8 |international MARDI 26 NOVEMBRE 2019
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Roumanie : le pro
européen Iohannis réélu
L’élection présidentielle de dimanche
marque un échec historique pour la gauche
bucarest envoyés spéciaux
A
près trois ans au gouver
nement, le Parti social
démocrate (PSD) rou
main a été lourdement sanc
tionné par les électeurs au second
tour de l’élection présidentielle
qui s’est tenue dimanche 24 no
vembre. Viorica Dancila, an
cienne première ministre, a ob
tenu à peine 37 % des voix, selon
des résultats quasi définitifs. Ja
mais un candidat du PSD n’avait
obtenu de score aussi faible à une
présidentielle. Face à elle, le prési
dent sortant, Klaus Iohannis,
60 ans, est largement réélu pour
un second mandat de cinq ans.
Si sa victoire était acquise, son
ampleur vient clore une cohabita
tion tendue entre ce chef d’Etat de
centre droit et un gouvernement
de gauche qui avait multiplié
les réformes pour affaiblir la lutte
anticorruption, sous les vives cri
tiques de la rue et des institutions
européennes. « La Roumanie mo
derne, la Roumanie européenne,
la Roumanie normale a gagné
aujourd’hui », a salué Klaus Iohan
nis depuis le siège de sa forma
tion, le Parti national libéral (PNL).
« Il y a beaucoup de choses à ré
parer », atil ajouté, avec à ses cô
tés le nouveau premier ministre,
Ludovic Orban, qui a réussi à ren
verser Viorica Dancila en octobre,
en profitant des divisions de la
gauche. Arrivé troisième, le can
didat du parti anticorruption
Union Sauvez la Roumanie avait
également appelé à voter pour lui.
Une réforme très critiquée
Ce résultat marque l’échec de la
stratégie de la gauche qui a tenté
ces dernières années de séduire
l’électorat rural avec des hausses
des aides sociales et un discours à
la tonalité souverainiste, quitte à
tourner le dos à l’orientation pro
européenne historique du pays et
aux plus de 3 millions de Rou
mains partis chercher du travail
en Europe de l’Ouest. En parallèle,
le PSD a mené de multiples réfor
mes de la justice, officiellement
destinées à limiter les abus des
procureurs, mais profitant en réa
lité à l’ancien président du parti,
Liviu Dragnea. Finalement empri
sonné le 27 mai pour corruption,
celuici avait dû laisser la prési
dence du parti à Viorica Dancila.
« Certains de nos dirigeants se
sont peutêtre trop concentrés
sur le sujet de la justice. Il va fal
loir comprendre les évolutions de
la société roumaine et prendre
en considération la diaspora »,
reconnaît Victor Negrescu, cadre
du parti et ancien ministre des
affaires européennes qui avait
quitté le gouvernement en signe
de protestation contre le virage
eurosceptique du parti. « La seule
direction possible est la direction
proeuropéenne », plaide ce repré
sentant de l’aile modernisa
trice du parti.
Après cette défaite cinglante,
Viorica Dancila n’a pas fait men
tion d’une éventuelle démission.
« Je suis persuadée que nous som
mes capables de gagner les élec
tions municipales et parlemen
taires de l’année prochaine », at
elle affirmé. Le PSD peut, en effet,
profiter d’un an dans l’opposition
pour « se refaire ». Le PNL ne béné
ficie que d’une majorité disparate
et étriquée au Parlement, qui
l’empêche de mener toutes les ré
formes qu’il souhaiterait.
mirel bran
et jeanbaptiste chastand
« Il va falloir
comprendre les
évolutions de la
société roumaine
et prendre en
considération
la diaspora »
VICTOR NEGRESCU
cadre du PSD
A Hongkong, les électeurs infligent
un camouflet aux autorités et à la Chine
Avec un taux de participation record de 71 %, l’opposition a raflé la majorité dans les districts
hongkong correspondance
L
es élections locales pour les
conseillers des dixhuit dis
tricts de Hongkong, qui ont
eu lieu dimanche 24 novembre,
ont rendu un jugement sans ap
pel de défiance et de désapproba
tion au gouvernement dirigé par
Carrie Lam. Avec un taux de parti
cipation record (71 % contre 47 %
lors du même scrutin en 2015),
l’opposition a raflé la majorité
dans 17 des 18 conseils de district,
soit près de 86 % des sièges.
