Le Monde - 29.11.2019

(Martin Jones) #1
0123
VENDREDI 29 NOVEMBRE 2019

ÉCONOMIE  &  ENTREPRISE


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Climat : les banques françaises en accusation


Deux ONG dénoncent le soutien actif des établissements aux investissements dans les énergies fossiles


L


es banques françaises
peuvent­elles sortir de
leur addiction aux éner­
gies fossiles? Malgré les
engagements pris publiquement,
les principaux établissements
français financent encore active­
ment le secteur du charbon, du
gaz ou du pétrole. Dans un rap­
port rendu public jeudi 28 no­
vembre, à la veille du Climate Fi­
nance Day, les ONG Oxfam et Les
Amis de la Terre dénoncent « la
colossale empreinte carbone des
banques françaises » et appellent
les pouvoirs publics à prendre des
mesures contraignantes.
« En 2018, les émissions de gaz à
effet de serre issues des activités de
financement des quatre principa­
les banques françaises – BNP Pari­
bas, Crédit agricole, Société géné­
rale et BPCE – dans le secteur des
énergies fossiles ont atteint plus de
2 milliards de tonnes équivalent
CO 2 , soit 4,5 fois les émissions de la
France », souligne le rapport. Des
quatre banques notées, c’est la
BNP qui soutient le plus de projets
polluants, suivie du Crédit agri­
cole, de la Société générale et de
BPCE. Pour arriver à ce calcul, les
ONG ont additionné les opéra­
tions des banques dans le do­
maine, notamment les prêts con­
sentis à des projets dans les éner­
gies fossiles, les obligations émi­
ses et les investissements en
actions dans des entreprises
comme Total, par exemple.
On y découvre le fort appui de
BNP Paribas au charbon – le
moyen de produire de l’électricité
qui émet le plus de CO 2. La pre­
mière banque française continue
ainsi de financer le groupe alle­
mand RWE, premier pollueur
européen du secteur privé et opé­
rateur de nombreuses centrales à
charbon en Allemagne.
« Dire que les banques françaises
financent les énergies fossiles, ça
ne me paraît pas être un scoop,
dans la mesure où nous finançons
le monde tel qu’il est, or, les sources
d’énergies utilisées dans la produc­

tion mondiale d’électricité, c’est
65 % de fossile, a réagi Laurence
Pessez, la directrice de la respon­
sabilité sociale et environnemen­
tale (RSE) de BNP Paribas. Mais
nos politiques visent à réduire la
part du charbon et à financer la
transition énergétique. »
Oxfam et Les Amis de la Terre
soulignent « des pas dans la
bonne direction », mais fustigent
un « rythme de marche bien trop
inégal et lent ». Les ONG lancent
donc une nouvelle alerte, profi­

tant d’une réunion au sommet
d’acteurs internationaux de la
banque et de l’assurance, ven­
dredi 29 novembre, à Paris, dans
le cadre du Climate Finance Day,
dont l’ambition est de concilier fi­
nance et climat.

« Le cap n’est pas le bon »
Depuis la première édition de cet
événement, en 2015, en amont de
la COP21, plusieurs établisse­
ments financiers ont pris l’habi­
tude de s’emparer de ce rendez­
vous annuel pour y dévoiler leurs
nouveaux objectifs en faveur
d’une économie bas carbone.
Cette année, BNP Paribas a an­
noncé, vendredi 22 novembre,
une nouvelle salve d’engage­
ments, avec, en tête, l’arrêt com­
plet, en 2030, de ses finance­
ments du secteur du charbon
dans l’Union européenne (UE) et,
en 2040, pour le reste du monde.
« Le cap n’est pas le bon », juge
l’association Les Amis de la Terre,
en soulignant que « tous les pays
de l’Organisation de coopération
et de développement économi­
ques [OCDE] doivent sortir du

charbon d’ici à 2030, afin de rester
sous le seuil de 1,5 °C ». « Nous som­
mes très présents aux Etats­Unis,
et ce n’est absolument pas envisa­
geable de dire à nos clients,
aujourd’hui, que nous arrêterons
complètement de les soutenir
en 2030 », justifie la banque fran­
çaise. A l’inverse, celle­ci a été la
première à prendre des engage­
ments concernant le pétrole et le
gaz de schiste, en refusant de con­
tinuer à soutenir ces hydrocarbu­
res non conventionnels, notam­
ment aux Etats­Unis.
Le Crédit agricole est, à ce jour, la
banque qui est allée le plus loin
dans ses engagements publics.
L’institution doit cesser tout sou­
tien à des groupes charbonniers
d’ici à 2030 pour les pays de
l’OCDE et 2040 pour la Chine. Elle
ne développe d’ores et déjà plus
de relations avec des entreprises
qui tirent plus de 25 % de leur chif­
fre d’affaires du charbon thermi­
que (extraction et production
d’énergie à partir de cette éner­
gie). Le groupe mutualiste « est, en
revanche, quasi silencieux pour le
pétrole et le gaz », note le rapport.

