’Hiroshima était le
pendant de celui prononcé le ma
tin même au parc de l’hypocentre
de Nagasaki, à la mémoire des
74 000 victimes de la seconde
bombe atomique lancée sur le Ja
pon le 9 août 1945. Sous une pluie
tenace, à l’épicentre même de
l’explosion, François avait af
firmé qu’« un monde sans armes
nucléaires est possible et néces
saire ». D’autant plus que, selon
lui, « ces armes ne nous défendent
pas des menaces contre la sécurité
nationale et internationale de
notre temps » et n’instaurent
qu’une « fausse sécurité ». « La
paix et la stabilité internationales
sont incompatibles avec toute
tentative de compter sur la peur
de la destruction réciproque ou
sur une menace d’anéantissement
total », atil affirmé.
Le pape avait aussi mis en garde
contre « l’érosion du multilatéra
lisme » et « le risque d’arriver au
démantèlement de l’architecture
internationale de contrôle des
armes » dessinée par une série de
traités aujourd’hui en difficulté,
comme le traité sur les forces
nucléaires intermédiaires en
Europe, le traité de nonproliféra
tion, le grand traité bilatéral New
Start sur les armes stratégiques
et le traité sur l’interdiction
complète des essais. « Notre
réponse à la menace des armes
nucléaires doit être collective et
concertée », atil lancé.
« Folie ultime »
A Hiroshima, il a su toucher les
quelque 2 000 personnes réunies
pour l’occasion, à commencer
par Yoshiko Kajimoto. « J’ai res
senti son désir de paix, sa gen
tillesse », a déclaré cette hi
bakusha (survivante du bombar
dement atomique), aujourd’hui
âgée de 88 ans, qui a été invitée à
témoigner devant le souverain
pontife et qui a pu échanger quel
ques mots avec lui sur la tragédie
qui a bouleversé sa vie.
Adolescente de 14 ans au mo
ment du bombardement, elle tra
vaillait dans l’assemblage de mo
teurs d’avions à 2,3 km du point
d’impact quand la bombe a
frappé la ville. « Personne dans ce
monde ne peut imaginer une telle
vision d’enfer », atelle rappelé en
détaillant les dégâts provoqués
sur les corps effroyablement brû
lés. « Je travaille dur pour témoi
gner que nous ne devons plus utili
ser de telles horribles bombes, et
que nous ne devons laisser per
sonne dans le monde endurer de
telles souffrances », atelle ajouté.
Le pape a également pu enten
dre le témoignage du survivant
Koji Hosokawa, qui avait 17 ans au
moment du bombardement et
qui, aujourd’hui, martèle que « la
guerre rend les gens fous, et la folie
ultime est la bombe atomique qui
nie l’existence humaine ».
philippe mesmer
et cécile chambraud (à paris)
LE PROFIL
Michael Bloomberg
A 77 ans, Michael Bloomberg est,
selon Forbes, le neuvième
homme le plus riche du
monde. Le fondateur de l’agence
d’information financière qui porte
son nom fait valoir ses qualités de
gestionnaire, notamment en trois
mandats de maire de New York,
ou sa lutte pour le climat, en tant
qu’ambassadeur spécial de l’ONU
depuis 2014. Habitué aux jets pri-
vés, il est toutefois accusé d’avoir
fait de New York une ville de ri-
ches et de soutenir des pratiques
policières discriminatoires.