En outre, cette victoire historique
lui confère automatiquement
117 voix de plus (sur 1 200) au co
mité qui élit le chef de l’exécutif.
C’est la première fois que les
Hongkongais se servent de ces
élections, généralement négli
gées en raison de leur faible im
pact politique, comme d’un réfé
rendum d’expression populaire.
Ce sont les seules entièrement au
suffrage universel. La chef de
l’exécutif, Carrie Lam, officielle
ment soutenue par Pékin, est te
nue responsable de la crise ac
tuelle, qui a démarré au prin
temps autour d’un projet de loi
d’extradition, mais qui s’est ag
gravée de mois en mois, malgré la
suspension (mijuin), puis l’aban
don (en septembre) de ce texte.
Soutien aux manifestants
Ainsi, malgré l’aggravation de la
situation politique et économi
que, et la radicalisation des mo
des opératoires des manifestants,
les Hongkongais ont choisi de
condamner l’immobilisme du
gouvernement et la brutalité
policière. Ils apportent ainsi leur
soutien aux « cinq demandes »
des manifestants dont la mise en
place d’une commission d’en
quête indépendante sur la bruta
lité policière, et la plus politique
est l’exigence d’élections au suf
frage universel pour le Parlement
et le chef de l’exécutif.
« Les Hongkongais n’ont pas voté
pour résoudre les problèmes de
toilettes publiques ou de sangliers
qui défoncent les poubelles. Ils ont
voté pour redire haut et fort leur
attachement à leurs libertés fon
damentales et leur soutien collec
tif aux manifestants qui sont mon
tés au front depuis six mois pour
les défendre », estime le financier
militant pandémocrate Ed Chin.
L’obtention de 117 voix de plus
au comité électoral pour le chef de
l’exécutif va considérablement
augmenter l’influence de l’oppo
sition dans le choix du prochain
leader de Hongkong. « Sur les
1 200 voix, elle en a déjà 350. En en
gagnant 117 de plus avec les con
seillers de district, elle nous donne
un pouvoir de négociation. Cette
nouvelle configuration va faire de
Li Kashing [le plus influent mil
liardaire hongkongais] le décideur
Les Hongkongais
ont choisi
de condamner
l’immobilisme du
gouvernement
et la brutalité
policière
lors des prochaines élections, car il
contrôle plusieurs dizaines de voix
attribuées aux représentants
d’activités sectorielles. Or, Pékin
s’est fâché avec lui », observe le
professeur de droit Benny Tai,
condamné au printemps à seize
mois de prison pour son rôle dans
le « mouvement des parapluies »
en 2014, mais actuellement en
liberté provisoire.
C’est la première fois que l’oppo
sition, qui a longtemps pris le
parti de laisser le camp proPékin
gagner ces élections, a proposé
des prétendants pour chacun des
452 sièges en lice. Et à l’exception
notoire de Joshua Wong, leader
emblématique de la contestation
étudiante de 2014 interdit d’y
participer, tous les candidats ont
eu le droit de se présenter. Le
député le plus controversé du
camp proPékin, Junius Ho, a
perdu son mandat, ainsi que le
député modéré du même camp,
Michael Tien. La chef de file du
DAB, le plus grand parti proPékin
au sein du Parlement, Starry Lee, a
sauvé son siège de justesse.
Les rumeurs d’une interrup
tion des élections à 10 h 30 ont in
cité les électeurs à aller voter le
plus tôt possible. Avant même
l’ouverture des bureaux de vote à
7 h 30 dimanche matin, des
queues s’étaient formées. Le
scrutin s’est déroulé sous forte
présence policière, et avec un
nombre limité d’incidents.