La banque qui, à ce jour, a pris le
moins d’engagements est la So­
ciété générale. Elle a une politique
très floue sur le charbon et conti­
nue de soutenir des projets dans
le gaz et le pétrole de schiste. Le
groupe affirme qu’il réduira, lui
aussi, « à zéro son exposition au
secteur du charbon thermique, au
plus tard en 2030, pour les entre­
prises ayant des actifs dans les
pays de l’UE ou de l’OCDE, et d’ici à
2040, pour le reste du monde ».
Mais, dans le détail, la banque
n’arrête aujourd’hui de financer

Un nouvel établissement bancaire scandinave soupçonné de blanchiment


Une enquête en Suède révèle que la SEB est impliquée dans un système qui aurait permis de blanchir des milliards d’euros d’argent sale


malmö (suède) ­
correspondante régionale

I


l y avait la Danske Bank, la
Swedbank et Nordea : trois
des plus grands établisse­
ments bancaires scandinaves,
tous éclaboussés par le gigantes­
que scandale de blanchiment d’ar­
gent impliquant les succursales
des banques dans les pays baltes. Il
y a désormais la Skandinaviska
Enskilda Banken (SEB), prise à son
tour dans la tourmente, après un
reportage diffusé mardi 26 no­
vembre sur la chaîne de télévision
suédoise SVT.
Grâce à des fuites de données
bancaires, les journalistes de
l’émission d’investigation « Up­
pdrag granskning » ont identifié
194 comptes suspects, détenus en

Suède ou dans les pays baltes, par
des clients non­résidents. Au
terme d’une longue enquête, ils
ont pu démontrer que des socié­
tés­écrans se cachaient en réalité
derrière la plupart de ces comptes
et, qu’en plus d’être basées dans
des paradis fiscaux, certaines
étaient déjà impliquées dans des
affaires de blanchiment d’argent.

Exercice de transparence
Parmi elles, plusieurs sont liées au
dossier Magnitski, du nom de ce
juriste russe, Sergueï Magnitski,
mort dans une prison moscovite
en 2008, après avoir dénoncé une
vaste affaire de corruption impli­
quant policiers et fonctionnaires
russes. Une partie des fonds, si­
phonnés auprès du fisc russe, a été
blanchie par l’intermédiaire de la

Danske Bank, la Swedbank et Nor­
dea. Or, selon SVT, 18 sociétés, liées
au dossier Magnitski, ont aussi
utilisé 25 comptes de la SEB pour
transférer 475 millions d’euros.
Autant d’éléments, selon les
journalistes, qui auraient dû met­
tre en alerte la direction de la SEB,
notamment après les révélations
impliquant ses concurrentes scan­
dinaves. En avril, pourtant, son
PDG, Johan Torgeby, se disait
« confiant » et évoquait les efforts
déployés pour lutter contre le
blanchiment d’argent depuis


  1. Il affirmait alors n’avoir
    identifié aucun « drapeau rouge ».
    Mardi 26 novembre, après la dif­
    fusion du reportage, la banque a
    admis que 84,6 milliards d’euros
    avaient transité, entre 2006 et
    2018, par le biais de comptes déte­


nus par des clients non­résidents.
Sur cette somme, la SEB admet
que 25,8 milliards ont été déposés
par des clients « qui ne répondent
pas aux exigences actuelles de
transparence », ou qui n’ont pas
« de liens avec des activités com­
merciales réelles ». La direction a
précisé que 95 % d’entre eux, ce­
pendant, n’étaient plus ses clients.
« Dans l’analyse complète que
nous avons faite de nos activités
dans les pays baltes, nous n’avons
pas pu constater que la SEB avait
été utilisée de façon systématique
pour blanchir de l’argent », a dé­
claré le PDG de l’établissement,
tout en précisant que « la SEB,
comme les autres banques, vit en
permanence avec les risques inhé­
rents à la criminalité financière ».
Le 15 novembre, la banque avait

décidé de jouer carte sur table, en
publiant un premier communi­
qué dans lequel elle révélait avoir
été contactée par des journalistes
de l’émission « Uppdrag gransk­
ning » enquêtant sur des affaires
de blanchiment d’argent. Une
stratégie misant sur la transpa­
rence, à l’opposé de celle – catas­
trophique – adoptée par la Swed­
bank, il y a quelques mois.
Alors que la Danske Bank avait
dû admettre, à l’automne 2018,
que 200 milliards d’euros d’argent
suspect avaient transité par sa fi­
liale estonienne, entre 2007 et
2015, la patronne de la Swedbank,
Birgitte Bonesson, n’avait eu de
cesse de répéter que sa banque
n’avait rien à se reprocher. Plu­
sieurs enquêtes internes disaient
pourtant le contraire, ce que

l’équipe de SVT a révélé le 20 fé­
vrier. Les journalistes ont aussi pu
démontrer que près de 4 milliards
d’euros d’argent suspect avaient
transité entre la Danske Bank et la
Swedbank, entre 2007 et 2015.
Depuis, Birgitte Bonesson a été
limogée. Le PDG de la Danske
Bank, Thomas Borgen, a démis­
sionné. Seul le patron de Nordea,
également impliqué dans le scan­
dale, est toujours en poste. Le
15 novembre, l’action de la SEB a
perdu 12,5 % de sa valeur. Mer­
credi 27 novembre dans la mati­
née, elle était de nouveau en
hausse. La banque n’est pas pour
autant tirée d’affaire. Visées par
plusieurs enquêtes, ses concur­
rentes se préparent déjà à payer
des amendes record.
anne­françoise hivert

Une centrale
à charbon
de RWE,
à Neurath
(Rhénanie­
du­Nord­
Westphalie),
en 2016.
Le groupe
allemand est
financé par
BNP Paribas.
WOLFGANG
RATTAY/REUTERS

« Nous finançons
le monde tel qu’il
est : (...) 65 %
de l’électricité
mondiale est
issue d’énergies
fossiles »
LAURENCE PESSEZ
directrice RSE
de BNP Paribas

que des entreprises dont l’activité
dans le charbon thermique est su­
périeure à 50 % (ou comprise en­
tre 30 % et 50 % et qui n’ont pas de
stratégie permettant de la réduire
à 30 % en 2025).
« C’est bien trop tard, ou le seuil
est bien trop élevé, dit Lucie Pin­
son, membre des Amis de la Terre,
alors qu’il faudra avoir fermé près
de 80 % de la capacité de produc­
tion d’électricité à partir de char­
bon d’ici à 2030. » Enfin, BPCE, qui
a une intensité carbone trois fois
inférieure à celle de la Socitété gé­
nérale, a fait des promesses limi­
tées de sortie du charbon.
« Les banques françaises ont pris
beaucoup d’engagements publics,
mais, quand on regarde dans le dé­
tail, on se rend compte que c’est
beaucoup de communication »,
estime Cécile Duflot, directrice
générale d’Oxfam France. L’an­
cienne ministre en appelle désor­
mais aux pouvoirs publics : « Le
gouvernement doit légiférer pour
interdire aux banques françaises
de continuer à agir ainsi. »
véronique chocron
et nabil wakim

Axa : une sortie totale du charbon d’ici à 2040
Axa a dévoilé, mercredi 27 novembre, de nouvelles mesures de lutte
contre le réchauffement climatique, saluées par plusieurs ONG.
L’assureur prévoit de durcir sa politique de désinvestissement du
charbon, pour sortir de cette industrie, d’ici à 2030, dans les pays de
l’Organisation de coopération et de développement économiques
et d’ici à 2040 dans le reste du monde. L’assureur entend limiter le
« potentiel de réchauffement » de ses investissements à 1,5 °C d’ici à
2050 (en ligne avec les engagements pris dans le cadre de l’accord
de Paris de 2015), alors que la « température de son portefeuille »
atteint aujourd’hui 3,1 °C (autrement dit, les investissements du
groupe financent une économie qui réchaufferait la planète de plus
de 3 °C). Le groupe prévoit de doubler son objectif d’investisse-
ments verts, pour atteindre 24 milliards d’euros d’ici à 2023.
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