La radio publique RTHK et plu
sieurs médias locaux ont toutefois
reporté diverses irrégularités. No
tamment des électeurs qui ont ap
pris en arrivant au bureau de vote
qu’ils avaient déjà voté. Le camp
proPékin a aussi la réputation
d’offrir des sorties et des cadeaux
aux personnes âgées hébergées
dans les hospices et d’organiser
leur participation aux élections en
leur indiquant pour qui voter.
« Ecouter avec humilité »
Pendant que les Hongkongais
se rendaient aux urnes, quel
ques manifestants irréductibles
étaient encore assiégés par la po
lice au sein de l’Université poly
technique de Hongkong. Leur état
de santé s’est dégradé, tout
comme leur condition psycholo
gique mais ils ne veulent toujours
pas se rendre à la police Elu
conseiller de district dimanche,
Jimmy Sham Tszkit, qui avait été
attaqué en pleine rue en octobre,
a proposé que l’ensemble des
conseillers prodémocratie récla
ment d’une seule voix que la
police laisse sortir librement les
derniers occupants.
Parmi les très nombreux jeunes
élus, un des leaders étudiants du
« mouvement des parapluies »,
Lester Shum, a appelé les Hong
kongais à continuer le combat,
estimant que « la bataille est en
core loin d’être gagnée ». Dans un
communiqué, Carrie Lam note
qu’il y a « plusieurs analyses et in
terprétations » des résultats, no
tamment que ceuxci « reflètent le
mécontentement de la population
avec la situation actuelle et les pro
blèmes profondément ancrés dans
la société ». Le gouvernement va
« écouter l’opinion des membres
du public avec humilité et réfléchir
sur luimême sérieusement », at
elle ajouté.
florence de changy
Pour séduire les classes moyennes, Johnson
présente un programme antiaustérité
Les conservateurs sont favoris des élections législatives britanniques du 12 décembre
londres correspondante
D
imanche 24 novembre,
Boris Johnson était une
fois de plus dans les
Midlands, l’excœur industriel et
minier de l’Angleterre, paupérisé
et fortement proBrexit, qu’il la
boure depuis le début de la cam
pagne électorale, pour présenter
le « manifesto » du Parti conser
vateur. Il s’agit du programme of
ficiel du gouvernement qu’il pré
sidera s’il est conforté dans sa
position de premier ministre,
avec une majorité absolue, à l’is
sue du scrutin du 12 décembre.
Moins épais que celui des élec
tions générales de 2017, ce pro
gramme marque pourtant une
véritable rupture : les conserva
teurs abandonnent définitive
ment leur politique d’austérité,
promettent de l’argent frais pour
le système public de santé
(le sacrosaint National Health
Service, NHS), la préservation du
pouvoir d’achat des classes po
pulaires et moyennes, et limitent
même les cadeaux fiscaux aux ri
ches. Le tournant avait déjà été
amorcé par Theresa May, et
prouve à quel point le parti parie
désormais sur le vote populaire
- notamment le vote tradition
nellement travailliste – pour
remporter une victoire.
« Il s’agit d’une feuille de route
radicale », a prétendu M. Johnson,
dimanche aprèsmidi, depuis
Telford, ville connue comme le
« berceau de l’industrie » britan
nique. L’actuel premier ministre,
qui compte bien rester à Dow
ning Street encore cinq ans, a pro
mis l’embauche de 50 000 nou
velles infirmières pour le NHS,
premier sujet de préoccupation
des Britanniques avec le Brexit, et
le recrutement de 6 000 méde
cins généralistes supplémentai
res. Les conservateurs s’engagent
aussi à maintenir la pression fis
cale en l’état : pas d’augmenta
tion de l’impôt sur le revenu, ni
de hausse de la TVA.
Dans ce programme, le coût de
l’assurance sociale nationale est
limité, permettant un gain
par citoyen d’environ 100 livres
(117 euros) par an. Près de 2 mil
liards de livres (2,4 milliards
d’euros) devraient être consa
crées à la réparation des rou
tes, 1 milliard à la santé des en
fants, et le salaire minimal
horaire progresserait de 8,21 li
vres à 10,50 livres.
M. Johnson a par ailleurs insisté
sur le fait que son gouvernement
ne réclamerait pas d’extension
de la période de transition post
Brexit audelà du 31 décem
bre 2020, présumant qu’il sera
parvenu, à cette date, à la conclu
sion d’un accord commercial
avec l’Union européenne (UE)
- une perspective jugée très im
Le Labour, lui,
propose la
semaine de
32 heures d’ici
dix ans, et de
renationaliser
une grande
partie du rail
probable à Bruxelles. Enfin,
M. Johnson a promis que son ac
cord de divorce serait présenté
pour ratification au Parlement bri
tannique « avant Noël », pour un
Brexit effectif « fin janvier 2020 ».
Au final, ce « manifesto » ne dé
veloppe aucune grande vision
d’avenir du pays après le Brexit,
mais propose des mesures ci
blées et censées répondre aux at
tentes urgentes des Britanniques.
Pour les conservateurs, l’exercice
de dimanche était clair : il ne fal
lait pas brouiller le principal mes
sage du « chef », Boris Johnson,
son unique argument de campa
gne, simpliste mais efficace :
« Let’s get Brexit done » (« réali
sons le Brexit »).
L’Internet à haut débit gratuit
Même s’il recentre la politique
des tories sur une feuille de route
plutôt modérée, ce programme
n’a rien à voir avec celui des tra
vaillistes, présenté en fin de se
maine dernière. Ce dernier a
horrifié les milieux d’affaires bri
tanniques, avec des promesses de
redistribution et de renationali
sations radicales. Du jamaisvu
depuis les années 1970, ont es
timé les commentateurs dans la
presse nationale, majoritaire
ment hostiles à Jeremy Corbyn, le
leader du Labour.
Au total, le Parti travailliste pré
voit des dépenses publiques de
83 milliards de livres (97 milliards
d’euros) par an – financées en
partie par les entreprises et les
ménages les plus aisés –, pour
l’hôpital, la construction de
logements sociaux et la suppres
sion des frais de scolarité dans
le secondaire. Jeremy Corbyn
souhaite aussi instaurer la se
maine de trentedeux heures
d’ici dix ans, la renationalisation
d’une grande partie du rail, des
réseaux de production d’énergie,
et l’Internet gratuit à haut débit
pour tous. Le niveau des dépen
ses publiques passerait à environ
44 % du produit intérieur brut
national, 6 points audessus du
niveau actuel.
Les libérauxdémocrates (Lib
Dem), farouchement antiBrexit,
ont également rendu public un
programme très ambitieux, pré
voyant un effort financier inédit
pour l’éducation (10 milliards de
livres en cinq ans) et la petite en
fance, grâce aux 50 milliards de li
vres (58 milliards d’euros) d’éco
nomies que générerait, selon eux,
un maintien dans l’UE. Les lib
dem omettent de préciser qu’en
restant dans l’UE le RoyaumeUni
devrait maintenir sa contribution
d’environ 12 milliards d’euros an
nuels au budget communautaire.
Pour autant, le Labour et les lib
dem ne sont pas parvenus à ren
verser la vapeur : à deux semai
nes, selon un sondage de l’insti
tut Datapraxis, publié dimanche,
Boris Johnson pourrait gagner
349 sièges au soir du 12 décem
bre, largement audessus de la
majorité absolue. Les travaillis
tes reculeraient de 30 sièges (à
213 sièges), et les libdem n’ob
tiendraient que 14 sièges. « En
l’état, Boris Johnson est parti pour
gagner une majorité », a d’ailleurs
admis Jo Swinson, la chef des
libdem, dimanche matin, sur le
plateau de la BBC.
cécile ducourtieux